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Une critique du film "Avant la Nuit"

Les Gays à Cuba, et l’école de falsification de Hollywood.

"Avant la Nuit" n’est pas un film bâcle. Au contraire, c’est du cinéma finement ciselé, avec de bons acteurs de niveau international tels que Javier Bardem, Olivier Martinez, Andrea Di Stefano, Johnny Depp et Sean Penn.

Cette production US, dirigée par Julian Schnabel et tournée au Mexique, a reçu de nombreux prix grâce à la qualité de ses images et une charge émotionnelle à vous briser le coeur. Qualifié "d’histoire vraie", ce film est rempli aussi de demi-vérités et de sornettes anti-castristes présentés comme de l’art et de la poésie, le tout enrobé de sexe. Et, fidèle à un certain genre, l’homosexuel meure avant le générique de fin.

Ce film est une version épurée de la vie du poète et écrivain Cubain Reinaldo Arenas. On nous montre son enfance pauvre, ses talents de poète et ses premiers penchants pour ceux du même sexe.

Nous suivons son évolution sociale et hormonale, son voyage comme auteur, ses frustrations face à l’homophobie d’une époque, ses désillusions sur Cuba, son emprisonnement.

Nous assistons à l’auto-exil d’Arenas, à sa vie à New-York où il attrape le SIDA, vit dans une misère noire, écrit beaucoup sur Cuba, et se suicide en 1990.

On sort de la salle de projection avec l’impression d’un Cuba aussi corrompu qu’un état policier stalinien - un goulag pour homosexuels, intellectuels et artistes. Est-ce que ça marche ? A voir la consommation de mouchoirs en papier de nos voisins de séance, il semblerait que oui.

Est-ce que nous vous conseillons de boycotter ce film ? Non. Mais nous vous demandons de le regarder avec un oeil critique. Nous ne connaissons pas un seul Cubain, qu’il soit partisan ou adversaire du régime, qui trouve le film crédible. Pas plus que les militants gay intelligents.

Dans le Guardian du 7 Mai 2001, le Dr. Steve Williamson, un expert de l’oeuvre d’Arenas, dit que le film "rabâche une histoire très vieille et déformée". Il pense que le poète souffrait de paranoïa, sinon de démence, lorsqu’il écrivit "Avant la Nuit" dans les derniers moments de sa vie.

Williamson ajoute : "Cuba a énormément changé depuis cette époque. C’est de loin le pays le plus progressiste de toute l’Amérique latine en ce qui concerne les droits des gays. A l’évidence, [Arenas] a souffert ce qu’il a vécu durant cette période à Cuba, ce qui fut une erreur, mais si on prend au pied de la lettre ce qu’il a écrit ou ce que le film montre, on est en train de falsifier l’histoire."

Le film présume que le public est aveugle ou ignorant, mais pas forcément totalement hostile à la réalité Cubaine. Pourtant, par une étrange pirouette cinématographique, il fait l’impasse sur les progrès énormes accomplis pour les travailleurs, les femmes, les gens de couleur et, bien entendu, les gays à Cuba depuis 1959. La disparition de la faim, des sans-logis, de l’analphabétisme, du taux de mortalité infantile élevé et de la domination étrangère sur l’île sont bien sûr indiscutables - grâce à la Révolution.

Ce fut sous le règne de Clinton/Bush que fut déclenchée la vague de mélodrames anti-Cubains autour de l’homosexualité. Le mythe persistant, promu principalement par les cubano-américains d’extrême-droite (dont la plupart sont violemment homophobes), que l’homosexualité serait illégale à Cuba, que les gays et les lesbiennes seraient bannis du Parti Communiste et qu’ils seraient maltraités et jetés en prison ne sont que des balivernes.

Cette contre-vérité est très prisée chez les progressistes septiques et la communauté gay. C’est ce public là qui est visé par le film. Il est nécessaire de contrer ces affabulations par des faits. Les voici.

UNE HISTOIRE BREVE DES HOMOSEXUELS A CUBA

Avant le Révolution de 1959, la vie des lesbiennes et des gays était marquée par un isolement extrême et une répression inscrite dans la loi et renforcée par le dogme Catholique. Les attitudes patriarchales rendaient les lesbiennes invisibles. Si elles étaient démasquées, elles étaient souvent victimes de violences sexuelles, d’une mise à l’écart de la communauté et de la perte de leur emploi. Le milieu clandestin des gays à la Havane " environ 200.000 " était un bouillon de prostitution pour le tourisme des États-Unis, d’asservissements, de menaces constantes et de chantages. La mise au placard était de rigueur. La survie passait souvent par de faux mariages hétérosexuels, ou par un bannissement dans le ghetto gay. La vie des homos à Cuba ressemblait en tous points à celle des homos des autres pays.

Après la Révolution, l’égalité des sexes fut inscrite dans la loi, y compris pour les salaires, la garde des enfants, l’avortement, le service militaire, entre autres conquêtes historiques, élevant ainsi le statut social et politique des femmes. Cette politique, une première en Amérique latine, a joué un grand rôle pour l’indépendance des femmes et leur liberté sexuelle, un prérequis à la libération homosexuelle. La Révolution a aussi détruit la prostitution contrôlée par la Mafia et alimentée par le tourisme US qui maintenait les homosexuels et lesbiennes sous un joug.

La Révolution entreprit de fournir une éducation et un emploi aux femmes prostituées. Les lesbiennes bénéficiaient des avancées sociales des femmes en général, et beaucoup sont devenues de ferventes partisanes de la Révolution. D’un autre coté, une minorité importante d’hommes gays quittèrent le pays. Certains ont rejoint les expatriés contre-révolutionnaires à Miami ou y ont été forcés par le chantage. Ironiquement, les États-Unis, tout en menant la chasse aux homosexuels et les jetant en prison dans la période du McCarthysme, ouvrait grand les bras aux Cubains gays dans le cadre de la tentative de déstabilisation généralisée du régime castriste.

Le machisme latin, la bigoterie catholique et l’homophobie stalinienne se sont combinées au début de la Révolution pour limiter les réformes légales pour les lesbiennes et les gays. Cependant, ces derniers ont joint leurs efforts dans la construction du Socialisme : la majorité espérait un avenir meilleur, tout en gardant un profil bas.

En 1965, Cuba était soumis aux agressions des Etats-Unis (Baie des Cochons en 1961, Crise des Missiles en 1962, des incursions militaires et biologiques incessantes à partir de la Floride). Des brigands contre-révolutionnaires sévissaient dans les montagnes de l’Escambray. Dans un effort maladroit de faire participer aux efforts de la récolte de canne à sucre tous ceux qui réussissaient à échapper au service militaire " depuis les gays jusqu’aux Témoins de Jéhovah en passant par les travestis " , le gouvernement créa les Unités Militaires d’Aide à la Production (UMAP). A la suite de pressions internes et internationales, et aussi suite à une intervention politique directe de Fidel Castro, les UMAPs furent supprimées 18 mois plus tard. Les Cubains considèrent le projet des UMAPs comme une grave erreur et une atteinte au principe d’égalité socialiste. Cependant, la droite persiste à décrire les UMAPs comme des camps de concentration, et laissent entendre qu’elles existent toujours. "Avant la Nuit" se sert des UMAPs pour renforcer l’image d’un Cuba transformé en colonie pénitencier pour les gays.

A la fin des années 60, l’attitude de Cuba à l’égard des lesbiennes et des gays était en synchronisation avec les pays d’Europe ou le Canada. L’homosexualité était traitée comme une "maladie" qui devait être soignée et non plus comme une activité criminelle.

Dans les années 70, on abandonna la notion importée du Stalinisme-Maoisme selon laquelle l’homosexualité était une "manifestation de la décadence capitaliste". L’Homosexualité était perçue comme une forme de comportement sexuel qu’il fallait étudier.

En 1971, un pas en arrière fut accompli lorsqu’un Congrès Culturel a adopté une déclaration qui stipulait "qu’aucun homosexuel ne pouvait représenter Cuba". Le décret fut contesté devant la justice par un groupe de théâtre et fût finalement abrogé deux ans plus tard. Tout comme au Canada dans les années 70 et début 80, les gays Cubains souffraient du harcèlement routinier des policiers et faisaient l’objet de dénonciations honteuses en public. Mais à Cuba il n’y a jamais eu de tortures pratiquées sur les gays.

LE BOND EN AVANT

1975 : les lois qui limitaient l’emploi des homosexuels dans les domaines de l’art et de l’éducation sont abrogées. Un code de la famille fût adopté qui préconisait une responsabilisation à égalité entre hommes et femmes pour l’éducation des enfants et les tâches ménagers.

1979 : les actes homosexuels sont dépénalisés.

1981 : le bestseller Cubain "Pour défendre l’amour" (traduction du titre anglais), par le Dr Sigfried Schnabl, déclare que l’homosexualité "n’est pas une maladie, mais une variante de la sexualité humaine".

1986 : La Commission Nationale sur l’Education Sexuelle présente un programme sur l’homosexualité et la bisexualité qualifiées de saines et positives.

1987 : Interdiction pour la police de harceler les gens pour leur apparence ou leur manière de s’habiller. Cette interdiction profite largement aux gays.

1988 : la loi contre l’homosexualité "ostensible" est abrogée. Fidel Castro explique qu’il est temps de rejeter les rigidités et de changer les attitudes négatives envers les gays dans le Parti et la société .

1992 : Vilma Espin, dirigeante de la Révolution et présidente de la Fédération des Femmes Cubaines condamne les préjudices à l’égard des gays et lesbiennes. Castro s’exprime en faveur de l’égalité des femmes et rejette les sentiments anti-gays : "je suis absolument contre toute forme de répression, de mépris, de critique ou de discrimination à l’égard des homosexuels. [Il s’agit] d’une tendance humaine naturelle qu’il faut simplement respecter."

1993 : Sortie du film à succès financé par l’Etat, "Fraise et Chocolat", qui critique la discrimination des gays par le Parti Communiste dans les années 70 et 80. Le film remporte un très vif succès à Cuba et reçoit les louanges du monde entier. Le premier groupe de gays pour combattre le SIDA est lancé.

1994 : le documentaire "Gay Cuba", de l’états-unien Sonja de Vries, examine avec franchise la situation des droits des gays sur l’île. Le film est projeté à l’ouverture d’une soirée de la Fédération des Femmes Cubaines (FFC). La FFC invite des gays états-uniens à visiter l’île.

1995 : le documentaire cubain "papillons sur l’échafaud" (traduction du titre anglais, "papillon" = expression pour dire "gay") raconte comment des travestis se sont intégrés dans un quartier de la Havane. Des gays et travestis Cubains dansent en tête du cortège du 1er Mai à la Havane, et deux délégations états-uniennes de gays participent à la marche.

1997 : les dernières traces de références anti-homos dans la loi cubaine sont supprimées.

1998 : un programme national à la télévision cubaine lance une série de débats sur les lesbiennes et les gays. Pendant les semaines qui suivent, le sujet provoque des discussions à travers le pays.

AUTRE LUTTE, AUTRE COMBAT

Contrairement à beaucoup de leaders gays au Canada qui considèrent que la fin du fin seraient que les mariages gays bénéficient des mêmes avantages et droits que les mariages mixtes, les lesbiennes et gays de Cuba ont d’autres préoccupations. A Cuba, le mariage n’est pas considéré comme un but ultime dans la vie. Le système social Cubain garantie une protection à vie pour tous, particulièrement pour les enfants et les personnes âgées.

De même que la santé, l’alimentation, le logement, l’éducation et l’emploi ne constituent pas un enjeu majeur pour les gays à Cuba, comme cela est le cas dans des pays "avancés". Les malades du SIDA à Cuba (qui a le plus faible taux de sidéens de toute l’Amérique), reçoivent l’intégralité de leur salaire et bénéficient de soins gratuits, qu’ils soient en capacité de travailler ou non.

La violence physique contre les gays a disparu depuis 1959. Les médias ne décrivent pas les gays et lesbiennes comme des hédonistes, des narcissiques ou des pédérastes. Il n’y a pas de groupes de pressions richement financés et des manifestations homophobes.

Les lesbiennes, les gays et les travestis peuvent se réunir librement, tant qu’il n’y a pas de drogues ou de prostitution en cause.

Les transsexuels bénéficient d’opérations chirurgicales prises en charge par l’Etat. Les syndicats, les écoles et les organisations de masse défendent officiellement leur membres homosexuels contre les discriminations. Les harcèlements mineurs de la part de la police sont en nette baisse.

La lutte pour les droits des homosexuels à Cuba ne présente pas le mêmes caractéristiques que chez nous parce que de nombreux objectifs légaux et les revendications d’égalité d’ici sont déjà satisfaits là -bas. Ce que les homosexuels Cubains réclament est le respect total et la dignité dans le milieu social, et la reconnaissance que leur contribution à la société en tant que gays, lesbiennes et travestis vaut autant que celle de leurs compatriotes hétérosexuels.

AUCUN HOMO N’EST LIBRE SI TOUT LE MONDE N’EST PAS LIBRE

A chaque nouvelle du meurtre d’un gay aux Etats-Unis ou ailleurs, les Cubains sont révulsés d’horreur, et prennent toute la mesure des obstacles qu’ils ont réussi à surmonter et des erreurs qu’ils ont évitées dans le passé, et renforcent leur détermination à intégrer leur propres citoyens gays. Au début des années 60, une section du Parti Communiste Cubain considérait l’homosexualité comme une déviation capitaliste. A présent, les Cubains comprennent que la haine et la discrimination contre les gays, ainsi que contre les femmes ou les gens de couleur, est plutôt une maladie du capitalisme. De nombreux universitaires, de dirigeants politiques ou d’organisations de base expriment cette opinion, de même que les femmes dans la rue. Au vue de cette transformation et de cette compréhension, on peut vraiment dire que "la Révolution est une école de réflexion sans entraves".

Le blocus des Etats-Unis est la première cause des souffrances des homosexuels. Le manque de ressources empêche l’amélioration du niveau de vie à laquelle aspirent les gays et tous les Cubains (et qu’ils méritent). La rareté des lieux de rencontre publics et privés pose un problème majeur pour les gays, comme on peut l’imaginer. Les offres d’emploi dans les filières recherchées sont rares. La fin du blocus permettrait une amélioration de l’emploi et des salaires, mettant fin à une certaine tendance des gays et lesbiennes à tourner autour de la prostitution pour améliorer leur revenus, ou à quitter le pays pour les mêmes raisons. Comme leurs collègues hétéros, les homos Cubains veulent avoir les moyens financiers pour voyager, renouveler leur garde-robe, avoir plus de transports publics et privés, et des logements plus spacieux.

D’après nous, dans les 10 ans qui viennent, Cuba deviendra le leader mondial de la dignité et de l’égalité des gays dans monde. Nous croyons que la plus grande solidarité que nous puissions offrir est d’aider à la levée du blocus. Nous avons beaucoup à apprendre de nos frères et soeurs Cubains, y compris sur la supériorité de leur système économique et social.

La Révolution socialiste a garanti des conditions de sécurité et de dignité pour les travailleurs et particulièrement pour les femmes : des conditions dont rêvent et luttent encore les Américains du Nord. Elle a jeté les bases d’un changement social progressiste et une liberté de pensée. Malheureusement, M. Schnabel et toute l’équipe "d’Avant la Nuit" sont plutôt des obstacles sur le chemin de la liberté des homosexuels.

Leonardo Hechavarrià­, Marcel Hatch

LES AUTEURS : Leonardo Hechavarria, citoyen cubain, est traducteur et interprète. C’est un partisan fervent de la Révolution et milite pour la reconnaissance des lesbiennes et des gays dans son pays. Marcel Hatch est typographe et un vétéran de la lutte pour les droits des homosexuels au Canada. Ils organisent chaque année à Cuba la Tournée d’Education de Nouveau Parti Démocratique [du Canada], sponsorisée par le Mouvement de la Paix Cubain (voir www.ndpsocialists.ca). Vous pouvez contacter Hechavarria et Hatch à l’adresse suivante : cubatour@ndpsocialists.ca

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Eugenio Balari
in Medea Benjamin, "Soul Searching," NACLA Report on the Americas 24, 2 (August 1990) : 23-31.

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