Ces entités privées, aussi surnommées « fonds rapaces », sont des fonds d’investissement spécialisés dans le rachat à bas prix de dettes en défaut, dont ils tirent ensuite profit en poussant le pays concerné à les rembourser au prix fort.
Leurs noms ? Elliott Management, FG Hemisphere, Aurelius, etc. Pour Jean Ziegler, nommé rapporteur du groupe chargé de travailler sur le sujet au comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, ces hedge funds ne sont rien d’autre que des « terroristes ». Il cite le cas de l’Argentine, mise à genoux par Elliott Management, qui refuse de réduire la dette du pays et a récemment obtenu gain de cause devant les tribunaux américains : Buenos Aires devra s’acquitter en priorité de la somme de 1,3 milliard de dollars (1,18 milliard d’euros) qu’il doit aux fonds vautours, dont Elliott Management. C’est cette affaire qui a précisément poussé l’ONU à s’emparer de la question.
Des Etats pris à la gorge
Mais l’Argentine n’est pas la seule concernée. Actuellement, relève le rapport, quelque 26 fonds vautours mènent 223 procédures judiciaires contre 48 Etats. Comme il n’existe pas de législation internationale pour réguler leur activité, ces sociétés portent souvent plainte dans leur pays d’origine (Etats-Unis ou Royaume-Uni), dont le droit leur est favorable. Dans 77 % des cas, elles gagnent leur procès et forcent les gouvernements à mettre la main au portefeuille ou séquestrent leurs biens (comptes bancaires, industries nationales) afin de se rémunérer. Pris à la gorge, assène Jean Ziegler, le pays victime n’a d’autre choix que de « fermer ses hôpitaux et ses écoles ».
En 2007, la Zambie dut payer 15 millions de dollars à Donegal International, qui avait acheté une partie de sa dette seulement 3 millions de dollars en 1999 – les profits des fonds vautours représentent entre trois et vingt fois le montant de leur investissement, continue Jean Ziegler. Face à lui sont assises à peine une cinquantaine de personnes, dont un expert qui dort discrètement, appuyé sur sa table. Au Palais des nations, il se murmure que le comité consultatif du Conseil des droits de l’homme est une institution en sommeil, dont les discussions sont de moins en moins suivies. Ce n’est donc pas un hasard si les Etats qui ont décidé de s’attaquer aux fonds vautours ont choisi Jean Ziegler comme porte-voix : la verve du Suisse est populaire.
Un rapport controversé
Celui-ci défend la création d’un mécanisme international de réduction de la dette. « Cette législation pourrait par exemple interdire les créanciers basés dans les paradis fiscaux. Cela écarterait d’office la grande majorité des fonds vautours, qui se trouvent souvent dans les Caraïbes ou au Delaware, aux Etats-Unis », explique Jean Ziegler. Une institution internationale serait en outre chargée de surveiller les pays dont la dette a été revue à la baisse, en vérifiant qu’ils luttent contre la corruption et allouent leurs finances à des programmes sociaux.
Les recommandations officielles du groupe de travail ne seront pas émises avant plusieurs mois. Mais le rapport, soutenu par de nombreux pays, dont les non-alignés (Cuba, Bolivie, etc.) est déjà controversé. Plusieurs Etats, dont l’Allemagne et les Etats-Unis, se sont opposés à la résolution du Conseil des droits de l’homme qui mandatait ce groupe de travail. Officiellement, il s’agit de ne pas entraver le libre marché. Mais pour Jean Ziegler, Washington ne veut pas gêner le millionnaire Paul Singer, propriétaire de Elliott Management et l’un des plus gros contributeurs financiers du Parti républicain. La France et l’Italie se sont abstenues au grand dam du sociologue suisse, qui aurait aimé voir « la France socialiste prendre la tête du combat ».
Aux Nations unies, les débats ne font que commencer. La Belgique, elle, a déjà pris le sujet en main depuis plusieurs années, en émettant plusieurs lois qui empêchent les fonds vautours de faire des bénéfices disproportionnés sur les dettes qu’ils ont rachetées.
Le Monde
Légende : Jean Ziegler : « Les fonds vautours tuent, il n’y a aucun doute là-dessus ».