Depuis plus de huit ans, le fondateur et rédacteur en chef de WikiLeaks, Julian Assange, fait l’objet de diverses formes de restrictions à sa liberté sans inculpation au Royaume-Uni. En dépit d’une décision du Groupe de travail sur la détention arbitraire de décembre 2015 (avis n° 54/2015) selon laquelle M. Assange était arbitrairement privé de sa liberté et a exigé sa libération. Non seulement le Royaume-Uni a refusé de se conformer à cette décision, mais de hauts représentants du gouvernement, y compris le Premier ministre, ont condamné cette décision.
Le 21 décembre 2018, les experts des droits de l’homme de l’ONU ont réitéré l’exigence que le Royaume-Uni respecte ses obligations internationales et autorise immédiatement M. Assange à quitter l’ambassade équatorienne à Londres où il se trouve depuis plus de six ans, craignant d’être arrêté par les autorités britanniques s’il sortait, et extradé vers les États-Unis d’Amérique.
M. Assange a remporté de nombreux prix internationaux de journalisme - du Amnesty New Media Award au Walkley Award pour sa contribution exceptionnelle au journalisme dans son pays natal, l’Australie - et a été nominé pour le prix Nobel pendant huit années consécutives (2010-2018) en raison de son travail avec WikiLeaks.
WikiLeaks est une organisation médiatique internationale à but non lucratif qui est à la disposition de toute personne qui souhaite révéler et exposer des informations sensibles présentant un intérêt pour le public. WikiLeaks offre une protection technologique et l’anonymat aux sources et aux dénonciateurs afin que l’information dans l’intérêt public puisse être fournie et publiée sans crainte de poursuites ou de représailles.
Parmi les publications les plus connues de WikiLeaks à ce jour, on peut citer : le déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire par la multinationale Trafigura ; les manuels d’instructions pour la base militaire de Guantánamo ; les bases de données sur les guerres en Afghanistan et en Irak ; les preuves de corruption et d’exécutions extrajudiciaires au Kenya ; la censure sur Internet en Chine, etc. Des documents publiés par WikiLeaks ont récemment permis d’identifier Maher Mutreb, l’un des assassins présumés du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite en Turquie. Les publications de WikiLeaks ont été citées par des journaux du monde entier et dans des affaires relatives aux droits de l’homme devant la Cour internationale de justice, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour suprême britannique.
Cependant, les publications de WikiLeaks ont également mis M. Assange, journaliste et rédacteur en chef, au centre des représailles exercées par les États qui ont fait l’objet de révélations par WikiLeaks de graves violations des droits humains ou de crimes de guerre. L’Arabie saoudite, l’Australie et d’autres États ont par exemple annoncé des poursuites pénales contre l’éditeur.
La persécution de M. Assange par les États-Unis
La principale menace subie par M. Assange en raison de ses activités journalistiques avec WikiLeaks a été la persécution politique déployée par les États-Unis d’Amérique, qui demandent que M. Assange fasse l’objet de poursuites pénales et par le déploiement de mesures extrajudiciaires contre lui et WikiLeaks. WikiLeaks a révélé des preuves de l’implication des États-Unis dans des crimes de guerre et des actes de torture, et a documenté - à travers les journaux de guerre de l’Afghanistan et de l’Irak [Afghan logs et Iraq War Logs] - l’ampleur des pertes civiles dans les guerres menées par les États-Unis, et les violations des droits humains et la corruption dans le monde entier. Depuis 2010, les États-Unis mènent une enquête criminelle active sur M. Assange et Wikileaks, que le gouvernement australien qualifie de "sans précédent par sa taille et son ampleur".
Alors que l’enquête criminelle a été ouverte sous le gouvernement Obama, l’administration Trump a adopté une position institutionnelle plus agressive à l’égard de M. Assange et de WikiLeaks. Après la publication par WikiLeaks de Vault 7 en 2017, qui a été décrite comme "la fuite la plus importante de l’histoire de la CIA", le directeur de la CIA, Mike Pompeo (qui est maintenant secrétaire d’État), a déclaré que les États-Unis traiteraient WikiLeaks comme un "service de renseignement hostile et non étatique", que les États-Unis ne laisseraient plus à Assange et à ses collègues "la liberté de faire valoir contre nous des principes de liberté de parole" et que M. Assange ne bénéficierait plus des protections constitutionnelles en la matière. Peu après, le procureur général Jeff Sessions a confirmé que la poursuite de M. Assange était "une priorité". En novembre 2018, les médias américains ont confirmé que les États-Unis avaient dressé un acte d’accusation contre M. Assange. Les tribunaux américains ont refusé de lever les scellés sur l’acte d’accusation.
Il est extraordinaire et dangereux pour l’administration Trump de prétendre avoir le droit de poursuivre les éditeurs en Europe, les maisons d’édition européennes. L’AIJD craint que ce précédent ne soit utilisé pour mettre fin à la publication d’informations critiques dans le monde entier.
Les administrations américaines successives ont pris des mesures sans précédent au mépris total des garanties juridiques fondementales en ce qui concerne WikiLeaks, une organisation journalistique qui bénéficie à la fois de la protection du système juridique américain et du droit international des droits humains. Les tentatives des Etats-Unis d’engager des poursuites contre Julian Assange et WikiLeaks créent un dangereux précédent contre la liberté de la presse dans le monde entier.
Asile, Équateur, Royaume-Uni et États-Unis
M. Assange s’est vu accorder l’asile par l’Équateur en 2012 en raison de sa crainte légitime d’être persécuté aux États-Unis à la suite des publications de WikiLeaks. M. Assange est aujourd’hui double citoyen australo-équatorien et reste à l’ambassade de l’Équateur à Londres parce que le gouvernement britannique n’a pas donné d’assurances contre son extradition vers les États-Unis. L’arrestation de M. Assange par le Royaume-Uni se fondait sur une enquête criminelle en Suède qui a été abandonnée en 2016. Le Royaume-Uni prétend maintenant que M. Assange sera arrêté pour violation de la liberté sous caution pour avoir demandé l’asile à l’ambassade équatorienne lors de la procédure d’extradition vers la Suède dans le cadre d’une enquête pénale qui a été abandonnée depuis. Le Royaume-Uni continue de refuser de donner une assurance contre l’extradition vers les États-Unis. M. Assange a déclaré à plusieurs reprises qu’il était prêt à affronter la justice britannique, mais pas au risque de faire face à l’injustice américaine.
En raison du non-respect par le Royaume-Uni de l’octroi de l’asile par l’Équateur, M. Assange reste à l’ambassade de l’Équateur. Le Royaume-Uni refuse de lui permettre de quitter l’ambassade pour se faire soigner sans risquer d’être arrêté et extradé vers les États-Unis, ce qui, selon les médecins, a des conséquences graves et permanentes sur la santé de M. Assange. En effet, le Royaume-Uni tente de forcer M. Assange à choisir entre son droit à la santé et son droit d’asile.
État de droit et respect des décisions du Groupe de Travail sur les Détentions Arbitraires
Comme le Groupe de travail l’a clairement indiqué dans sa récente déclaration soutenue par le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme :
"Le Royaume-Uni a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et a la responsabilité d’honorer son engagement en respectant ses dispositions dans tous les cas... Comme l’a dit le Haut Commissaire aux droits de l’homme il y a plusieurs années, le droit des traités relatifs aux droits de l’homme est contraignant, il ne s’agit pas de droit facultatif. Il ne s’agit pas d’une fantaisie passagère qu’un Etat pourrait appliquer au cas par cas... les recommandations émises par le GTDA doivent être appliquées par tous les Etats, y compris ceux qui ne sont parties prenantes dans l’affaire concernant M. Assange."
Il a ajouté que le Groupe de travail craignait que la privation arbitraire de liberté persistante de M. Assange ne compromette sa santé et ne mette sa vie en danger, compte tenu de l’anxiété et du stress disproportionnés que cette privation prolongée de liberté entraîne.
En conclusion, les experts de l’ONU ont déclaré qu’il était temps que M. Assange, qui a déjà payé le prix fort pour exercer pacifiquement ses droits à la liberté d’opinion, d’expression et d’information, et pour promouvoir le droit à la vérité dans l’intérêt public, retrouve sa liberté.
Compte tenu de ce qui précède, l’AIJD exhorte les États-Unis :
- de mettre fin à ses tentatives de poursuites pénales contre WikiLeaks et Julian Assange, qui menacent les libertés fondamentales et universelles de la presse ;
L’AIJD exhorte le Royaume-Uni :
-
de se conformer à l’avis du Groupe de travail et, par conséquent, de mettre fin à l’internement indéfini de M. Assange à l’ambassade de l’Équateur à Londres, d’une manière qui soit pleinement compatible avec son statut de réfugié.
Enfin, l’AIJD exhorte l’Equateur :
- de continuer à protéger M. Assange et de demander les assurances nécessaires pour lui permettre de quitter l’ambassade sans risquer l’extradition des États-Unis.
- de mettre fin au régime d’isolement imposé à M. Assange, en suspendant l’application du prétendu Protocole spécial, et
- garantir les droits de M. Assange pendant qu’il reste à l’ambassade, y compris le droit de visite, l’accès à Internet et d’autres protections de base
Association Internationale des Juristes Démocrates
L’Association Internationale des Juristes Démocrates (« AIJD », en anglais « IADL) est une organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif auprès du Conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC). Pour plus d’informations, voir http://www.iadllaw.org/.
Traduction "La liste des défenseurs d’Assange est impressionnante, le silence médiatique aussi" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles