Ci-dessous une information et une analyse importantes du collectif "Indépendance des chercheurs" :
12.11.2008
Le plateau de Saclay et la casse des etablissements publics de recherche
Le Conseil des Ministres du 12 novembre a donné lieu à un communiqué concernant le projet d’aménagement du Plateau de Saclay. Au détriment notamment du Centre National de la Recherche Scientique (CNRS) et du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), le projet présenté par le secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale prévoit la mise en place d’un nouveau type d’établissement public dont la gouvernance sera « partagée entre l’Etat, les collectivités territoriales, la communauté scientifique et les entreprises, avec un exécutif désigné par l’Etat ». Il s’agit d’une mise en cause directe du rôle des Etablissements Publics à caractère Scientifique et Technologique (EPST) comme le CNRS et des Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC) comme le CEA. Une stratégie de privatisation et de dislocation des organismes nationaux, qui paraît anachronique au moment où aux Etats-Unis Barack Obama promet de doubler le budget de la recherche fédérale.
Disparition de postes au CNRS, projets de dislocation du Centre, mise en cause simultanée du statut des enseignants-chercheurs... et la déclaration de Valérie Pécresse du 27 octobre sur RTL : « Nous n’avons pas besoin aujourd’hui de davantage de chercheurs ». Deux semaines après cette déclaration, un projet de réorganisation du plateau de Saclay est annoncé en même temps que la poursuite du redécoupage « par campus » de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Ingrédient essentiel de la privatisation progressive de la recherche publique, ce démantèlement des structures héritées de la Libération s’accompagne du renforcement des pouvoirs discrétionnaires de quelques coupoles universitaires. La même stratégie, précisément, à laquelle le nouveau Président des Etats-Unis s’apprête à renoncer cherchant à préserver la superpuissance US de la décadence.
Face au déclin de l’hégémonie des USA et aux problèmes croissants de l’économie de son pays, Barack Obama reprend des ingrédients de cette même politique française de la Libération dont on cherche chez nous à effacer les traces. Il serait grand temps de retirer le projet de « réforme » du CNRS, mais le Ministère de tutelle semble préférer la fuite en avant.
Le refus de créer des emplois stables au CNRS et dans d’autres établissements publics français s’explique aisément dans une stratégie de gestion théoriquement conjointe « public - privé ». Une « gouvernance » où les multinationales et les milieux financiers dicteront leur loi et qui sera porteuse de précarité, de bas salaires pour la « main d’oeuvre intellectuelle », de sous-traitances, de délocalisations et de perte d’indépendance pour les scientifiques. Au prix de nouvelles régressions citoyennes, économiques et sociales.
Précisément, cette politique a déjà considérablement contribué à l’actuelle crise économique. Les délocalisations ont généré le chômage des travailleurs intellectuels, affaibli le potentiel des pays qui les pratiquent et provoqué un effondrement de l’économie. Mais le gouvernement français persiste et signe. Sans doute, les transactions et opérations qui accompagneront des remaniements comme ceux prévis autour du Plateau de Saclay rapporteront des bénéfices considérables à quelques-uns. Au prix d’un nouveau recul de la création de richesse.
Le mot « campus » était souvent brandi dans la politique française comme une sorte d’incantation pour évoquer un mythique « modèle américain » que l’on assimilait à une prétendue « modernité ». Maintenant que ce « modèle » est remis en question Outre-Atlantique, à quoi sert en France l’Opération Campus ?
Le projet défendu le 12 novembre par Christian Blanc en Conseil des Ministres est décrit comme la « création d’un pôle scientifique et technologique », auquel on attribue de surcroît une « vocation mondiale ». Mais la réalité est que cette zone de la banlieue parisienne contient déjà la plus importante concentration de personnels et de moyens de la recherche publique française, et que son rôle international ne date pas d’aujourd’hui. De même, on parle de créations d’emplois, alors que le refus de préserver en 2009 les effectifs de la recherche publique et de l’enseignement supérieur indique clairement le contraire. Tout comme la fragilisation progressive des statuts des personnels.
Globalement, l’opération du Plateau de Saclay apparaît avant tout, dans l’actuelle crise financière, comme une nouvelle machine à transférer des moyens de l’Etat vers le secteur privé. On cherche par tous les moyens à mettre en place aux frais des contribuables des structures de grands campus destinés à devenir privés, au détriment des actuels établissements de recherche et d’enseignement supérieur publics. Que peut-on attendre d’une telle stratégie ? Quel a été le résultat des privatisations des deux dernières décennies ?
La phagocytose de l’argent public par quelques lobbies industriels et financiers ne résoudra pas les problèmes de base qui se trouvent à l’origine de la présente débâcle économique. Bien au contraire. Avec une telle politique, l’avenir s’annonce encore pire que le présent. Alors que l’OCDE annonce officiellement la récession pour 2009, Nicolas Sarkozy et le gouvernement font payer par l’Etat et par les organismes publics la facture d’une crise déclenchée par ceux-mêmes qu’ils cherchent à aider. Quelles en seront les conséquences ?
Et quelles sont les raisons des tensions rapportées par les médias ces dernières semaines ? Le Monde du 28 octobre parle de « reunions interministérielles houleuses » entre les cabinets de Valérie Pécresse et de Christian Blanc. Il est également fait état de la démission de Philippe Lagayette (vice-président Europe - Moyen-Orient - Afrique de la banque JP Morgan et président du Conseil d’Administration de l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques, IHES) de la présidence de la Fondation Digitéo - Triangle de la Physique censée apporter la base scientifique du projet du Plateau de Saclay dans le cadre de l’Opération Campus.
Mais sans doute, l’aspect le plus inquiétant de la privatisation de la recherche et de l’enseignement supérieur sur le Plateau de Saclay est qu’elle risque de concerner entre autres des secteurs stratégiques. Notamment, des domaines directement liés à la mission de contrôle du fonctionnement de la société censée revenir en tout état de cause à la recherche publique. Pareil pour des activités intéressant directement la souveraineté de la France. Y compris par rapport à l’énergie, à la maîtrise et aux conséquences des nouvelles technologies, à la santé et au bien-être de la population... Sur ces questions essentielles, aucun inventaire précis ne semble avoir été fourni. D’autant plus, qu’il ne s’agit que du début d’un processus.