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Les "avantages" collateraux du terrorisme.


Mercredi 13 juillet 2005


La pratique politique du terrorisme est non seulement éthiquement
condamnable mais aussi, en soi, politiquement absurde. Une fois que l’on a
dit cela, on a dit l’essentiel, mais on n’a pas tout dit.

Le terrorisme est une pratique politique qui, si elle ne peut historiquement
atteindre, seule, ses fins, n’en est pas moins un élément sur l’échiquier
politique de la société qu’elle frappe. A son action la société réagit d’une
manière qu’il est intéressant d’examiner car elle est un révélateur de ce
qu’elle est réellement.


L’ attitude ambivalente de l’ Etat

Passons sur la vision naïve de l’Etat qui se fonde sur la croyance en sa
neutralité à l’égard des structures économiques et sociales de la
collectivité.

L’Etat n’est évidemment pas neutre et est le garant de la structure
existante, aujourd’hui le système marchand fondé sur le salariat. Il est
donc dans sa fonction de faire en sorte que ce système fonctionne. Le
problème c’est que ce système est essentiellement fondé sur
l’instrumentalisation de l’individu (voir les articles « Le travail en question http://endehors.org »), ce qui inévitablement crée une situation conflictuelle. C’est
cette situation conflictuelle que l’Etat doit gérer afin qu’elle ne soit en
aucun cas un obstacle à ce qui constitue le fondement du salariat : la
valorisation du capital.

L’Etat est donc tiraillé entre deux attitudes : l’une qui consiste à 
favoriser la valorisation du capital, l’autre à gérer les contradictions
(conflits sociaux) que cette action génère. Ce que l’on appelle la politique
de l’Etat c’est cette double action qui évolue au fil des évènements, des
rapports de forces, des nuances dans l’idéologie du personnel politique.

La tendance logique de l’Etat est de se donner les moyens politiques,
juridiques, administratifs et idéologiques de contrôler la situation afin
que le système fonctionne avec le minimum d’accrocs et de conflits et ce
d’autant plus que ses marges de manoeuvres s’amenuisent et les contradictions
s’accroissent.

Paradoxalement la présence du terrorisme peut lui faciliter la tâche.


L’ extension (inespérée) de la criminalisation

Tout le monde sait qu’une période de tension est propice au renforcement de
la législation, de même qu’après une série de catastrophes, on renforce les
mesures de protection... ce qui n’est d’ailleurs pas forcément la meilleure
solution, en effet on agit souvent plus sur la conséquence que la cause. En
matière de terrorisme on procède exactement de la même manière

Le maître mot est le « consensus », mot magique qui fait rêver tous les
dirigeants, mot qui matérialise leurs rêves les plus fous, celui d’une
société où tous les conflits sont aplanis, disparus, où la population fait
bloc avec ses dirigeants, bref, la société « idéale » où le salarié, et
celui qui l’embauche quand il en a besoin, et le licencie quand il n’en a
plus besoin, marchent la main dans la main.

Or, le terrorisme, par sa brutalité, l’irrationalité qu’il véhicule,
l’aveuglement qui le caractérise, le nihilisme qu’il inspire, fait fusionner
dans la même crainte, mais aussi la même détermination, les catégories
sociales qui ont des intérêts opposés. C’est cette fameuse « union sacré »
que sait si bien exploiter le nationalisme aux époques de tension
internationale.

L’Etat n’a même plus à faire de gros efforts pour réaliser ce qui, en temps
« normal », lui est quasiment impossible de réaliser : l’union nationale.
Toutes et tous font bloc avec lui, lui demandant protection et détermination
dans la lutte contre le nouveau fléau.

Le terrorisme jette aujourd’hui les citoyens dans les bras de l’Etat, comme
au Moyen Age, la peste faisait se précipiter les fidèles dans les églises.

L’Etat n’en demande pas tant, mais il va sauter sur une occasion aussi
exceptionnelle et répondre au besoin de protection au-delà de tous les
espoirs mis en lui. « Vous voulez, du contrôle ? Vous allez en avoir ! »

La réponse au terrorisme nous est présentée comme essentiellement technique « plus de... ». Plus de contrôles, plus de fichages, plus de policiers,...

Ce « plus de ... » est bien entendu une contrainte supplémentaire
(financière et en terme de libertés) pour le citoyen qui non seulement ne peut pas s’y opposer, mais encore fini par l’accepter « faut bien en passer par là  », « c’est une contrainte nécessaire », « comment faire autrement ? ».entraînant ainsi, de manière générale, une soumission librement acceptée... ce qui encourage l’Etat à en rajouter.

On comprendra que cette situation est tout bénéfice pour l’Etat qui bien entendu en profite pour étendre son contrôle, porter atteinte aux libertés publiques et individuelles, ficher, contrôler... car l’arsenal juridique, policier, administratif, mis en place « contre le terrorisme » est acquis une fois pour toute et pourra servir pour tout autre chose que la « chasse aux terroristes » : par exemple le fichage des militants, des syndicalistes, des opposants aux OGM,... Car qui garanti les limites des dispositifs mis en place ? L’Etat et lui seul.

Ainsi la boucle est bouclée.


Les médias, instruments de la mise en condition

Dans ce véritable conditionnement des citoyens, les médias jouent un rôle fondamental, faisant, soit dit en passant, une publicité tout à fait conforme aux objectifs des auteurs de tels actes... mais l’information est une marchandise et en tant que telle doit être servie bien emballée au consommateur.

De même que les feux de forêt, les tsunamis, le Tour de France ou les Jeux Olympiques sont d’extraordinaires points de fixation et d’abrutissement de l’opinion publique, les actes terroristes mobilisent cette même opinion au point de lui faire oublier sa situation. Dit plus brutalement : « Pendant les actes terroristes, les affaires continuent »... je veux dire par là , on
continue à faire des profits, à privatiser, à licencier, à délocaliser, à 
porter atteinte aux acquis sociaux, à criminaliser les conflits sociaux, à exclure, à faire proliférer les OGM, à détruire la planète,...

Mais ces actions passent au second plan, « détrônées » par la nouvelle qui « fait la une », répétée jusqu’à plus soif pendant des jours et des semaines, supprimant toute autre information, faisant l’impasse sur les doutes et les craintes des dispositifs mis en place. Comme pour les Jeux olympiques : « la nation est unanime ! »(sic)... A la limite, toute restriction, contestation, voire critique est qualifiée au mieux d’irresponsable, au pire de « complicité avec les terroristes »... Même pas besoin de censure, l’autocensure suffit.

L’information, dramatique en elle-même, est médiatiquement démultipliée au
point de faire perdre à la majorité l’esprit critique, bref l’esprit citoyen
pour se fondre dans une unanimité qui annihile toute réflexion, tout recul
par rapport à l’évènement et qui fait prendre la rumeur pour vérité et le
discours officiel pour certitude.

Exagération ? Pourtant, nous ne pouvons que constater les succès médiatiques
des dirigeants qui « ont eu » des actes terroristes alors qu’ils étaient au
pouvoir, et alors qu’ils ont su gérer intelligemment la situation... le
maire de New York et son président en particulier, le premier ministre
britannique, ainsi que le président russe qui a parfaitement intégré le « 
terrorisme » dans sa stratégie de pouvoir et en fait la clef de voûte de sa
gouvernance. Rien de tel pour « ressouder » une société qui se délite... un
peu comme autrefois où l’on faisait une « bonne guerre » pour réaliser
l’unité nationale.

Le terrorisme réussi ce qu’aucun Etat ne peut faire : détruire tout esprit
critique avec l’accord volontaire du plus grand nombre et redonner du crédit
au plus minable des dirigeants.


Terrorisme "non officiel" et terrorisme "officiel"

Dans « terrorisme », il y a « terreur », mais la terreur n’est pas le
monopole des groupes non officiels, les Etats, même ceux qui se prétendent
démocratiques et républicains, pratiquent aussi ce genre d’action.... avec
des modalités différentes, évidemment.

Comment qualifier les pratiques de la grande démocratie américaine qui a
exterminé les Indiens d’Amérique ? de l’armée française pendant la Bataille
d’Alger ? le coup d’état militaire, et ce qui a suivi, de Pinochet (soutenu
par les USA) au Chili en 1973 ? Comment qualifier les pratiques de l’Etat
russe en Tchétchénie ? de l’Etat d’Israël en Palestine ?... pour ne citer
que ces quelques cas. La seule différence avec le terrorisme « classique »
c’est que ces Etats détiennent le pouvoir et l’utilisent comme instrument de
la terreur.

Les Etats ont d’ailleurs une sélectivité particulière en ce qui concerne les
terroristes : en France les terroristes de l’OAS ont eu globalement un
destin différent de ceux d’Action Directe. En Italie les terroristes
d’extrême gauche ont été traités différemment que ceux d’extrême droite.
Idem en Espagne. Les terroristes juifs d’avant l’Etat d’Israël sont devenus
fréquentables une fois au pouvoir, de même pour le FLN algérien, sans parler
des « terroristes » de la Résistance condamnés puis reconnus héros.

On ne peux donc pas ne pas se poser la question : y aurait-il des bons et
des mauvais terrorismes ? Réfléchissez bien avant de répondre...

On ne peux pas non plus ne pas se poser la question : où commence le
terrorisme et où fini-t-il ?

C’est difficile à admettre, et pour cause, mais le terrorisme nous interroge
sur nos certitudes. Pas toujours sur nos valeurs, mais toujours sur la
manière de les mettre en oeuvre.

A moins de croire qu’il existe des « terroriste-nés », ce qui est une
absurdité, le terrorisme a des raisons qui plongent dans une situation
politique, économique et sociale, autrement dit au coeur même de notre
société. Il est le produit de la société dans laquelle nous vivons. Il pose
des revendications (justifiées ou pas), avec des méthodes contestables et
condamnables, pour lesquelles il n’y a aucun espace social pour les traiter.
Il est le produit d’une surdité politique généralisée. Continuer à 
fonctionner comme nous le faisons, c’est à terme se cloîtrer dans un
blockhaus sécurisé... belle perspective d’avenir !

Si le terrorisme ne peut pas apporter une réponse sérieuse au problème qu’il
pose, la riposte que l’on apporte aujourd’hui au terrorisme ne peut pas
répondre sérieusement aux raisons qui font qu’il existe.

Le traitement administrativo-policier du terrorisme loin de l’éradiquer ne
peut que le raviver en ne le considérant pas comme un phénomène social. Mais
nous le savons désormais : les politiciens ont une vue à très court terme,
leur horizon est borné par les échéances électorales pour lesquelles ils
doivent fournir un spectacle... le terrorisme leur offre le théâtre.

Patrick MIGNARD


A Londres, la guerre contre l’Iran a commencé, par Michel Collon.

Les Etats-Unis préparent de nouvelles provocations contre l’Iran, par Patrick Martin.



- Peinture Margari
margari@wanadoo.fr.



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