Cher Rahm Emanuel, (1)
Joyeux putain de Jour du Travail ! Je viens de lire, cette semaine, que, d’après le nouveau livre de Steven Rattner, l’ancien spécialiste de l’industrie automobile, au cours d’une réunion à la Maison Blanche où on discutait sur la façon de sauver les dizaines de milliers d’emplois qui seraient perdus si General Motors et Chrysler coulaient, tu as dit : « putain d’enculé de UAW » (2). Vraiment, je ne peux pas croire que tu aies réellement dit une chose pareille ; peut-être Rattner s’est-il trompé, ou bien, peut-être, ton assistant a-t-il voulu commander des pizzas et tu as dit à Rattner : « vas te faire enculer ! ». Ou bien tu as vraiment voulu dire « putain d’enculé d’UAW ». Mais alors, permets-moi de te donner une petite putain de leçon (une leçon que je connais bien parce que mon putain d’oncle faisait toutes les grèves sur le tas de ce putain d’enculé de syndicat).
Avant que les syndicats n’existent, il n’y avait pas de classe moyenne dans ce pays. Les gens qui travaillaient ne pouvaient pas envoyer leurs enfants au lycée et très peu de gens pouvaient être propriétaires de leur putain de maison. Personne ne pouvait prendre un jour de congé pour un enterrement ou avoir une journée de repos s’il était malade parce qu’on risquait de perdre son putain de travail.
Alors les ouvriers se sont organisés en syndicats ; les patrons et les entreprises détestaient ça. Ils disaient souvent « enculons cette putain d’UAW ». Et ça, c’est parce que les syndicats ont infligé une défaite mémorable à une des plus grosses industries du pays. Quand ils ont gagné leur bataille, le 11 février 1937, après 44 jours d’occupation des usines de la General Motors, à Flint, les travailleurs, stimulés par leur victoire, ont gagné dans toutes les entreprises et, l’un après l’autre, les syndicats sont nés. Si la Deuxième Guerre Mondiale n’avait pas éclaté, il y aurait eu une révolution économique qui aurait donné à chacun, oui, à chacun, une putain de vie décente. Pour le moins, les syndicats ont donc créé une classe moyenne pour une majorité de la population (parce que même les entreprises qui n’avaient pas de syndicat ont dû payer au tarif syndical pour attirer les travailleurs !), et c’est cette classe moyenne qui a bâti un grand pays et une bonne vie.
Tu vois, Rahm, quand les gens gagnent des putains de bons salaires, ils les dépensent pour acheter tout ce dont ils ont besoin, ce qui crée plus de travail et même du travail bien payé, et quand la classe moyenne grossit c’est sacrément important pour le pays. Sais-tu que lorsque j’étais enfant, si un de nos deux parents était payé au tarif syndical, seul un des deux parents était obligé de travailler pour faire vivre sa famille. Et il était de retour à la maison à 3 ou 4 heures de l’après-midi, au plus tard à 17 h 30. Et toute la famille dînait ensemble. Mon père avait quatre semaines de congés payés ; nous avions une assurance de santé gratuite, plus tous les soins dentaires. Et si l’enfant avait un bon niveau, il allait au lycée et ses parents n’étaient pas ruinés pour autant ; et si tu employais le mot « enculé », les bonnes-soeurs te dévissaient la tête !
Par la suite, un Républicain (Reagan) a licencié tous les contrôleurs aériens, un Démocrate nous a donné le NAFTA (3), ce Traité de Libre Échange, et des millions d’emplois sont partis à l’étranger… Dis donc, tu ne bossais pas à la Maison Blanche à cette époque-là , par hasard ?
« Encule les syndicats, mon pote ! ». Les syndicats ont eu peur et ont laissé tomber, et puis un gars est devenu Président et, comme un alcoolo incontrôlable, il a dépensé tout notre putain d’argent et l’argent de nos enfants aussi. Enfoiré.
Et maintenant la grand-mère de ton assistant se retrouve à devoir bosser chez Mac Do ; demande-lui à quoi cela ressemblait la vie de la classe moyenne ; c’était super cool. Je parie même que la grand-mère n’avait pas idée de dire « ces enculés de syndicats » !
Ne t’y trompe pas, Rahm, je t’aime bien ; tu as réussi à faire revenir les Démocrates au Congrès, en 2006. Mais, toi et ton patron (Barack), vous feriez bien de vous dépêcher de remettre le peuple au travail. Tiens, par exemple, qu’en penses-tu si on considérait comme un délit le fait de supprimer un emploi pour le délocaliser hors du pays ? En d’autres termes, si on traitait chaque emploi comme un trésor national, si on réagissait comme si quelqu’un volait la Déclaration d’Indépendance des Archives Nationales ou comme si un braconnier piquait des oeufs dans le nid d’un Aigle Américain (4).
Et puis que penserais-tu de mettre en prison tous ces types de Wall Street qui volent notre argent, l’argent qui dirige notre économie américaine ? Mais, pour ça, il faudrait avoir de sacrées couilles !
Mais peut-être, juste peut-être, c’est le genre d’action qui pourrait sauver votre cul le 2 novembre prochain (5).
Bon, je t’entends dire « Michael Moore, cet enculé » ; pas de souci. Mais cet « enculé de syndicat UAW » ?! Et si on remplaçait le U, le A et le W par un R et un E ?.
Bien à toi.
Michael Moore
http://www.michaelmoore.com/words/mike-friends-blog/happy-fuckin-labor-day
Traduit par Manuel Colinas avec l’aide de Catherine
1 Rahm Emanuel : actuel chef de cabinet de la Maison Blanche sous la présidence Obama
2 UAW : United Auto Worker », Syndicat des Travailleurs de l’Automobile.
3 NAFTA Traité de libre Echange de l’Amérique du Nord.
4 Espèce protégée, aux USA et emblème des Etats-Unis
5 date des élections de « Mid Term » (de mi-mandat) qui doivent renouveler une partie des deux chambres et qui risquent de voir fondre la majorité « démocrate » actuelle…