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Le texte de la demande d’asile de Battisti en Bolivie

Voici le texte (traduit et suivi de l’original en espagnol) de la demande d’asile déposée le 21 décembre dernier par Cesare Battisti peu après son arrivée en Bolivie, dont le ministre de l’Intérieur Romero a affirmé, après son expulsion vers l’Italie le 13 janvier, qu’elle avait été rejetée le 26 décembre et qu’en conséquence il avait été remis à la police italienne. Nous nous permettons d’émettre des doutes sur la réalité de ce rejet en bonne et due forme, le ministre n’en ayant pas fourni des preuves. À ce jour, l’opération s’apparente à un kidnapping dans le style des « extraordinary renditions » commises par la CIA à travers le monde après le 11 septembre, et à l’enlèvement d’Illich Ramirez Sanchez, dit Carlos, par les services de Charles Pasqua au Soudan, en 1994. Nous avons conservé le style de l’original en espagnol, corrigeant simplement les fautes de frappe.
Tlaxcala

Messieurs du Secrétariat Technique de la COMMISSION NATIONALE DES RÉFUGIÉS
Objet : DEMANDE DE RECONNAISSANCE DE LA CONDITION DE RÉFUGIÉ

Messieurs,

Mon nom est Cesare Battisti, né le 18 décembre 1954 à Cisterna Di Latina, Italie, au sein d’une famille communiste (mon grand-père fut l’un des fondateurs du Parti Communiste Italien). A la fin de mes études secondaires j’ai pris conscience de ce que le Parti Communiste Italien était partie prenante dans le partage de pouvoir et la corruption généralisée dans l’État italien, à cette époque. Début 1970, quand le parti expulse les intellectuels gauchistes, je rejoins d’abord une organisation de gauche appelée Lotta Continua. Durant cette période, j’ai été arrêté au cours d’actions dites « d’expropriation prolétarienne », pour financer l’organisation et la publication du journal Lotta Continua, avec un tirage quotidien de 50 000 exemplaires jusqu’en 1975.

Entre temps l’ancienne organisation Potere Operaio (Pouvoir Ouvrier, intimement liée à Toni Negri et autres) se dissout pour se transformer en Autonomia Operaia, au début des années 70.

Dans ces circonstances, je suis entré dans un collectif faisant partie de l’Autonomie Ouvrière. A cette époque, on réalisait des actions politiques et d’expropriation prolétarienne que personne ne revendiquait ou en assumait la responsabilité politique comme organisation au sein de l’Autonomie Ouvrière.

J’ai été arrêté alors que je réalisais ce genre d’actions, dont l’objectif était toujours de financer la propagande de l’organisation de lutte politique.

Cette situation de semi-clandestinité continue jusqu’en 1976, quand je rejoins une organisation armée clandestine nommée PAC (prolétaires Armés pour le Communisme).

Durent cette décennie, appelée en Italie « les années de plomb », plus de 100 organisations de diverses dimensions se sont créées. Les PAC étaient l’une d’elles.

Personnellement, moi, Cesare Battisti, après l’assassinat d’Aldo Moro en mai 1979, j’ai participé à des réunions de nombreuses organisations pour décider si cette action était compatible avec la ligne et le projet politique.

Parmi d’autres organisations, une partie des militants des PAC, dont moi, ont pris leurs distances de cette action, indiquant qu’elle était contraire à nos principes révolutionnaires et que, de plus, elle constituait un suicide politique.

C’est ainsi que j’ai été l’une des personnes qui ont défendu le fait de ne pas commettre cet acte, nous éloignant du comité central de cette organisation (il faut savoir que les PAC étaient une organisation de type horizontal, dans ce sens chaque militant, quel que fût le lieu de l’action concrètement, pouvait agir au nom de l’organisation sans aucune autorisation préalable. Mise au point nécessaire, vu que c’est là l’un des principaux arguments avec lesquels je décline toute responsabilité pour des actes auxquels je n’ai pas participé et qui me sont imputés, alors que j’en ignore tout, ceux-ci ayant été commis après ma sortie formelle de l’organisation).
Arrêté en 1979, j’ai été accusé d’ « association subversive et possession d’arme à feu », et condamné à 12 ans de prison dans la ville italienne de Milan.
Entretemps les agents de la CIA, de concert avec les agences de renseignement italiennes, ont intensifié les pratiques de torture et de disparitions forcées de prisonniers politiques. De 1978 à 1982 on a construit en Italie 16 prisons de sécurité maximale à haute technologie, destinées exclusivement aux prisonniers politiques.
On comptait alors environ 60 000 persécutés politiques et 10 000 prisonniers politiques condamnés : c’était la situation des « années de plomb » en Italie jusqu’en 1981 et qui a perduré jusqu’en 1986.
Durant cette période des centaines de procès bidon (sans droit à la défense, avec la suspension d’articles de la Constitution comme par exemple l’application de la rétroactivité législative, comme ce fut le cas plus tard dans mon procès).
Le 4 octobre 1981, par une série de coïncidences fortuites, je fus choisi parmi diverses organisations, dont les dirigeants emprisonnés décidèrent d’organiser notre évasion, avec la mission d’organiser une rencontre des organisations encore armées, pour mettre au point une trêve et maintenir la résistance contre l’offensive de l’État.
Ma fuite a été un acte de justice de « fait » et une action « propre », dans la mesure où aucune violence ne fut nécessaire pour son exécution.
Malheureusement nous avons échoué dans la mission confiée, puisque nous n’avons pas réussi à convaincre les organisations encore armées de réaliser une trêve.
Les survivants (des exécutions extrajudiciaires et des enlèvements) des organisations politiques étaient désespérés face à la répression généralisée. C’est ainsi qu’avec un groupe de militants qui, comme moi, soutenaient l’idée d’un repli stratégique face à l’avancée fasciste, ont cherché refuge en France. Ensuite je me suis transféré au Mexique, où j’ai résidé jusqu’en 1990. Là, je me suis spécialisé, et réalisé des travaux de reporter journalistique, étant parmi les fondateurs du magazine Via Libre, du Festival du Livre de Managua et du Festival de Gráfica latinoamericana, qui dure encore.

C’est à cette époque qu’est née ma première fille Valentina et que j’ai écrit mon premier roman, Buena Onda, publié plus tard par le prestigieux éditeur Gallimard en français.

Grâce à la doctrine Mitterrand, je suis retourné en France en 1990, où, après que la Cour suprême (sic) de Paris avait rejeté la demande d’extradition italienne, je me suis établi et j’ai poursuivi mon métier de journaliste et d’écrivain.

A partir de cette date, protégé par la doctrine Mitterrand, j’ai constitué une famille et je me suis consacré au métier d’écrivain, publiant 13 autres ouvrages chez des prestigieux éditeurs français et italiens.

Finalement, alors que j’avais établi une nouvelle vie, et que tout laissait croire que ces faits appartenaient au passé, en 2004, la convergence de deux gouvernements de droite

(Berlusconi en Italie et Sarkozy en France) fait que le pays berceau des droits humains passe outre à la Constitution, se met à juger à nouveau pour un fait déjà jugé, sans qu’intervienne aucun élément nouveau dans ces accusations (violant ainsi la Constitution). En fait, il y avait derrière cela des contrats de millions entre les États français et italien.

En 2004, je me suis vu obligé d’abandonner ma famille et de fuir au Brésil. Où j’ai continué mon métier, publiant 5 autres livres, constituant une famille, avec un fils, Raúl, qui a actuellement 5 ans.

L’ex-président Luis Ignacio Lula da Silva (après avoir acquis la certitude que ma personne n’était pas ce monstre que le gouvernement italien tentait de fabriquer, avec une demande absurde d’extradition), me concède le STATUT DE RÉSIDENT PERMANENT, en 2010.

Une fois de plus, une néfaste coïncidence, un gouvernement d’extrême-droite élu en Italie et un autre au Brésil, avec l’élection de Bolsonaro, font que, à nouveau, je sois obligé de demander de l’aide à un pays aux principes démocratiques comme la Bolivie.

Quelques jours après sa victoire électorale, Bolsonaro a promis publiquement qu’il fera tous les efforts nécessaires pour m’extrader. C’est pourquoi, ce 13 décembre, un juge brésilien sous l’influence du ministre de la Justice et du président Temer, a ordonné mon arrestation à des fins d’extradition et a chargé Interpol d’un mandat d’arrêt international. C’est pourquoi, dans le cadre de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 et de son Protocole additionnel de 1967, de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, de la Constitution politique de l’État plurinational de Bolivie, de la Loi 251 de juin 2012 et Du Décret présidentiel 1440 de décembre 2012 et d’autres traités et conventions internationaux ratifiés par la Bolivie, ma situation délicate correspondant à celle exposée dans les inserts a) et b) de l’alinéa 1 de l’article 15 de la Loi 251, je Vous demande d’examiner ma requête humanitaire et de l’accorder le statut de réfugié, pour garantir ma sécurité, ma liberté et ma vie, contribuant ainsi à la construction d’une société de paix reposant sur la justice sociale et les principes de légitimité de la rébellion sociale face aux injustices.

Je reste à votre disposition pour que, après avoir reçu ma demande, vous puissiez me fixer une heure, une date et un lieu pour réaliser un entretien, durant lequel je pourrai fournir plus d’informations à l’appui de ma requête.

Vous remerciant d’avance, je vous adresse mes cordiales salutations.

Cesare Battisiti

Le texte original en espagnol est ici.

»» http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=25110
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