J’aime bien Jean-Claude Guillebaud que je retrouve régulièrement, notamment le dimanche, avec l’édition du jour de Sud-Ouest.
Sa langue est habituellement claire, son ton rafraîchissant, il se distingue avantageusement des lourdeurs et de la permanence d’un « tout-à -penser », reflet d’un répertoire argumentaire, de toute une artillerie, voire d’un attirail, mis au point dans les officines étatistes de la communication, plutôt de la propagande, officialisée et promulguée par ce que Althusser nommait « les appareils idéologiques d’Etat ».
Sans doute, sa foi profonde, son humanisme assuré, triomphent-ils de ces pesanteurs systémiques pour laisser percevoir en lui une aspiration à une civilisation supérieure et que je ne saurais définir à sa place, même si j’en avais une connaissance plus approfondie.
Toujours est-il que je situe son dernier « papier » de Sud-Ouest Dimanche dans cette lignée progressiste.
LE FONDAMENTALISME EN CACHE UN AUTRE
Sous le titre : « Le fondamentaliste en cache un autre », il répond à un de ses lecteurs qui souhaitait qu’il soit « licencié séance tenante du journal » pour avoir établi le 26 juillet dernier le parallèle « entre le danger ( bien réel ) représenté par le terrorisme et celui que fait courir à notre système politique l’irresponsabilité des « cinglés de Wall Street », et se demandait si, à terme, la deuxième folie n’était pas aussi dangereuse, sinon plus, que la première.
Sans doute conviendrait-il de préciser qu’il existe aussi un « terrorisme d’Etat », lequel a pu fournir, également à New-York mais dans d’autres tours, les preuves de son immense duplicité, ou de son machiavélisme insensé, surpassant celui de Hitler en son temps qui avait eu recours à l’incendie du Reichstag pour discréditer les communistes et faire condamner Dimitrov et la 3eme Internationale lui résistant.
Sans doute aussi devrais-je dire que pour ma part je ne suis pas un défenseur de « notre système politique » dont je considèrerais plutôt qu’il a largement fait son temps, même si, bien évidemment, je n’envisage nullement de recourir au terrorisme sous quelque forme que ce soit pour y mettre fin, mais me prononçant résolument pour rechercher avec la majorité du peuple français les voies de cette fin dans le cadre plus général d’un changement de société.
LES BANQUIERS ET LES GOINFRES DE WALL STREET
Mais Jean-Claude Guillebaud a parfaitement raison de le dire avec cette force : le « péril ultralibéral », personnifié par « les banquiers et les goinfres de Wall Street »... « prend aujourd’hui une allure « réactionnaire » ( au sens étymologique du terme ) plus inquiétante encore. »
Et il poursuit : « La crise, disait-on avant-hier, a définitivement changé le paysage économique. Elle a modifié la « donne » en matière de libéralisme. Plus rien à coup sûr, ne sera comme avant. Cette analyse butte à nouveau sur le noyau dur des ultralibéraux qui, becs et ongles, continuent de se faire les prédicateurs du « tout marché ». D’un côté et de l’autre de l’Atlantique, on voit ressurgir ces « vieux croyants » qui n’en démordent pas.
« Pour n’évoquer que le cas français, des militants comme l’essayiste Nicolas Baverez, le journaliste Philippe Manière, les économistes Pascal Salin ou Jacques Marseille se déclarent convaincus que la crise n’a pas entamé le credo capitaliste de base : moins d’Etat, moins de régulations, plus de finances, plus de flexibilité du travail, etc... « Ils se disent persuadés que ladite crise n’est pas le résultat d’une absence de règles mais d’un excès d’interventionnisme-brouillon de l’Etat.
« A leurs yeux, cet « accident » correspond à une de ces purges que le capitalisme s’impose régulièrement.
« Elle sera surmontée, non point contre la logique libérale mais grâce à elle.
« Ils répètent donc que l’Etat joue actuellement le rôle d’un pompier venu éteindre l’incendie, mais qui devra rentrer illico dans sa caserne sitôt le péril conjuré... »
LE TOUT ETAT, LE TOUT MARCHE, OU BIEN QUOI ?
A ce stade de la démonstration de Jean-Claude Guillebaud, je dois, et je veux dire que je n’ai aucune sympathie pour ceux qu’il dénonce, qu’il s’agisse des banquiers ou des goinfres de Wall Street ou de leurs thuriféraires et théoriciens français, lesquels se prononcent, ainsi que le laisse entendre Jean-Claude Guillebaud, contre le « trop d’Etat » qui limiterait les potentialités du « tout marché » !
En conséquence, je dois interroger Jean-Claude Guillebaud : serait-il, pour faire face à la crise du capitalisme, partisan d’un rôle accru de l’Etat ?
Si cela est le cas, si je conçois qu’il puisse dénoncer chez « nos fondamentalistes du capitalisme pur et dur, des dogmes aussi rigides, des convictions aussi bétonnées », en ajoutant que « tout cela participe d’un forum pathologique de la croyance », je pose la question : « L’Etat serait-il contre le capitalisme, et le « tout Etat » le remède à la crise du capitalisme ? »
Si tel était le cas, je m’interrogerais quand-même sur le fait que Jean-Claude Guillebaud ajoute que ces « fondamentalistes du capitalisme pur et dur » lui font songer « aux anciens théoriciens du communisme » quand ils assuraient que l’échec du régime soviétique - comme celui des « démocraties populaires » d’Europe de l’Est - venait du fait qu’on était pas allé assez loin sur le chemin communiste. »
Comprenne qui pourra !
L’HYPERTROPHIE ETATIQUE
Pour ma part, j’avais entendu que l’un des défauts, sinon le principal, des anciens pays du « socialisme réel » était en quelque sorte d’avoir établi un « sûr-étatisme », voire une hypertrophie de l’Etat-Parti ! Et voulaient-ils ces anciens théoriciens, comme d’aucuns, aller plus loin encore dans l’étatisation de toute la société ? Et auraient-ils, ces « étatistes », davantage donné la propriété des moyens de production et d’échanges, des établissements bancaires et financiers...au peuple, aux salariés, à la société que les « étatistes » de France ou d’Outre-Atlantique ?
Ils avaient tout étatisé et là comme ailleurs le pouvoir réel échappait au peuple au profit d’une « nomenklatura », nouvelle « classe », qui finit par conduire ces peuples et ces pays à l’échec en permettant à ces nouveaux promus de s’approprier, ou bien de privatiser en termes capitalistes, les entreprises qu’ils dirigeaient jusqu’alors au nom de l’Etat !
Qui ne se souvient que Gorbatchev et Eltsine, qui se sont succédés au pouvoir dans les conditions que l’on sait, étaient ensemble, et malgré les différences, voire les oppositions d’opinion qui pouvaient être les leurs, tous les deux membres du Bureau politique et du Comité Central du PCUS !
Et ce que l’on sait aussi, c’est que se sont les partisans du retour au capitalisme qui l’ont finalement emporté, sans que les peuples concernés ne réagissent et ne s’y opposent, voire au contraire s’en réjouissent !
Alors, des partisans du libre-marché, ici, là , ailleurs, partout ?.
Bien que se pensant dans un monde unipolaire, étions-nous, déjà , dans un monde unidirectionnel ?
Et si oui, depuis quand ?
Il faudra bien que le débat, véritable et approfondi, ait lieu.
LE CAPITALISME A-T-IL SURVECU GRACE A L’URSS ?
Parallèlement à l’article de Jean-Claude Guillebaud, j’ai lu une interview du 23 août 2009 de Eric J. Hosbsbawm portant sur les enseignements de son oeuvre, « La grande histoire du capitalisme. »
Quand le journaliste constate que c’est grâce à l’URSS que le capitalisme a survécu et qu’à chaque crise qu’il connait le capitalisme s’en sort et renaît, Eric J. Hosbsbawm montre que c’est déjà sa caractéristique en 1848 alors que Karl Marx et Friedrich Engels pensent qu’il était proche de son agonie.
« Il y a eu un grand débat, dit Hosbsbawm, sur la faillite du capitalisme à la fin du 19eme siècle. La révolution russe en a été un symptôme, conséquence de cet écroulement de la société du 19eme siècle qui n’aurait jamais pu se produire sans la situation de marasme politique et économique qui régnait au moment de la Première guerre mondiale.
« Puis, en fin de compte, a eu lieu cet épisode extraordinaire où le capitalisme libéral et le bolchevisme se sont unis, pendant la seconde guerre mondiale, contre la menace du nazisme. « C’est à partir du moment où ces deux systèmes se sont alliés dans cette lutte commune que le capitalisme a pu se restructurer.
« La période 1914-1945 a montré que le capitalisme ne pouvait pas fonctionner simplement avec un marché totalement libre...Depuis 1945, les pays capitalistes - y compris les Etats-Unis avec le New-Deal - ont envisagé la possibilité d’une économie dirigée, utilisant même une certaine planification comme cela a été le cas en France. « Tout cela est entré progressivement dans les moeurs, dès la grande crise économique des années 1930 : l’expérience soviétique provoquait une certaine admiration quant à son apparent développement économique. Le fait de combiner l’entreprise privée avec la planification et un certain management macro-économique s’est ensuite généralisé, non seulement dans les démocraties occidentales mais aussi au Japon, en Corée...
« Cela a été la base du redressement des économies et de l’avance qu’elle ont prises jusqu’aux années 1970.
« Depuis, on a assisté à l’effondrement des régimes socialistes et à une nouvelle phase de globalisation du capitalisme.
« Mais ce dernier est entré dans une nouvelle crise et il n’a pas encore, jusqu’à présent, trouvé son nouveau mode de restructuration. Je pense qu’il va survivre et se restructurer une nouvelle fois, puisqu’il évolue selon une règle de « création destructive », comme l’a montré Joseph A. Schumpeter.
D’UNE CERTAINE MANIERE LE CAPITALISME A ATTEINT SES LIMITES
« Mais je crois aussi que, d’une certaine manière, le capitalisme a atteint ses limites.
« Pour fonctionner, il avait, jusqu’à maintenant bénéficié, sans le savoir, des acquis du passé : le sentiment de solidarité familiale, de devoir social, une certaine moralité...
« Aujourd’hui, ces bases s’effritent et sa survie devient problématique. La croissance globale à laquelle nous assistons, à une rapidité extraordinaire, crée des problèmes que l’économie de marché ne pourra résoudre.
« Par exemple, les problèmes écologiques menacent la planète et nécessitent un contrôle qui fait appel aux décisions politiques des Etats. Or l’expansion du capitalisme fait que sa survie est devenue incompatible avec les Etats-nations.
« Ce n’est pas le marché qui peut résoudre ces problèmes. »
Si l’on suit Eric J. Hosbsbawm, on ne pense être trop loin de certains propos de Jean-Claude Guillebaud.
En tout cas, loin des vérités assénées ou des images d’Epinal d’une certaine conception de l’histoire, il est ainsi des textes qui mettent en évidence qu’en ce domaine, et notamment dans l’histoire du capitalisme, les visions univoques ne peuvent plus avoir cours.
Le décryptage de cette histoire, pourtant indispensable pour les luttes d’aujourd’hui, implique connaissances, débats et confrontations qui mettent en évidence le sujet de l’histoire.
QUI FAIT L’HISTOIRE ?
Marx considérait que « ce sont les masses qui font l’histoire ». Aujourd’hui, disons le peuple, tous les peuples...Et certainement contre le « tout-marché » et le capitalisme...
En ce sens, « le retour au sources », en l’occurrence notamment le « retour à Marx », semble bien s’imposer de lui-même dans la réalité. Et selon mon opinion, non seulement pour comprendre les mécanismes de fonctionnement du capitalisme mais aussi pour commencer à s’engager dans les voies qui n’ont pas été prises jusqu’alors...
Aussi m’apparaissent-elles devoir se déterminer autour de ce qui a été, sciemment ou non, ignoré de l’apport de Marx : l’appropriation sociale et le dépérissement de l’Etat qui seuls peuvent donner véritablement le pouvoir au peuple, et d’abord celui de les déterminer, puis de les emprunter dans leurs modalités concrètes.
Michel PEYRET