RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Un concept à contextualiser

Le « populisme » serait-il aujourd’hui une menace pour l’Amérique latine ?

Pour l’ancien chef du Commando Sud de Washington pour l’Amérique du Sud, le général James Hill, pas l’ombre d’un doute : la menace principale aujourd’hui sur le « sous-continent », c’est « le populisme radical qui menace le processus démocratique » (le Monde diplomatique, décembre 2007). Hier le communisme, aujourd’hui le « populisme », tous deux satanisés.

Le populisme est un concept flou, commode et attrape-tout, réactivé pour stigmatiser les changements en cours, dénigrer leurs acteurs (dirigeants et peuples). Et ça marche ! De Libération au Monde en passant par El Pais, ils tapent tous sur le même clou. Le sommet d’éthique fut atteint par le Figaro, le 18 août 2004. L’omniscient éditorialiste Alexandre Adler y qualifia le chavisme de « populiste antisémite » et traita le président métis Hugo Chavez de « gorille bolivarien ». On a les élégances que l’on peut et des préjugés tenaces.

Le concept de populisme remonterait à la République romaine, à Spartacus, etc. Il concernerait plus une façon de gouverner que le contenu d’une politique. On trouve des populistes au XIXe siècle en Russie, aux États-Unis, au Mexique… et au XXe siècle en Amérique latine, plutôt des progressistes : les présidents Lazaro Cardenas, Haya de La Torre, Velasco Alvarado, Paz Estenssoro, le leader colombien Eliecer Gaitan, le controversé Peron et son inévitable Evita… Puis vinrent des « néopopulistes » ultralibéraux : Menem, Fujimori…, très autoritaires, corrompus, qui privatisèrent à tout va, et vidèrent leurs pays de toute substance démocratique.

Le populisme se présente donc comme une notion difficile à cerner, ambivalente, changeante selon les contextes et les rapports de forces, très connotée négativement en Europe mais beaucoup moins, et souvent assumée comme un « élément positif », en Amérique latine, continent en butte à l’impérialisme le plus puissant. Il convient par conséquent de contextualiser le concept, de ne pas le séparer des conditions et spécificités historiques (tradition des « caudillos », domination étrangère…), d’examiner le contenu des politiques appliquées, et la place des couches populaires dans les processus. Ce concept (critiquable parce qu’il peut effacer les clivages de classes) contient souvent une critique radicale de la « démocratie libérale », de la société inégalitaire, de la corruption des élites… et peut parfois, il est vrai, verser dans le « tous pourris », comme lors de la crise argentine (« Qu’ils s’en aillent tous ! »). Et beaucoup l’étaient…

En Europe, on l’oppose généralement à la démocratie, on l’assimile à l’autoritarisme, à l’anti-intellectualisme. Les présidents Chavez, Morales, Correa, qui mènent, étymologiquement, « une politique qui vise à défendre les intérêts du peuple » et tiennent leurs promesses, sont populistes donc autocrates. Gouverner pour le peuple et avec le peuple, dans un lien direct et permanent, condamne à être taxé de « dictateur ». Rechercher des formes complémentaires à une démocratie représentative dégradée, condamne à l’opprobre politique. Essayer de « démocratiser la démocratie », de trouver de nouveaux espaces d’expression et de pouvoir populaire, renvoie au goulag.

Au Venezuela, le régime prône la démocratie participative, mais tous les processus d’intermédiation, de légitimation par le vote, de séparation des pouvoirs, demeurent infrangibles. A côté de l’État classique émergent des formes de cogestion, de repolitisation de l’espace social, de déconcentration du pouvoir et de l’économie : coopératives, organisations et « missions » sociales, conseils communaux, organes de citoyenneté active, autogérant des projets de quartier… Il existe même un ministère de la Participation populaire et le président peut être révoqué à mi-mandat (article 72 de la Constitution). Populisme ? Fantasmes absolutistes des médias occidentaux ?

Et si l’actuel « populisme latino-américain » était la participation populaire aux chantiers d’émancipation ? S’il y a des « chefs charismatiques », les « masses » ne sont nullement passives. Force est de reconnaître le rôle de Chavez, de ses discours, de son verbe, dans la mobilisation des pauvres, y compris dans une sorte de « communion » avec eux, jadis « invisibles ». Cette forme de démocratie didactico-pédagogique n’a rien de tyrannique.Quand l’Europe ouvrira-t-elle les yeux, écrivait en 1815 Simon Bolivar (Lettre de Jamaïque) ? « Elle n’aurait plus d’yeux pour reconnaître la justice ? »

Jean Ortiz

source : http://www.humanite.fr/22_11_2010-un-concept-%C3%A0-contextualiser-458286

URL de cet article 12072
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Auteur
Vive le Che !
Jean ORTIZ
Comment expliquer en 2017 le prestige têtu de Che Guevarra, la fascination qu’il exerce encore et toujours ? Le nouvel ouvrage de Jean Ortiz propose une analyse et un point de vue fournis et argumentés, à contre-courant des poncifs et des contre-vérités qui ne manqueront pas de ressurgir en ce cinquantième anniversaire de son assassinat. Il est évident que se joue sur cette figure du combat anticapitaliste comme dans son legs au mouvement pour l’émancipation humaine, une bataille toujours aussi (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le rôle d’un bon journaliste est de s’en prendre aux abus de pouvoir des puissants. Et lorsque cela arrive, la réaction est toujours violente.

Julian Assange

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.