Les manifestations du 29 janvier furent massives : 80000 marcheurs à Toulouse, 40000 à Nîmes, pour ne citer que deux chiffres.
A cette occasion, les journalistes de télévision interviewèrent des manifestants qui « n’avaient jamais fait grève de [leur] vie ».
Sur le coup, je trouvai ces prises de parole bien sympathiques : elles témoignaient du rejet de plus en plus viscéral d’un Président de la République à la solde du CAC 40 et des lobbies financiers internationaux, et aussi, malheureusement, de l’angoisse qui étreint désormais des millions de nos concitoyens.
Mais, rapidement, j’éprouvai de la colère vis-à -vis de ces néo-manifestants. Je me dis que si ces benêts, ces ventres mous s’étaient mobilisés un peu plus souvent dans le passé, nous n’en serions peut-être pas là .
Et puis, il y avait implicitement cette idée selon laquelle il existe des grèves nobles (si possible consensuelles), que soutiennent les gens bien, et donc des grèves ignobles, pour la valetaille, « les syndicats », ceux qui, à tout bout de champ, provoquent l’ire des « usagers » (que l’on redécouvre à l’occasion) dont ils pourrissent la vie.
Assurément, la perspective du " grand soir " sourit à tous. Mais en attendant ce grand moment précédant tout naturellement une " aube nouvelle " , il faut bien parer les coups, rester en éveil, s’organiser pour que la vie de nos enfants soit un peu moins pénible que celle d’Oliver Twist. Il convient d’expliquer à ces puceaux que la vie militante n’est pas éclatante. C’est un travail de fourmi, frustrant, sisyphien avec, par les temps qui courent, davantage de reculs que d’avancées. Ce sont des heures, sans compter, au service des autres, mais qui, dans le même temps nous forment, nous sociabilisent. Orwell, encore lui, estimait qu’il valait mieux faire progresser un million de personnes d’un mètre que de faire faire un pas d’un million de mètres à une seule personne.
J’entendais hier un " grand " (comme on dit dans le poste) professeur d’Université (il se dit « plutôt de gauche » - comment peut-on être « plutôt » de gauche, ou de droite, d’ailleurs ?), spécialiste de droit public, donc parfaitement à même de lire les textes officiels, déclarer, à l’occasion de la contestation qui s’organise et s’amplifie contre la modification du statut des universitaires, que, pour la première fois de sa vie, il était résolu à mener une longue grève. C’est merveilleux. La Loi Pécresse, de « rénovation des universités », a été votée il y a un an et demi. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que cette « réforme » visait principalement trois objectifs :
– privatiser l’Université
– organiser une concurrence effrénée entre les établissements et les personnels
– faire sortir les universitaires de la Fonction publique.
Il suffisait tout simplement de s’informer, de faire dix minutes de dialectique pour comprendre que ce projet avait sa logique interne, qu’il entrait en cohérence avec d’autres « réformes », et qu’il n’avait pas jailli spontanément des cerveaux de Sarkozy ou de Pécresse mais avait été inspiré, depuis au moins un quart de siècle, par des travaux parfaitement accessibles (pour qui se donne la peine de cliquer sur une souris d’ordinateur) de la Commission de Bruxelles, du Patronat, des clubs de réflexion de droite où se fourvoient avec délice certains de nos " sociaux-libéraux " . Il aurait donc fallu réfléchir et battre le pavé au moment opportun , l’histoire ne repassant jamais tout à fait les mêmes plats.
Le problème de nos puceaux, de nos grévistes d’un jour - si Grand soit-il - c’est, outre qu’ils ont une trop grande idée d’eux-mêmes, de penser que la vie militante est un frisson épiphanique, un solipsisme merveilleux, et d’imaginer que tout se règle dès lors qu’ils ont décidé de mettre un pied devant l’autre.