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Les Ape, c’est la désintégration économique programmée et, à terme, une forme de déstructuration politique de l’Afrique, par Mame Mactar Gueye.








Sud 29 décembre 2007.


APE : Les non-dits d’un libre-échangisme.


La Convention de Yaoundé et les pactes commerciaux qui lui ont succédé (Lomé I, Lomé II, Accords de Cotonou) ont fini par afficher leurs limites, en se révélant n’être que des étapes, aisément dépassées par les (dures) réalités économiques, à l’intérieur des pays, comme entre les pays. Mais ces accords se seront surtout révélé être des colosses aux pieds d’argile, face à la disproportion criarde des forces en présence, lors des rounds de négociation, entre un monde industriel implacable - et imbu de sa puissance - et une Afrique divisée, aujourd’hui en passe d’être d’avantage phagocytée par des « Ape » (Accords de partenariat économique) de tous les dangers !



Tels qu’ils nous sont présentés par « nos ancêtres les gaulois » (Nous rangeons amicalement, et par défaut, sous cette expression générique la Commission européenne - la France de Nicolas Sarkozy s’étant publiquement montrée hostile aux Ape), cette dernière trouvaille de nos partenaires européens consisterait, ni plus ni moins, en l’instauration d’un libre-échangisme entre l’Europe et l’Afrique. : « Vous pouvez exporter chez nous sans droits de douane, sans taxes. Mais en échange vous nous accordez la réciprocité  ». En terme triviale : « Vous nous permettrez de reprendre de la main gauche ce que nous vous avons offert de la main droite », nous dictent nos anciens colons. Pourtant, et contre toutes attentes, les Américains ont accordé plus de faveurs aux Africains. Avec l’Agoa, les Américains sélectionnent, selon des critères précis, quelques pays et leurs disent : « Vous pouvez exportez chez nous, sans droit de douane et sans limitation de quantité ». Et, grands Seigneurs, les « Yankees » répugnent à exiger la moindre réciprocité aux pauvres pays.

Les Ape, c’est tout simplement des échanges déséquilibrés avec les anciennes puissances coloniales européennes. C’est surtout des pertes substantielles de recettes fiscales, au moment où l’aide publique au développement s’est réduite comme une peau de chagrin. Les pertes, selon les envergures respectives des pays africains, concerneront entre 30 et 80% de recettes douanières ou budgétaires. Et il y aura certainement des pays africains qui ne trouveront d’autres parades, pour se « rattraper », qu’en opérant des coupes sombres dans des postes budgétaires aussi sensibles que le Santé, l’Education, les Infrastructures, etc., avec tous les risques de déstabilisation politique et de menaces sur la paix civile, qui peuvent en découler. Car, les Ape vont négativement impacter la capacité d’investissement interne des Etats.

«  Mais, nous vous alloueront des compensations ! », nous rétorquent les Européens, sans préciser la nature de celles-ci. Et lors du « dialogue de sourd de Lisbonne », où se tenait le 2e Sommet Ue-Afrique sur le Ape, les 8 et 9 décembre dernier, c’est le Président sénégalais, Maître Abdoulaye Wade, qui devait ouvrir les hostilités, en exigeant une re-négociation de ces accords, qui foulent au pied l’esprit et la lettre des Accords de Cotonou : « Si nous vous ouvrons nos frontière de cette manière, s’inquiète Wade, face aux Européens, la conséquence la plus immédiate sera la disparition de notre tissus économique. Quelle que soit la compensation financière, nous n’en voulons pas. Car il n’y a pas de commune mesure entre ce que vous nous donnerez et ce que nous aurons perdu ».

Les Ape frapperont de plein fouet les producteurs privés locaux. Il se profile déjà le sort funeste qui sera fait aux agriculteurs, aux producteurs de volailles, qui battent déjà sérieusement de l’aile, dans toute l’Afrique de l’Ouest, sous les assauts de la concurrence déloyale des produits européens, souvent subventionnés. Bien d’autres secteurs subiront inéluctablement des secousses telluriques, dont les Ape constitueront l’épicentre. Et contrairement à ce que prétendent les Européens, les Ape ne favorisent nullement l’intégration africaine ; Bien au contraire ! C’est la désintégration économique programmée de l’Afrique, dans la mesure surtout où l’Union européenne a décidé de discuter avec les régions économiques de l’Afrique (on divise pour mieux régner !). Pourquoi ne discuterait-t-elle pas avec l’Union africaine ? Par respect au parallélisme des formes c’est l’Ue qui devrait prendre langue avec l’Ua. C’est plus juste, plus équitable. Autrement cela pourrait être assimilé à une manoeuvre de désintégration économique ! Et, à terme, à une forme de déstructuration politique de l’Afrique. Déjà que de sérieuses incertitudes pèsent sur la prochaine réunion de l’Union monétaire Ouest africaine (Uemoa), dans la mesure où les textes fondateurs de cette organisation communautaire stipulent bien que bien que tout pays membre s’exclu de jure (de droit) s’il venait à parapher en solo des accord séparés de libre échange (31 sur les 83 pays Acp ont déjà signé). L’Europe chercherait-elle à diviser le continent, à saper toute volonté de construction panafricaniste, qu’elle ne s’y prendrait pas autrement !



« Les Maîtres-chanteurs de Bruxelles »

Et le plus à déplorer c’est les tactiques d’intimidation qu’utilise l’Ue pour contraindre certains pays récalcitrants à signer. Là où des pays comme le Sénégal, qui ont le statut de « Pma » (pays les moins avancés), et bénéficiant du « Sgp » (système généralisé de préférence) ont la latitude de garder le statu quo, d’autres, par contre, non-Pma, vivent une tragédie. C’est ni plus ni moins qu’une pression, assortie d’un chantage à peine voilé, que l’Ue leur fait subir : « Si vous ne signez pas, vos produits paieront les droits de douanes ». Jusqu’au dernier moment, le gouvernement Namibien avait essayé de résister aux pressions de l’UE, lorsque le ministre du Commerce Immanuel Ngatjizeko affirmait catégoriquement que « les exigences que les Ape ont placées sur la Namibie étaient inacceptables »’. Mais le rapport de force n’a pas tardé à lui être défavorable, bien qu’avant de parapher (le 2 décembre dernier) il eut à déplorer (pour la forme ?) « le manque de coordination entre pays africains ».

Et l’Ue ne semble exclure aucune forme de pression pour venir à ses fins. Quitte même à fermer le robinet financier aux pays récalcitrants. Par exemple, en Afrique australe, la Communauté de développement de l’Afrique australe (Sadc), qui comprend 15 pays, recevaient, habituellement pour toute la région, l’aide au développement de l’Ue. Avec l’avènement des Ape, seuls 7 (sept) pays de la Sadc (ceux ayant signé les Ape) pourront désormais prétendre à l’aide au développement de l’Ue. Ce n’est pas du chantage ça ?

Pour en revenir à la région ouest-africaine, nous disions que des incertitudes planent sur la prochaine réunion de l’Umoa (regroupant le Sénégal, le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Togo et la Guinée-Bissau). Mais, indépendamment du fait que la Côte d’Ivoire - seule des huit Etats membres à avoir signé les Ape, pour sauvegarder ses exportations de banane vers l’Ue - se soit mise en porte-à -faux avec les textes fondateurs de l’union, il est indéniable que l’acte posé par ce pays, en sa qualité de locomotive économique dans l’Uemoa, avec les 40% qu’il détient sur le produit intérieur brut de l’union, aura inéluctablement un impact sur l’Uemoa. Il s’y ajoute qu’avec le niveau élevé d’intégration économique dans cette région, les produits de l’Ue rentrant en Côte d’Ivoire pourront facilement se « faufiler » vers d’autres pays de l’Uemoa. C’est indubitable, les Ape risque fort de sonner le tocsin pour nombres de nos fragiles organisations communautaires sous-régionales.

Pourtant, l’Afrique était en passe de réussir son affranchissement de la domination économique, avançant étape par étape dans la construction d’ensembles économiques solides. Et voilà que les Ape viennent tout détruire. Et après ?



Et après...

Et après nous allons mendier ! Revenir à des lustres en arrière ; à l’épopée des conquistadors métropolitains, qui faisaient saliver nos aïeux en leur proposant de troquer leur poudre à canon contre quelques précieux minerais ; nous allons revenir à l’ère des « comptoirs » coloniaux qui pillulaient sur le littoral, et exploitant une main-d’oeuvre locale taillable et corvéable à merci... Parce que nos industries auront été démantelées, sous les assauts répétés des produits européens, largement plus compétitifs ; parce que notre tissus économique aura été déconfit, parce n’existant alors plus que de nom ; parce que les nouveaux « conquérants » auront la haute main sur tous les secteurs productifs, primaire, secondaire, tertiaire ; parce nos agriculteurs deviendront de simples « surga » (valets) des grands producteurs agricoles européens, et nos usines des pôles de délocalisation.

Et tant pis si ce système maudit déverse dans les faubourgs de villes des milliers de chômeurs et de frustrés, qui déstabiliseront les Etats et entreprendront de faire tomber les gouvernements, qu’ils prendront, légitimement, pour responsables de leur marginalisation de fait... Mais qu’à cela ne tienne, les nouveaux « maîtres » seront là pour la suppléance de l’élite ! D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils peuvent bien avoir à faire avec des gouvernements et des institutions ! C’est ne pas fait pour les « Négres ». On a beau les mener par la chicotte ou la carotte, rien à faire la « Civilisation » c’est pas fait pour eux : il faut revenir à la case départ ! Apocalyptique, tout ça ? Mais ces Ape qui déjà sapent l’unité africaine, en semant entre nos pays les germes de la défiance et de la zizanie n’en constituent-ils pas un prélude ?

Mais au fond, pourquoi l’Europe sente t-elle le besoin, de nous imposer, de manière aussi abrupte, ce type de partenariat ? La Société civile, nombre d’intellectuels (de gauche comme de droite), des syndicats, des journalistes, des parlementaires, et bien d’autres segments de la vie active européenne s’en sont pourtant offusqués. Comme l’illustre fort bien cet extrait du quotidien français « Les Echos », en date du 07/12/2007, prémonitoire à bien des égards, du clash qui devait se produire, 24 heures plus tard, lors du Sommet de la discorde de Lisbonne :

«  Depuis le début de la décennie, l’Union Européenne s’est élargie. Et le continent africain est désormais très courtisé, notamment par la Chine, soucieuse de sécuriser ses approvisionnements pétroliers et miniers. Pékin n’hésite pas à débourser des milliards de dollars pour s’assurer un accès privilégié aux matières premières africaines. Les entreprises de construction chinoises y ont détrôné les Européens. Dans ce contexte, l’Ue, qui affecte à l’Afrique subsaharienne plus de la moitié de son aide au développement veut reprendre sa position ».

Sans commentaire.

En se faisant, l’autre jour, à Lisbonne, le porte-drapeau de la fronde anti-Ape, le Président sénégalais, Maître Abdoulaye Wade, s’est mis, de fait, dans une position qui lui impose désormais de prendre une responsabilité historique, dans ce combat. Lequel devra être mené dans toute l’Afrique, afin d’amener l’Europe à daigner entretenir avec l’Afrique un partenariat équilibré et honnête. Et il est bien heureux que la position déjà dégagée, depuis Lisbonne, par le Président Wade, ait commencé à faire des émules, à travers surtout des personnalité aussi influentes que le Président français, Nicolas Sarkozy, qui estime que : « Si on ne veut pas asphyxier les pays les plus pauvres d’Afrique, il faut leur garantir un chemin de transition avant de les laisser totalement démunis de toute protection, par rapport à un marché où la brutalité des échanges ferait qu’ils ne pourraient pas s’en sortir ». Et quand le géant sud-africain, Tabu Mbeki épouse également la position de notre pays, c’est tout aussi réconfortant.

Mais nos intellectuels et porteurs de voix auront d’abord, au plan national, le devoir d’édifier l’opinion sur les dangers des Ape, pour ensuite porter le combat partout en Afrique, même dans les pays qui ont signé, ne fut-ce que pour se rallier leurs opinions publiques. Tous les segments de la société devraient être impliqués dans ce combat ; les Ong, la Société civile, les organisations patronales, les Mouvements de Jeunesse, les Femmes, etc. Il y va de la survit économique de nos frêles Etats.

«  Entre vielles attaches impériales, promesses d’une communauté économique intégrée, perspectives d’un libre-échangisme, à l’échelle atlantique, l’Europe a longtemps hésité. Elle s’est partagée et reste, sur bien des points, incertaine » (Marcel Roncayolo, Le Monde et son histoire, Editions Bordas-Laffont, Paris 1978). Agissons ! pour que cette « incertitude » européenne se transforme en une attitude universaliste plus positive ; agissons pour que les retournements d’alliance " auxquels semble se livrer aujourd’hui l’Europe, consécutivement à ses pertes importantes de parts de marché, face aux asiatiques " ne se fasse pas au détriment de notre Afrique-Mére !

Que tous les patriotes sénégalais se mobilisent donc, pour la manifestation du 07 janvier prochain, dans les rues de Dakar ! Ce sera en multiplex avec nos frères africains de plusieurs pays de la sous-région. En prélude à la grande Marche de protestation de Bruxelles, en liaison avec la Diaspora, pour nous rendre ensemble au siège de la Commission Européenne, le 11 janvier 2008 ! Pour qu’au-delà de nos clivages politiques, nous puissions déposer notre Mémorandum de protestation entre les mains des autorités de la Commission européenne, pour leur dire : « NON aux Ape, OUI à un partenariat équilibré et juste avec l’Europe » !

Mame Mactar Gueye
Porte-parole de la Cap 21
Membre du Comité national de Mobilisation contre les Ape

 Publié sur : Sud

 Source : bilaterals.org www.bilaterals.org




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