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Les élites économiques favorisèrent le nazisme, et en furent récompensées

Dans son livre Nazi Billionaires : The Dark History of Germany’s Wealthiest Dynasties, David de Jong explore les liens historiques entre le Troisième Reich et les actuels capitaines d’industrie allemands. Ce n’est pas seulement de l’histoire ancienne.

Au cours des deux dernières décennies, une forme insidieuse de révisionnisme historique a émergé au sein de la droite étasunienne. Menée par le commentateur politique conservateur et criminel condamné Dinesh D’Souza, la droite a colporté une fiction commode : les nazis, parce que leur nom complet était « national-socialiste », appartenaient à la gauche et Adolf Hitler était un produit de « l’étatisme » qui a mal tourné.

Rien n’est plus éloigné de la vérité, comme le démontre le journaliste d’investigation David de Jong dans son nouveau livre, Les milliardaires nazis : L’histoire sombre des dynasties les plus riches d’Allemagne. Selon le reportage approfondi de De Jong, les capitalistes allemands ont soutenu les nazis à tout bout de champ, et leur héritage se poursuit aujourd’hui encore, l’élite économique du pays étant toujours étroitement liée aux profiteurs de guerre nazis.

De Jong montre que de nombreux milliardaires allemands sont liés au Troisième Reich, qui a largement mobilisé la base industrielle de l’Allemagne et a réduit en esclavage et assassiné des millions de Juifs, de Roms et de Slaves pour exécuter les ordres incessants du complexe militaro-industriel du Reich.

Jusqu’à ce jour, l’élite capitaliste allemande entretient des liens étroits avec le nazisme. Par exemple, l’actuel parti néofasciste l’AfD, Alternative pour l’Allemagne, co-fondé par une ancienne économiste de Goldman Sachs, a reçu d’importantes contributions à sa campagne électorale de la part d’August von Finck Jr, un financier dont le père avait fondé le géant des services financiers Allianz et une importante banque privée, Merck Finck, et qui a largement profité du Troisième Reich.

C’est loin d’être le seul exemple. Le beau-fils et ancien protégé de Joseph Goebbels, Harald Quandt, est devenu l’un des principaux industriels de l’Allemagne d’après-guerre. La société de voitures de sport Porsche, premier producteur de la Volkswagen, a été fondée en 1930 par Ferdinand Porsche, confident d’Adolf Hitler et profiteur de guerre, en collaboration avec Anton Piëch, le gendre de Porsche.

L’acquisition complète de Porsche et de Volkswagen par la famille Porsche/Piëch en 1935 n’a été possible que grâce à un processus d’aryanisation qui a laissé le cofondateur juif de Volkswagen, le pilote de course et investisseur Alfred Rosenberger, avec des miettes. De Jong rapporte que Porsche avait 20 000 esclaves mis à sa disposition par Hitler.

De tels détails ne sont pas simplement de l’histoire ancienne. Jusqu’en 2015, le conseil de surveillance de Volkswagen et de Porsche comprenait Ferdinand Piëch, le petit-fils et le fils des profiteurs de guerre nazis qui avaient fondé puis aryanisé l’entreprise.

Les liens familiaux ne sont pas secrets, de nombreux héritiers nazis, étant en fait, assez impudents au sujet de leur histoire. Une descendante, l’héritière des biscuits Verena Bahlsen, a admis en 2014 que sa famille avait fait travailler sept cents captifs polonais et ukrainiens dans ses usines pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais selon De Jong, Bahlsen n’était pas embarrassée à ce sujet, puisqu’elle a affirmé que sa famille avait traité ces travailleurs esclaves de manière équitable.

« Je possède un quart de Bahlsen, et j’en suis heureuse aussi », a déclaré Bahlsen. « Elle devrait continuer à m’appartenir. Je veux gagner de l’argent et acheter des voiliers avec mes dividendes, etc. »

La mort d’une « paix dure »

Comme l’illustre De Jong, les capitalistes allemands ont travaillé main dans la main avec les nazis lorsqu’ils ont entrepris de prendre le contrôle du pays.

Après l’ascension d’Hitler en 1933, le processus d’aryanisation mis en place par les nazis a été incroyablement efficace pour solidifier le soutien des capitalistes allemands au Troisième Reich, grâce auquel les Allemands non juifs ont reçu, pour quelques centimes de dollars. d’énormes quantités d’actions, de terres et d’œuvres d’art volés aux Juifs.

Les capitalistes allemands n’avaient pas besoin d’être convaincus de la nécessité de se réarmer, comme l’exigeait Hitler. Ce n’est qu’avec une Allemagne musclée, agressive et expansionniste qu’ils croyaient pouvoir prendre la place qui leur revenait à la table du monde capitaliste.

Après la défaite du Reich face à l’Union soviétique à Stalingrad au début de l’année 1943 qui a privé Hitler de l’accès aux importants champs pétrolifères de Bakou, l’élite allemande la plus sophistiquée, comme celle dont De Jong dresse le portrait, savait qu’il n’y avait aucune chance, d’un point de vue logistique, que l’Axe puisse gagner la guerre en Europe.

Bien que De Jong ne le dise pas explicitement, ce sont des preuves comme celle-ci qui suggèrent que la Solution Finale, qui a impliqué le meurtre de millions de Juifs, a également été inspirée par les capitalistes nazis qui s’efforçaient d’éliminer les futures réclamations légales pour leurs crimes et leurs pillages.

Bien que De Jong prenne soin de limiter son analyse à l’Allemagne, il convient de noter que le puissant industriel étatsunien Henry Ford a également contribué aux campagnes des nazis au début des années 30, comme l’a montré James Pool dans Who Financed Hitler et Hitler and His Secret Partners.

À la fin de la guerre, le secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau, qui était juif, a plaidé en faveur d’une « paix dure » qui aurait obligé non seulement les capitalistes et les financiers du Troisième Reich, mais aussi une partie beaucoup plus importante de ses officiers supérieurs, voire le peuple allemand dans son ensemble, à rendre des comptes pour leur soutien aux nazis. Un tel plan aurait placé le centre industriel de la Ruhr à l’ouest sous le contrôle des Nations unies et désindustrialisé de manière permanente le reste de l’Allemagne, la transformant en une société agraire, garantissant qu’elle ne pourrait jamais se réarmer.

Comme le note De Jong dans son livre, le colonel de l’armée américaine George Lynch a résumé le raisonnement qui sous-tendait l’approche de la « paix dure » lorsqu’il s’est adressé à une petite ville d’Allemands qui étaient restés les bras croisés alors que les nazis avaient brûlé vifs plus de mille survivants des camps de concentration dans une grange fermée à clé dix jours auparavant :

« Certains diront que les nazis étaient responsables de ce crime. D’autres désigneront la Gestapo. La responsabilité n’incombe à aucun d’entre eux, c’est la responsabilité du peuple allemand... Votre soi-disant race maîtresse a démontré qu’elle n’est maîtresse que du crime, de la cruauté et du sadisme. Vous avez perdu le respect du monde civilisé. »

Mais ceux qui se sont engagés à mettre un large éventail de capitalistes allemands à la barre ont dû faire face à une énorme bataille. Des réseaux d’exfiltrations nazis, c’est-à-dire des réseaux qui permettaient aux nazis bien connectés de s’échapper, ont été mises en place par des anciens du Troisième Reich travaillant avec la CIA et le MI6 britannique, afin que des témoins cruciaux des atrocités disparaissent en Amérique du Sud, pour être récupérés et utilisés dans les futurs projets de la guerre froide.

D’autres coupables ont été recueillis par la communauté scientifique américaine. Comme le note Annie Jacobsen dans son livre de 2014, Operation Paperclip : The Secret Intelligence Program that Brought Nazi Scientists to America, Wernher von Braun, qui a supervisé d’horribles expériences sur des prisonniers juifs et slaves, a rapidement été nommé responsable scientifique des programmes de fusées aux Etats-Unis et sera finalement considéré comme le fondateur de la NASA.

À Nuremberg, les enquêteurs juifs chargés de demander des comptes aux anciens nazis se trouvaient dans une position particulièrement difficile, compte tenu de l’antisémitisme bien ancré aux Etats-Unis du milieu du siècle et de la montée de l’anticommunisme, ce qui signifiait que les enquêteurs juifs pouvaient voir leurs investigations empêtrées dans un flou bureaucratique.

Les dirigeants militaires étatsuniens et britanniques de l’Allemagne d’après-guerre, quant à eux, étaient plus intéressés par la mobilisation de la puissance du capital allemand contre l’Union soviétique que par la recherche de la justice.

Comme le note De Jong :

« Au début de la guerre froide, au début de 1947, les priorités de l’administration Truman ont commencé à passer de la punition de l’Allemagne à la facilitation de son redressement économique. En bref, les États-Unis voulaient un rempart contre l’expansion communiste en Europe, et la partie occidentale de l’Allemagne, qui avait le potentiel pour devenir la plus grande économie d’Europe, pouvait servir de clé pour contenir l’Union soviétique et relancer le reste du continent. »

Les banques suisses qui détenaient de l’or nazi jusqu’au cou, dont une partie provenait des plombages des victimes juives des camps de concentration, ont également fait pression avec véhémence contre un procès et une enquête plus larges sur les profits de guerre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, comme l’a démontré l’ancien député Jean Ziegler dans son excellent livre intitulé La Suisse, l’or et les morts, paru en 1997 aux éditions du Seuil.

Il n’est donc pas étonnant que les efforts de Morgenthau en faveur d’une « paix dure » aient été écartés sous Harry Truman au profit d’une « paix douce » qui préconisait une Allemagne de l’Ouest forte contre la menace soviétique. Le tribunal de Nuremberg, composé de capitalistes allemands, a été réduit à sa plus simple expression lorsque Wall Street a repris le contrôle des États-Unis après la mort de Franklin D. Roosevelt.

L’un des rares capitalistes à avoir été condamné à Nuremberg, l’industriel des munitions Friedrich Flick, a passé moins de trois ans en prison. Flick, qui avait utilisé 48 000 esclaves qui lui avaient été fournis pendant la guerre, n’a jamais versé aucune compensation à ses victimes. Après sa libération, il a reconstitué ses affaires, devenant finalement l’homme le plus riche d’Allemagne à sa mort en 1972.

De nombreux survivants du travail forcé, mais certainement pas tous, ont reçu des réparations très modestes, jamais plus de quelques milliers de dollars. Aucun des descendants de ceux qui avaient été réduits en esclavage ont travaillé pour les nazis jusqu’à ce que mort s’ensuive n’a reçu un centime de réparation.

Pendant ce temps, bon nombre des grandes entreprises qui ont joué un rôle de premier plan dans la machine de guerre nazie sont rapidement devenues plus grandes et plus importantes que jamais, notamment la Deutsche Bank, BMW et Allianz.

Une menace néonazie croissante

Le livre de De Jong est essentiellement historique et ne consacre que peu de temps à l’analyse de l’Allemagne d’aujourd’hui, même si, ces derniers temps, le pays a pris un tournant dangereux.

Alors que les lois allemandes interdisent la négation de l’Holocauste, il est de plus en plus normal que des personnalités importantes minimisent les crimes du Troisième Reich. Par exemple, un éminent universitaire allemand, Jorg Baberowski,s’est engagé dans le négationnisme historique autour d’Hitler, tout en avançant un message d’extrême droite sur la migration. Pendant ce temps, en 2017, une conspiration a été révélée impliquant des membres néonazis de haut rang des services de sécurité allemands qui complotaient pour assassiner des politiciens de haut rang, un projet connu sous le nom de complot du Jour X. En 2019, le politicien de centre-droit pro-migrants Walter Lübcke a été assassiné par un néo-nazi.

Si le parti néonazi moderne Alternative pour l’Allemagne (AFD) a peut-être atteint son point culminant pour l’instant, le parti ayant obtenu un million de voix de moins en 2021 qu’aux élections de 2017, il conserve une représentation dans tous les parlements des États allemands, en plus du parlement national.

De plus, l’inégalité économique croissante crée toujours un terrain fertile pour des gains supplémentaires par l’extrême droite, en particulier parce que la gauche du pays est une coquille vide avec une base de la classe ouvrière qui s’éroderapidement. En outre, il est facile de voir comment les appels à des dépenses militaires allemandes plus agressives en réponse à la crise en Ukraine pourraient profiter à cette marée montante de la droite dans la politique allemande, étant donné les liens étroits entre le militarisme et les néo-nazis allemands.

Il semble donc incomber aux progressistes du monde entier d’insister sur un nouvel effort de dénazification de l’Allemagne, centré sur les descendants des milliardaires nazis allemands. Les implications politiques évidentes de Nazi Billionaires : The Dark History of Germany’s Wealthiest Dynasties comprennent la création d’une nouvelle commission allemande de vérité et de réconciliation, ainsi que le versement de réparations supplémentaires directement aux survivants des camps de concentration d’Hitler et à leurs descendants, grâce à la richesse des descendants des capitalistes responsables de ce crime.

Avec ce livre, De Jong a rendu un service public essentiel en rouvrant cicatrices précédemment refermées. Lorsqu’un président étatsunien qualifie les néonazis violents de « personnes très bien« , il devient urgent de mettre ces vérités en lumière. En définitive, si vous êtes préoccupé·e par la montée des inégalités ou de l’extrême droite, Nazi Billionaires est une lecture obligatoire.

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Ce texte a d’abord été publié par Jacobin puis traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

Matthew Cunningham-Cook a collaboré à Labor Notes, Public Employee Press, Al Jazeera America et The Nation.

Illustration : Hitler en compagnie de Ferdinand Porsche.

»» https://www.contretemps.eu/nazisme-...
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