Dans le premier panel modéré par la députée européenne Malika Benarab-Attou (Verts européens), Fathi Chamkhi (RAID-ATTAC-CADTM Tunisie) a souligné l’hypocrisie des puissances européennes qui ont soutenu le dictateur Ben Ali jusqu’au bout contre le peuple tunisien, pour préserver les intérêts de leurs transnationales. Il signale que "les révolutions qui secouent la rive sud de la méditerranée en sonnant le glas des dictatures annoncent aussi la fin de l’époque des dominations et du néocolonialisme" et appelle l’Europe à "mettre en place des vraies politiques de coopération négociées d’égal à égal, avec les peuples, désormais souverains, du Sud" |2|. De même qu’il s’est affranchi de la dictature de Ben Ali, le peuple tunisien veut s’affranchir du fardeau de la dette, au coeur de ce système de domination et de spolation. RAID-ATTAC-CADTM Tunisie est à l’initiative de la campagne pour la suspension du paiement de la dette lancée en Tunisie. Ce moratoire exigé sur cette dette (avec gel des intérêts) est d’autant plus urgent que le gouvernement provisoire prévoit d’affecter, dès le mois d’avril, 410 millions d’euros sur les 577 millions d’euros destinés cette année à son remboursement (l’équivalent de six fois le budget de la santé !).
Comme le souligne cet appel : « Suspendre le paiement de 577 millions d’euros ne nuira en rien aux créanciers de la Tunisie. Par contre, payer cette somme ne fera qu’aggraver la situation du peuple tunisien !" . Fathi Chamkhi a expliqué que la Tunisie "est devenue, sous le long règne de la dictature, un fournisseur net de capitaux au titre de la dette. Désormais, c’est la Tunisie qui finance les riches créanciers du Nord et non le contraire" . Alors que les prêts augmentaient sous la dictature, "dans le même temps, la pauvreté, le chômage et le pouvoir d’achat moyen se sont dégradés de manière significative : plus de 10% des Tunisiens vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté, le taux de chômage dépasse 15% et concerne dans 3 cas sur 4 des jeunes de moins de 34 ans, qui sont surtout des diplômés de l’université.(…) Seule une minorité en a profité. Le dictateur et ses proches sont ceux qui ont le plus bénéficié de cette dette" .
Fathi Chamkhi a également mis en évidence la lettre adressée par un collectif d’associations tunisiennes (dont RAID-ATTAC-CADTM Tunisie) au gouverneur de la Banque centrale de Tunisie |3| pour exiger le moratoire sur la dette tunisienne en attendant l’élection de l’Assemblée constituante prévue le 24 juillet prochain et la formation d’un gouvernement démocratiquement élu (le gouvernement provisoire n’ayant aucune légitimité pour effectuer ce paiement) et la réalisation d’un audit de la dette afin de déterminer sa part odieuse, c’est-à -dire celle qui n’a pas servi aux Tunisien-ne-s et qu’il faut donc répudier sans conditions.
Mohammed Ellouze, avocat et membre fondateur de l’association tunisienne contre la torture, a fait un état des lieux des avoirs illicites du clan Ben Ali, qui ont évolué au même rythme que la dette, avec la complicité des pays européens. Il a insisté sur le fait que l’Union européenne et ses pays membres se sont appuyés sur cette "voyoucratie" pour construire une Tunisie ultralibérale, où les capitaux européens ont pu s’assurer la mainmise sur les banques, les transports, le commerce, etc., tandis que les conditions de vie des populations devenaient toujours plus insupportables. La Tunisie a pris un décret portant sur le rapatriement en Tunisie des biens mals acquis de Ben Ali et ses proches, placés à l’étranger. Mohammed Ellouze a également souligné la difficulté de récupérer ces biens sans collaboration effective des autres pays, et rappelé les obligations des Etats européens qui ont ratifié à la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la corruption. Cette convention consacre notamment la restitution des avoirs détournés comme un principe fondamental du droit international. M. Ellouze a conclu qu’il n’est pas compliqué pour les Etats européens de détecter la corruption et les biens mals acquis, dès lors qu’ils ont la volonté politique de le faire.
En direct depuis Tunis (en conférence téléphonique), Kamel Jendoubi, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH), a rappelé que « le régime de Ben Ali n’a pas disparu, il a été touché à la tête, il est assommé, mais n’a pas disparu ». Pour lui, l’annulation des créances européennes à l’égard de la Tunisie signifierait un signal fort de la part de l’UE. Il s’est également insurgé contre le traitement reservé aux migrant-e-s en Europe et appelle l’UE et ses Etats membres à revoir leurs politiques migratoires et de coopération.
Le second Panel, dans lequel est notamment intervenue la députée européenne Ines Ayala Sendera (PSE), a porté sur le rôle néfaste de la Banque européenne d’investissement (BEI) en Tunisie et du projet de Banque euro-méditerranéenne, dénoncé par plusieurs participant-e-s. La modératice Selma Benkhelifa, avocate et membre du Front du 14 janvier, a souligné que la BEI dispose d’un portefeuille de prêts deux fois plus important que la Banque mondiale et qu’à l’instar de cette dernière, l’action de la BEI est davantage motivée par des considérations liées au profit que par le soucis d’améliorer les conditions de vie des populations. Elle a rappelé la clause relative aux droits de l’homme dans les contrats et questionné l’absence de mécanisme adéquat visant à vérifier et sanctionner un gouvernement niant les droits fondamentaux de son peuple. L’autre intervenante de ce panel, Oygunn Brynildsen (EURODAD), a mis en évidence le manque de transparence et la difficulté à retracer les activités de prêts de cette institution |4|. Elle a rappelé que l’Union européenne et la BEI ont jusqu’à présent soutenu politiquement et financièrement les régimes en Afrique du Nord, dont celui de Ben Ali. Dès lors, elle appuie également la nécessité d’un moratoire sur la dette tunisienne et d’un audit de ces prêts afin d’apprécier s’ils ont bénéficié aux élites corrompues ou au peuple.
Enfin, Éric Toussaint (président du CADTM Belgique) a fait la synthèse des différentes interventions en soulignant que le peuple tunisien est parfaitement en mesure de prendre les décisions clé quant à son avenir mais que le Nord doit cesser d’entraver le développement des populations, en mettant fin à l’évasion des capitaux, au pillage des ressources par les multinationales et les institutions financières internationales, etc. Il a en outre souligné que le régime dictatorial tunisien a été renversé par un mouvement populaire profond et que la dette contractée sous la dictature de Ben Ali revêt la qualification juridique de « dette odieuse » : il s’agit d’une dette personnelle du régime, dont les créanciers ne peuvent exiger le remboursement, sinon auprès du régime de Ben Ali |5|. Eric Toussaint rappelle qu’il y a de nombreux précédents d’annulation/répudation de dettes dans l’Histoire. Il cite l’exemple de la Norvège qui, sous la pression des mouvements sociaux, a annulé unilatéralement et sans conditions des dettes de cinq pays - Équateur, Égypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone -, reconnaissant sa part de responsabilité dans leur endettement illégitime |6|.
La députée européenne Marie-Christine Vergiat (GUE/NGL) a clos cette conférence en appelant les parlementaires européens et nationaux à signer le plus rapidement possible l’appel lancé par le CADTM à destination de ces parlementaires pour la suspension immédiate du remboursement des créances européennes sur la Tunisie (avec gel des intérêts) et la mise en place d’un audit de ces créances |7|. Cet appel qui devrait renforcer la campagne tunisienne vise, à court terme, à faire pression sur le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie pour qu’il suspende le remboursement de cette dette.
notes articles :
Cécile Lamarque, Renaud Vivien
http://www.cadtm.org/Les-parlementaires-et-les-citoyen
28 mars 2011