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Les réseaux de désoci@lisation

« Le terme de socialisation est impropre pour qualifier les espaces de rencontre d’Internet. Le mot réseau évoque un réseau de connexion mais c’est la facilité de se débrancher, déconnecter qui distingue le nouveau type de relation à l’autre. Socialisation suggère une finalité de construction des liens sociaux alors que c’est le démantèlement, la facilité de rompre les liens qui caractérise les relations cybernétiques » - Zygmunt Bauman.

Les fameux réseaux de socialisation (Facebook, Twitter, Myspace) correspondent à une société qui met l’accent sur les compétences comportementales en lieu et place des connaissances et de la pratique. Le savoir-être est devenu peu à peu le critère déterminant de promotion et de prestige social au détriment du savoir et du savoir-faire. Cette faculté correspond à la capacité de produire des actions et des réactions adaptées à un environnement social et à fluctuer avec celui-ci. Se faire valoir à travers le développement d’un réseau de communication dans lequel on va occuper une position centrale est donc une stratégie requise par le nouveau cadre socioéconomique.

On se constitue un patrimoine relationnel, à côté du patrimoine culturel et économique, dans une démarche utilitaire. L’impact du réseau dépend de la densité du maillage et de la valeur des relations. La faiblesse de ce capital - notamment en ce qui concerne les jeunes issus de milieux défavorisés- hypothèque sérieusement l’ascension sociale.

La quantité des relations et des échanges est la substance même de la relation. On amasse les contacts avec un investissement a minima. On migre d’un réseau à l’autre, d’un cercle à un autre de façon versatile. En écho à la chosification du vivant, on s’approprie des « amis ». On accumule des contacts comme on accumule du capital. Le fait de communiquer est plus important que le contenu des échanges ; on comprend mieux dès lors la vacuité navrante des échanges qui restent pour une grande part superficiels. Il importe surtout de préserver le lien jusqu’à son activation au moment opportun.

Dans notre société panoptique, chacun scénarise sa vie, se dévoile impudiquement. Ne pas communiquer est mal perçu et attire la suspicion. On existe que si l’on est vu. Celui qui ne participe pas risque de se retrouver en dehors du monde et de subir la vindicte par l’oubli.

La floraison des réseaux dits de socialisation n’est pas aussi spontanée qu’elle en a l’air. L’engouement en question ne résulte pas d’un simple phénomène de mode - même si ce phénomène existe. Le journaliste chilien, Ernesto Carmona, révèle dans un article récent les accointances de la CIA dans le développement de Facebook. (*)

Le complexe de communication-information s’intègre à une société construite sur la servitude consentie. Là où les moyens coercitifs de collecte de renseignements d’ordre privé sont difficilement justifiables d’un point de vue moral et légal, les individus s’exposent à l’envi dans les vitrines virtuelles. On y fait état de ses attraits, sensibilités, orientations politiques ou sexuelles. On y dit tout mais il y manque l’élément constitutif de toute relation véritable : l’affectif.

L’information, c’est du pouvoir. Les individus dévoilent sur les sites de socialisation leur profil psychologique et politique de leur propre chef. Ils répondent avant d’être interrogés aux questions que les autorités n’oseraient même pas leur poser. Alors que le projet EDVIGE en France a suscité une vive controverse, le même objectif est atteint sans peine par des voies détournées. Il n’est pas difficile d’imaginer l’exploitation politique malintentionnée et la valorisation économique de cette compilation de renseignements apparemment anodins.

Pour dominer les esprits, il n’est pas nécessaire d’user de moyens de contrainte. Il est autrement plus efficace d’induire un type de comportement par suggestion et impulsion.

En fait de démarche personnelle tendue à la satisfaction d’un besoin réel, les individus expriment via leur désir névrotique de communication leur intégration à la société, leur degré d’insertion au nouveau cadre économique. Les qualités les plus appréciées par le marché sont désormais la polyvalence, la malléabilité, la conformation et non pas le savoir pratique et théorique. Il faut avant tout faire preuve de soumission, de mobilité et d’adaptation pour se promouvoir dans le monde du travail. Il faut être un matériau souple qui sera modelé et remodelé suivant les exigences de l’entreprise. La société toute entière travaille à la construction d’êtres dépersonnalisés qui pourront être reprogrammés suivant les exigences du marché.

Pour Philippe Breton, « loin de correspondre à l’émergence d’une convivialité planétaire, le cyberespace favorise en réalité l’efflorescence de petites communautés repliées sur elles-mêmes. La communication via l’ordinateur n’est qu’un ersatz de lien social, et les fameux réseaux développent surtout l’inaptitude à la rencontre directe ».

Il ne faut pas s’illusionner. Internet et la nouvelle économie, sous leur forme actuelle, ne sont pas en train de constituer la communauté réconciliée des hommes. Au contraire, les contacts virtuels ont tendance à séparer du monde réel et à appauvrir les échanges humains authentiques.

Emrah Kaynak

(*) lire "Facebook appartient-il à la CIA ?" par Ernesto Carmona
http://www.michelcollon.info/index.php?option=com_content&view=article&id=2091:facebook-appartient-il-a-la-cia-&catid=6:articles&Itemid=11

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