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Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement : un traité cryptique aux origines oubliées et aux conséquences secrètement totalitaires

Quel sphinx de ciment et d’aluminium a défoncé leurs crânes et dévoré leurs cervelles et leur imagination ?

Moloch ! Solitude ! Saleté ! Laideur ! Poubelles et dollars impossibles à obtenir ! Enfants hurlant sous les escaliers ! Garçons sanglotant sous les drapeaux ! Vieillards pleurant dans les parcs !

Moloch ! Moloch ! Cauchemar de Moloch ! Moloch le sans­amour ! Moloch mental ! Moloch le sévère juge des hommes !

Allen Ginsberg, « Howl », II, 1956  [1]

Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (« Transatlantic Trade and Investment Partnership ») mériterait plus d’attention qu’on ne lui accorde, et pour cause. D’abord, les négociations entre l’Union européenne et les États-Unis ne sont ni plus ni moins que secrètes et ce qui en filtre demande un travail de traduction qui n’est pas à la portée du non spécialiste. Lorsque les médias à l’ordre interrompent brièvement leur silence à son propos, ils se font un devoir de reprendre le mantra néolibéral. Aucun dissensus n’est admis, ce qui n’est pas bon signe non plus. Ensuite, ses profondes racines ne sont plus connues. Enfin, il faut savoir que cet accord en cours de négociation n’est pas simplement « commercial » et qu’il n’est d’ailleurs pas vraiment un accord au sens où il instaurerait un « partenariat ». On se dirige toutes voiles dehors vers la servitude volontaire.

La société civile s’organise cependant avec des plates-formes comme Attac et No-transat  [2] et on dispose d’ores et déjà de l’excellent travail de décryptage de militants comme Yannick Bovy, Raoul Jennar et Bruno Poncelet  [3]. Après avoir brièvement expliqué en quoi le projet de traité est cryptique et médiatiquement invisible, on rappelle l’enracinement socio-historique du projet et ses conséquences sur la souveraineté des peuples d’Europe. En conclusion, on cherche à définir une position « méta » afin de comprendre l’urgence d’une réponse militante.

I. Le traité cryptique

Nous avons affaire à un projet de traité qui est triplement cryptique.

Premièrement, seul un cercle d’experts très restreint est au courant de la nature exacte des enjeux et du traitement qui est apporté aux doléances des partenaires transatlantiques. Il y a trois filtres : les textes sont en anglais, ils portent sur des mécanismes économiques inconnus du grand public, et ils adoptent le lexique et les euphémismes de l’Organisation Mondiale du Commerce. On s’attend bien sûr à ce que les États-Unis argumentent (on devrait écrire argu-mentent) en faveur d’un nivelage par le bas (ou « dumping ») de toutes les réglementations européennes en vigueur tandis que l’Europe se plait à croire (ou à faire croire) qu’il sera possible de sauver une partie des acquis sociaux et d’obtenir la reconnaissance de la spécificité de ce qu’il faut bien appeler maintenant le « European Way of Life ». Mais tout est officiellement et officieusement nébuleux à souhait.

Deuxièmement, renseignements pris, ce traité ne cherche pas à constituer, comme on pourrait l’imaginer, un nouveau cadre douanier pour le libre-échange transatlantique. Il ne s’agit pas simplement de lever toutes les barrières tarifaires, ce sont les barrières non tarifaires qui sont principalement visées : on veut rendre compatibles les réglementations et les normes en vigueur dans les pays européens avec celles appliquées aux États-Unis afin de pouvoir ultérieurement définir et imposer des normes mondiales. 

Troisièmement, la déréglementation portera également sur le droit commercial international et sur sa mise en œuvre. À travers le « mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États », on cherche à rendre les us et coutumes juridiques obsolètes en remplaçant les tribunaux par l’arbitrage de juristes privés. L’exception deviendra la règle.

Il n’est donc pas étonnant que les médias soient particulièrement discrets à son égard. S’il restait des velléités déontologiques chez les journalistes, elles seraient bien sûr rapidement disciplinées par leurs supérieurs hiérarchiques, dignes représentants des intérêts actionnariaux (sans mauvais jeu de maux). Ânonner le mantra néolibéral est plus sûr : le traité de libre-échange transatlantique permettra de relancer la croissance et de créer des emplois et donc d’augmenter significativement le niveau de vie des populations concernées.

II. Les racines oubliées

Les racines secondaires sont bien connues : le travail de sape des acquis sociaux est entamé, entre 1986 et 1994, par le cycle d’Uruguay (ou « Uruguay Round »), qui a donné naissance à l’Organisation mondiale du commerce (1995) ; il est répercuté par la Commission Delors, qui sévit précisément de 1985 à 1995. Dès 1990, soit un an après la chute du mur de Berlin, les États-Unis et l’Union européenne signent une première résolution transatlantique afin de promouvoir les principes de l’économie de marché. Il n’y a pas d’alternative au primat de la concurrence libre et non faussée (« TINA ») ; tous les obstacles à la circulation des capitaux (d’abord) et des biens et services (ensuite) doivent être levés. (On devine ici une hésitation sur le statut des « ressources humaines », qui n’ont ni la noblesse du capital ni l’efficacité des biens de consommation.) Tout ceci coïncide avec les premières missions de l’OTAN : fort curieusement, ce n’est qu’après la fin de la guerre froide que l’OTAN commence à intervenir à l’étranger (opérations « Anchor Guard » en 1990 et « Ace Guard » en 1991), avec le succès que l’on sait.

La racine principale, très présente dans la littérature dite « scientifique », doit être rappelée : Friedrich von Hayek publie en 1944 La Route de la servitude, un pamphlet en gestation depuis 1940. Sa thèse est simple : il n’y a pas de liberté politique sans liberté économique ; toute mesure renforçant l’une consolide nécessairement l’autre. Négativement, cela veut dire que l’interventionnisme économique de l’État, aussi minime soit-il, ouvre nécessairement la voie au totalitarisme. Au nom de la démocratie, il faut donc mettre de toute urgence l’État de droit — et ses bases démocratiques — en liquidation ! La sécurité sociale mène au Goulag, le syndicalisme au Vietcong et la libre pensée à l’anarchie. Moyennant une légère rectification de la notion de démocratie, l’argument est cohérent et applicable, mais il est proposé à une époque où l’idéal communiste a le vent en poupe tandis que la Russie est en train d’écraser l’Allemagne nazie (10 millions de soldats nazis perdront la vie sur le front de l’Est… sur un total de 13,5 millions de disparus). En témoigne le célèbre programme du Conseil national de la résistance, adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944.

Que faire ? Hayek souscrit à la même stratégie que celle proposée par Gramsci dans ses Cahiers de prison, qui datent de 1926–1934 : la destruction de l’hégémonie du capitalisme international ne pourra se faire qu’en infiltrant progressivement toutes les institutions civiles et politiques. De même, Hayek croit que seule une politique des petits pas permettra la destruction de la menace communiste et de sa cinquième colonne. Vingt ans plus tard, le 30 septembre 1965, il arriva à ses fins avec la première mise en place d’un dispositif néolibéral en Indonésie, suite au coup d’État de Suharto qui coûta la vie à plus d’un million de communistes (certains parlent de 3 millions d’exécutions). C’était en quelque sorte la répétition du coup d’État de Pinochet, perpétré le 11 septembre 1973. C’est donc en 1965 que le communisme a perdu la partie — à moins que sa faillite ne date de l’accession au pouvoir de Kroutchev et de sa destruction de l’héritage stalinien (1953)  [4].

En conclusion, l’OMC n’est pas une créature surgie de nulle part et il ne faut pas croire qu’il sera facile de la renvoyer dans sa nuit et son brouillard. Elle est le fruit d’une corruption idéologique qui a débuté en 1945 et qui a produit ses premiers résultats tangibles dès 1965. Nous n’assistons pas au lancement d’un nouveau programme d’infiltration du capitalisme dans le tissu politique, mais à son atterrissage d’urgence dans le contexte d’une crise globale systémique qui est en passe de devenir terminale. Il faudrait revenir bien sûr sur ce qui s’est passé entre 1945 et 1973, entre 1973 et 2001, et entre 2001 et 2008 — mais c’est une histoire du déploiement récent de l’impérialisme US-américain, de sa démesure (de son « hybris ») et de sa chute qu’il faudrait écrire  [5]. D’un point de vue européen, on s’intéresserait alors tout particulièrement à la guerre culturelle qui a été menée sur tous les fronts, à commencer par les médias appuyés par l’industrie hollywoodienne  [6], et y compris sur le front de la construction européenne : au nombres des salariés de la CIA nouvellement créée, il y avait en effet Paul-Henri Spaak, Robert Schuman, Joseph Retinger et le Baron Boël de la « European Youth Campaign »  [7]. Comme l’a très bien écrit Annie Lacroix-Riz, l’Europe n’est rien d’autre qu’une succession d’ententes opportunes entre les grands groupes financiers allemands et français, avec les États-Unis qui veillent au respect du contrat de mariage  [8].

Peut-on parler de conspiration ? Oui, car tout est fait pour éviter la transparence et les grands capitalistes tirent les ficelles par l’entremise de faux-nez et de lieutenants surdiplômés. Du reste, il est toujours piquant d’utiliser le langage de l’adversaire pour dénoncer ses propres pratiques : le conspirationniste n’est pas celui qui s’exprime critiquement sur des sujets de société sensibles, mais l’oligarque qui réseaute furtivement afin de resserrer son emprise sur le peuple. Non, car c’est la logique interne d’un paradigme lancé en 1944 par Hayek qui continue à déployer ses effets à travers d’innombrables agents victimes d’une violence symbolique bourgeoise. Remarquons toutefois qu’on peut plus facilement croiser le fer avec des individus qu’avec des structures sises dans des paradis fiscaux et que la première hypothèse est pragmatiquement la plus indiquée.

III. Les conséquences secrètes

Il n’est malheureusement pas possible de parler des effets positifs attendus de ce côté-ci de l’Atlantique : ils n’existent que dans l’imaginaire des technocrates. Ce traité de libre-échange ne permettra pas de relancer la croissance, de créer des emplois ou d’augmenter le niveau de vie des populations concernées. Même s’il devait y avoir une reprise infinitésimale de la croissance, ce ne serait pas une bonne nouvelle car elle se ferait aux dépens des citoyens et du monde du travail en particulier. (Sans parler du fait qu’en dehors de la décroissance il n’y aura pas de salut.) Seul le monde financier devrait voir son pouvoir sociétal et son chiffre d’affaire augmenter. Le traité, s’il est finalisé et ratifié, aura deux conséquences principales : la subordination de l’Europe aux États-Unis et le transfert définitif et explicite du pouvoir politique au pouvoir économique. En somme, on obtient un binôme US-EU piloté par des multinationales US. On parle de clause léonine lorsque l’un des cocontractants obtient des droits disproportionnés par rapport à ses obligations ; c’est la part du lion. Comment se ventile-t-elle dans le cas qui nous occupe ?

Premièrement, la subordination du socio-politique au monde économique, lui-même asservi par la finance préservera l’hégémonie de l’économie du dollar, de Wall Street et de la City — dont sont d’ailleurs déjà issus la plupart des décideurs européens. Pensez à toutes ces créatures politiques ayant bénéficié — ou bénéficiant toujours —d’un salaire chez Goldman-Sachs, ayant émargé à la French American Foundation (les célèbres « Young Leaders »), à la Belgian American Educational Foundation, ou ayant bénéficié d’une bourse Fulbright, … L’« harmonisation de la régulation » conduira à une plus grande libéralisation des services financiers, à l’impossibilité de contrôler les banques et, a fortiori, de lutter contre les fonds spéculatifs.

Deuxièmement, ce qui reste de la culture européenne sera rendu obsolète. Qui dit culture, dit en effet atmosphère (ou « grand récit ») propice à la fois à l’individuation et à la solidarité. Or, comme l’avait déjà observé Tocqueville en 1835, la « démocratie en Amérique » refuse aux individus le droit d’être eux-mêmes et aux communautés le droit d’être solidaire. Le conformisme et l’atomisme sont la règle — et la guerre de tous contre tous le compas — de la dissociété. Le citoyen, fort de sa personnalité propre et de sa compréhension de l’intérêt général cherchait, en devenant lui-même, à renforcer le tissu social. Seul l’artisanat permet d’alimenter un tel « marché ». Le consommateur n’est plus qu’un clone : il est habité par exactement les même goûts et les mêmes désirs que son voisin et il entend bien les satisfaire avant lui. On peut donc vendre exactement le même hamburger à des clones vivants à 6000 km de distance (trajet que la viande a probablement elle-même parcouru plusieurs fois) : les économies d’échelle sont énormes et la création de monopoles aisée. La toute première force de l’économie US-américaine est ici : 320 millions de clones consommant à la demande. Sur une terre aussi culturellement morcelée que l’Europe, il a fallu des dizaines d’années d’investissements publicitaires pour obtenir un semblant de résultat… On comprend donc que les normes sociales, alimentaires, sanitaires, écologiques etc., soient nulles et non avenues tandis que le respect de la vie privée n’a pas sa place dans un régime politique qui ne gouverne déjà plus par la peur mais par l’angoisse  [9]. Il y a une parfaite complémentarité entre les aspects économiques et politiques de ce « clonage ». Enfin, épinglons la menace particulière qui pèse sur l’agro-alimentaire (il existe encore des droits de douane sur les produits agricoles et des règlementations anti-OGM qui portent préjudice à l’industrie US- américaine) et sur le monde de l’enseignement : quel idéal pédagogique résisterait aux exigences du marché ? Le clonage s’impose ici également  [10].

Troisièmement, l’asservissement politique sera entériné. Comme par hasard, H. Clinton parle d’une OTAN économique — or l’OTAN est la structure qui interdit à l’Europe de s’émanciper sur le plan diplomatique et militaire. Mais il ne s’agit là que d’une étape intermédiaire, la libéralisation demandant le démantèlement des États et la mise en place d’une « gouvernance », que l’on espère mondiale, basée sur les normes marchandes. La tenants et les aboutissants de la balkanisation du Moyen-Orient devrait définitivement susciter notre curiosité.

Quatrièmement, alors que le changement climatique demande de toute évidence plus de régulation, pas moins  [11], le projet de traité rendra potentiellement impossible la limitation des émissions des gaz à effet de serre, la promotion des circuits courts, de la production locale, de préférence bio, de la démécanisation… Ou bien l’aveuglement est total, ou bien l’effondrement est activement recherché. N’oublions pas que les crises constituent toujours de nouvelles opportunités d’augmenter la concentration du capital au détriment du petit porteur dont le portefeuille n’est pas assez diversifié et dont le caractère n’est pas assez agressif pour survivre au détriment de tous et de toutes.

Cinquièmement, on l’évoque rarement, le gigantesque marché militaire n’est pas étranger à ces enjeux. La question a différentes facettes : on peut concevoir la nécessité d’une armée citoyenne afin de défendre son territoire ; la professionnalisation de l’armée constitue une première trahison qui en permet beaucoup d’autres, à commencer par les guerres corsaires ; la privatisation, par tranches, de l’armée constitue l’étape suivante. Elle s’accompagne de la privatisation de toute une série de tâches ancillaires et d’activités de renseignement, dont on sait maintenant à qui elles profitent : les contrats de renseignement constituent une manne pour le secteur privé et permettent, indépendamment de la valeur stratégique et tactique de certaines données, d’espionner les décideurs politiques et de pirater les technologies de pointe et la R&D.

Pour se donner une idée de ce marché, il suffit de se pencher brièvement sur le budget US-américain de la défense. Bien qu’il ne soit pas estimable directement, il semble raisonnable de prétendre que 66 pour cent du budget fédéral y soit consacré : au Département de la défense (« DoD ») qui comprend le Pentagone et les différents corps d’armée, il faut ajouter une nébuleuse de « defense agencies » (CIA, secret service, NSA, NRO, DIA, DARPA, …), les dépenses liées aux anciens combattants, les programmes secrets (« black programs ») qu’on ne peut jamais investiguer qu’ex post, le Department of Homeland Security, le Département de l’énergie, qui se charge des filières de production des armes nucléaires, la NASA, qui a pour mission de rendre l’impérialisme interplanétaire, et les innombrables enveloppes qui financent la recherche et le développement, c’est-à-dire le keynésianisme militaire protéiforme  [12]. (Cette face gouvernementale est complétée par une face corporatiste qui, elle aussi, est tentaculaire : le complexe militaro-industriel.) En plus des sommes qui sont consacrées aux systèmes d’arme, à leur entretien, etc., les sommes siphonnées sont colossales : le 10 septembre 2001, Donald Rumsfeld fustigeait la bureaucratie du département de la défense, responsable, selon lui, de la disparition de ses comptes de 2 trillions de dollars. Une estimation plus récente (2013) donne le chiffre de 8,5 trillions de dollars, disparus des comptes depuis 1996  [13]. Que peut-on faire avec 8500 milliards de dollars ? Le programme Apollo (1959–1973) n’aurait coûté, en dollars constants, que 109 milliards de dollars… Si on devait facturer un porte-avion de l’avant-dernière génération  [14] à 8,5 milliards de dollars la pièce, le DoD aurait donc mystérieusement égaré 100 porte-avions en 17 ans, soit 6 par an. Ou bien l’incurie est kafkaïenne, ou bien il existe un programme secret plus secret et plus dispendieux que les autres  [15].

Le marché militaire offre donc des possibilités inimaginables de vente, de location et de détournement de matériel et de services. Reste la cerise sur le gâteau de la libéralisation : le développement des sociétés de détectives privés, des sociétés de gardiennage et de sécurité et enfin des armées privées. On s’est toujours plaint des brutalités policières et de l’indolence de l’armée ; le temps viendra où on regrettera les matraques et la gégène. Ici aussi, l’Amérique est à la fine pointe du progrès. Par exemple, lorsque John D. Rockefeller décide d’en finir avec le mouvement de grève des mineurs de Ludlow (Colorado), il peut compter sur la bonne volonté de la Garde nationale, mais ses méthodes n’étant pas assez expéditives, la Baldwin–Felts Detective Agency intervient à la mitrailleuse le 20 avril 1914.

Les sociétés de sécurité se sont toujours développées dans les régions et les pays où les nantis ne peuvent compter sur la police, débordée ou corrompue. La différence entre les mercenaires et les sociétés militaires privées ne tient qu’au vide juridique qu’elles exploitent, aux appuis politiques dont elles sont nanties et à la puissance de feu qui est devenue la leur. Avec « Academi » (ex « Blackwater », ex « Xe Services »), créé en 1997, on est loin de WatchGuard International, créé en 1965 sur le modèle du SAS britannique : à peu de choses près, il ne manque à leur arsenal que des charges nucléaires tactiques.

Quelle est, de ce point de vue, la tendance que dessine le projet de traité transatlantique ? À l’heure actuelle, la gestion US-américaine des différends commerciaux est grevée d’une lourde procédure : lorsqu’une multinationale est en litige avec un État, de préférence du tiers-monde, elle doit porter son cas à Washington, par le biais d’un représentant acquis à sa cause, en prétextant qu’elle est la victime d’un anti-américanisme primaire, voire d’un terrorisme secondaire ; une décision politique doit alors être acquise afin de faire intervenir le Pentagone, qui est dirigé, jusqu’à preuve du contraire, par des officiers supérieurs ayant prêté un serment d’allégeance à la Constitution et au peuple, des officiers tenus au surplus de faire respecter les Conventions internationales applicables en la matière, à commencer par les Conventions de Genève. Une intervention souterraine de la CIA est bien sûr toujours possible  [16], mais tout ceci est fastidieux et « time consuming ». Dès lors que la multinationale en question peut simplement commanditer l’intervention d’une société privée, la réponse est immédiate et on ne s’encombre plus ni de politiciens que le graissage de patte ne rend pas apte au sprint, ni des aléas liés à l’expression du devoir militaire. Par souci de complétude, remarquons qu’une solution intermédiaire existe : fomenter des troubles par l’intermédiaire d’une ONG, les alimenter à l’aide d’actions crapuleuses menées par des mercenaires rebaptisés « contractants », et enfin utiliser ces derniers sans retenue pour mener une guerre civile expéditive. Du reste, il devient également possible à toute multinationale d’entrer en conflit avec son propre gouvernement et avec sa propre population, qui demeure hélas toujours susceptible de refuser la marchandisation de l’humain.

Envisager la question du mercenariat est donc très éclairant car elle permet de définir la version du capitalisme extrême qui est en gestation. On pourrait croire en effet que le capitalisme nécessite, pour son bon fonctionnement, un État-gendarme, c’est-à-dire un État qui a renoncé à toutes ses fonctions sauf au monopole de la violence physique et symbolique légitime (cf. Max Weber). Robert Nozick s’est ainsi fait le porte-parole du minarchisme libertarien : il faut un État, mais un État réduit à sa plus simple expression. Défendre l’intégrité territoriale, la propriété de la veuve et de l’orphelin et les intérêts de l’entrepreneur lésé demande classiquement armée, police et magistrature. Ce n’est pas la thèse anarcho-capitaliste qui est ici soutenue ; toutes les fonctions de l’État peuvent manifestement être remplies par des structures privées. Le transfert de pouvoir du politique (ou de ce qu’il en reste) à l’économique (les multinationales) doit être complet.

Que conclure ? Pour quoi — et pourquoi — doit-on militer ?

Premièrement on comprend mal l’insistance avec laquelle les commentateurs parlent de la façon non démocratique dont le traité transatlantique est négocié : ils déplorent l’absence de transparence, l’absence de consultation populaire ou de débat parlementaire, les représentants de l’Europe sont des experts non élus, etc. Et alors ? D’une part, comme le montre J.-Cl. Paye, la démocratie US-américaine s’est suicidée en 2001 avec l’adoption du Patriot Act  [17] ; d’autre part, on peut prétendre que l’Europe démocratique est morte au plus tard en 2009 lorsque le Traité de Lisbonne, qui rend inconstitutionnelle toute politique qui ne serait pas néolibérale, est entré en vigueur. Duplicata idéologique du projet de « Constitution » rejeté par ceux à qui on a pris la peine de demander leur avis (les Néerlandais et les Français en 2005 ; les Irlandais en 2009)  [18], le Traité a été sciemment rédigé dans un langage impénétrable tandis que les politiques demandaient le plus simplement du monde de les croire sur parole. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Qu’un expert soit élu ou pas ne change rien : la représentation du peuple est depuis longtemps minée par l’affairisme et le professionnalisme. C’est simplement le retour du totalitarisme qui s’annonce. Faut-il à ce propos souligner que les perquisitions sans mandat, les écoutes téléphoniques, les fouilles corporelles, les opérations clandestines (« undercover ») sont maintenant monnaies courantes aux États-Unis ? Que l’habeas corpus, fondement de l’État de droit, n’est plus appliqué systématiquement et que la détention, préventive ou non, n’est de facto plus réglementée ? Que les exécutions extrajudiciaires par drone sont jugées nécessaires alors même qu’aucun principe juridique ne les autorise (sans parler de la quatrième Convention de Genève) ? Que l’usage de la torture est officiellement encouragé et que de véritables apologies de la torture sont publiées dans les journaux par des « intellectuels », tandis qu’Hollywood la met en scène avec délectation  [19] ? Que les suspects disparaissent, comme les protagonistes de 1984 étaient abolis, rendus au néant, vaporisés  [20] ? Et enfin que les camps de concentration sont de retour ?

Deuxièmement, il faudrait enfin prendre conscience du pedigree de notre interlocuteur. L’histoire des États-Unis est scandée par un nombre incalculable de génocides, de massacres, de guerres et de trahisons. Le pays est l’héritier direct des quelques 400 traités qui ont été successivement signés avec les peuples indigènes (les « Indiens ») — traités qui ont tous été impunément bafoués par les colons  [21]. La politique internationale de Washington est du même acabit : une longue série de mises en scène afin de piller systématiquement les ressources et d’étrangler toute opposition. Même si on devait se résoudre à mettre entre parenthèse cette suite de carnages, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité (qui se souvient d’Hiroshima ?), il faudrait se poser la question de savoir s’il est indiqué d’unir nos destinées à un pays en guerre perpétuelle. Bien sûr, d’une certaine façon, l’OTAN répond déjà à cette question. Mais sa structure, qui est définie par son origine (contrer un Pacte de Varsovie qui n’existera que six ans plus tard) et son but (la mise en œuvre de l’article 5), est obsolète dans le cadre politique international actuel. Les guerres préventives et préemptives (toutes deux illicites) sont devenues des interventions humanitaires (encore plus difficilement justifiables) et si la rhétorique guerrière a légèrement varié ces dernières années (« rogue state », 1985 ; « axis of evil » ; 2002 ; « outposts of tyranny », 2005), la visée impérialiste est la même : la domination totale de tous les champs de bataille (« full spectrum dominance », 2000). Le sens commun ne devrait pas avoir trop de difficultés à répondre à cette double interrogation.

Troisièmement, en quoi ces remarques historiques et idéologiques évitent-elles l’écueil de l’anti-américanisme primaire ? Le lecteur attentif aura compris que de ceci il n’est pas question : ce serait du racisme, une double erreur dans le cas qui nous occupe puisque le concept de race, qui est très douteux en lui-même, ne saurait s’appliquer aux États-Unis, un pays composé à 99 pour cent d’immigrés. On ne peut condamner les citoyens US-américains, qui sont les premières victimes de leur oligarchie, et il faut au contraire saluer les dissidents, qui s’exposent à de bien plus grandes sanctions qu’en Europe (pour l’instant en tous cas). L’impérialisme US-américain est le pire de l’histoire de l’humanité simplement parce qu’il bénéficie d’avancées techniques et technologiques inouïes. Il ne fait aucun doute que l’Angleterre, la France, l’Espagne ou le Portugal auraient atteint le même degré d’ignominie si l’occasion leur avait été offerte… et que les regrets de leurs oligarques sont éternels. Nous assistons simplement à un nouvel épisode de la lutte des classes.

Quatrièmement, l’Européen a malheureusement du mal à se rendre compte que nous sommes déjà en état de guerre. D’une part, l’état de mobilisation de l’OTAN n’a pas changé depuis que l’article 5 a été invoqué suite au Onze-septembre, les théâtres d’opération se sont simplement diversifiés. D’autre part, le battage médiatique auquel nous assistons à l’heure actuelle est le signe tangible d’une volonté d’en découdre avec les nations musulmanes, on le savait et on s’y attèle nuit et jour, mais aussi avec la Russie et, dès que possible, avec la Chine. Anne Morelli a fort pédagogiquement exposé les principes élémentaires de la propagande de guerre très tôt identifiés par Arthur Ponsonby : nous ne voulons pas la guerre ; le camp adverse est le seul responsable des hostilités qui s’annoncent ; le chef du camp adverse a le visage du diable ; notre cause est noble, etc.  [22]. En fait, seule l’implosion de l’économie US-américaine pourrait empêcher la guerre. Qu’en pensent les Russes ? Personne ne le sait puisqu’on ne leur demande surtout pas leur avis et que lorsqu’ils s’expriment dans les médias russes ils font preuve d’une grande réserve. Les faits parlent toutefois d’eux-mêmes. Dmitri Olegovich Rogozine, vice-premier ministre chargé de l’industrie de la défense depuis 2011, est en train d’opérer une modernisation de l’armement russe avec pour horizon 2020. Il semble donc espérer, exactement comme Staline en 1934 (au XVIIe Congrès du PCUS), avoir le temps de se préparer à l’inévitable confrontation avec l’impérialisme occidental. En signant, en août 1939, et suite au refus des Britanniques de conclure une alliance contre les Nazis, le pacte Molotov-Ribbentrop, Staline paye le prix fort pour terminer l’opérationnalisation de son industrie militaire. L’histoire lui donnera raison puisque l’armée nazie est en déjà déroute en décembre 1941, aux portes de Moscou, soit six mois après le déclenchement de l’opération Barbarossa. La bataille de Stalingrad, qui se termine en février 1943, marque le point final de l’aventure nazie. Pour mémoire, le débarquement de Normandie a eu lieu en juin 1944 ; Grouchy n’aurait pas fait mieux. Les Nazis ont perdu, répétons-le, 13,5 millions de soldats de 1939 à 1945, dont 10 millions sur le front de l’Est ; les Soviétiques ont perdu 10 millions de soldats et 20 millions de civils durant les hostilités ; les États-Unis ont perdu 290000 soldats de 1941 à 1945. Pourquoi une telle amnésie de l’intelligentsia occidentale ? Que peut-on en conclure sur la menace que l’impérialisme soviétique faisait peser sur le monde en 1945 ?

Cinquièmement, les gesticulations pseudo-juridiques du projet de traité — elles ne constituent en fait que des dispositifs de négation du droit — ne prennent sens que dans le contexte de la crise globale systémique. C’est-à-dire que la crise que nous ne traverserons pas est le fruit d’une synergie entre tous les pôles cardinaux de notre civilisation : elle est financière, économique, énergétique, démographique, politique, religieuse, culturelle, sociétale, géostratégique, écologique et climatique. Tenter d’uniformiser les législations pour permettre une libre circulation marchande des capitaux est la réaction instinctive du capitalisme. On voit mal cependant comment la libre localisation des produits et des services va résoudre une seule de ces facettes crisiques. La métaphore éculée du Titanic est appropriée : l’iceberg a été identifié en 1968, la collision eut lieu en 1971 et, pendant que le navire donne inexorablement de la gîte, nous en sommes toujours à compter le nombre de compartiments inondés et à recalculer le débit des pompes. « Le Trône de fer  [23] » offre des possibilités métaphoriques plus contemporaines : les sept royaumes de Westeros sont la proie de luttes intestines et d’attaques frontales venant de tous bords ; même le climat se fait menaçant et le chaos s’installe partout. Il est encore impossible de connaître la cause qui déclenchera accidentellement l’effondrement, mais celui-ci, imminent, est déjà palpable dans l’atmosphère culturelle (la « Stimmung »).

Historiquement la philosophie s’est définie comme une discipline luttant contre l’opinion, contre ce que Bourdieu a théorisé à l’aide des concepts d’habitus et de violence symbolique. Or, rares sont ceux qui peuvent se défaire de leurs opinions et laisser s’opérer le nettoyage de leurs portes de la perception et de la cognition. Le retournement qui en résulte semble a priori trop douloureux. Un tel travail n’a jamais été aussi urgent. Lorsqu’il est effectué, on est conduit à une double conclusion : d’une part, la lutte contre le projet de traité transatlantique est urgente et elle sera décisive pour infléchir la trajectoire politique funeste qui est la nôtre ; d’autre part, l’histoire nous enseigne qu’un projet d’une telle ampleur ne sera pas révoqué par une lutte citoyenne classique. Si les tractations devaient capoter ou si le traité n’était pas ratifié, il serait imposé d’une manière moins subtile, à savoir à l’aide d’un projet 2.0 qui échapperait aux procédures par lesquelles le premier fut désamorcé ou qui ne serait simplement qu’une modalité de l’état d’urgence décrété pour lutter contre la terreur, réelle ou imaginaire, dans laquelle l’impérialisme nous aura projeté. La vraie conclusion est qu’il faut appeler de nos vœux et de notre militance un renouveau démocratique digne de ce nom. L’imposture néolibérale n’a que trop duré. Comme disait Newton, tout ce qui monte doit redescendre.

Michel WEBER

[1« I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked, dragging themselves through the negro streets at dawn looking for an angry fix, […] Moloch ! Solitude ! Filth ! Ugliness ! Ashcans and unobtainable dollars ! Children screaming under the stairways ! Boys sobbing in armies ! Old men weeping in the parks ! Moloch ! Moloch ! Nightmare of Moloch ! Moloch the loveless ! Mental Moloch ! Moloch the heavy judger of men ! » Je cite la traduction légèrement modifiée de http://ver-s-tebral.artblog.fr/16330/Allen-GINSBERG-Howl-extraits/.

[3Voir, e.g., Raoul Marc Jennar, Europe, la trahison des élites (Paris, Éditions Fayard, 2004) et Le Grand Marché Transatlantique (Perpignan, Cap Bear Éditions , 2014) ; Ricardo Cherenti et Bruno Poncelet, Le grand marché transatlantique : Les multinationales contre la démocratie ([2011], Paris, Bruno Leprince, 2014).

[4Les études qui revisitent l’histoire du XXe siècle sont aussi nombreuses que méconnues : Albert E. Kahn & Michael Sayers, The Great Conspiracy Against Russia, London, Collet, 1946 ; Douglas Tottle, Fraud, Famine and Fascism : The Ukrainian Genocide Myth from Hitler to Harvard, Toronto, Progress Book, 1987 ; Geoffrey Roberts, The Soviet Union and the origins of the Second World War. Russo-German Relations and the Road to War, 1933–1941, New York, Saint Martin’s Press, 1995 ; Michael Jabara Carley, 1939, The Alliance That Never Was and the Coming of World War 2, Chicago, Ivan R. Dee, 1999 ; Geoffrey Roberts, Victory at Stalingrad. The Battle That Changed History, London, Longman, 2003 ; David Reynolds, From World War to Cold War Churchill, Roosevelt, and the International History of the 1940s, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; Geoffrey Roberts, Stalin’s Wars : From World War to Cold War, 1939–1953, New Haven & London, Yale University Press, 2006 ; Domenico Losurdo, Stalin, Storia e critica di una leggenda nera, Milano, Carocci, 2008 ; Grover Furr, Khrouchtchev a menti ([2011] Paris, Éditions Delga, 2014) et Blood Lies : The Evidence that Every Accusation against Joseph Stalin and the Soviet Union in Timothy Snyder’s Bloodlands Is False (New York : Red Star Publications, 2014).

[5Tout récit a un commencement arbitraire. S’il fallait questionner les origines de l’impéralisme US-américain, on serait renvoyé, de proche en proche, à l’histoire de la révolution industrielle. Plus prosaïquement, ce sont les contradictions du capitalisme et l’histoire de la lutte des classes qui expliquent l’engrènement des guerres par le retour des crises systémiques (1873, 1924, 2008).

[6Frances Stonor Saunders, Who Paid the Piper ? The CIA and the Cultural Cold War, London, Granta Books, 1999.

[7Le premier memorandum à cet effet daterait du 26 juillet 1950 : voir Ambrose Evans-Pritchard, « Euro-federalists financed by US spy chiefs », The Telegraph, 19 Sept. 2000.

[8Annie Lacroix-Riz, Aux origines du carcan européen (1900–1960), Paris, Delga / Le temps des cerises, 2014.

[9Cf. Michel Weber, « Le 11-Septembre entre mythe et grand récit », Kairos 8, septembre / octobre 2013, p. 13-15 ; « Peurs et angoisses en politique — A propos de Davos », Kairos 13, avril-mai 2014, p. 7.

[10Cf. Michel Weber, Éduquer (à) l’anarchie. Essai sur les conséquences de la praxis philosophique, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2008 et « “Freedom is Slavery” : A Whiteheadian Interpretation of the Place of the Sciences and Humanities in Today’s University », Interchange, 2015 [à paraître].

[11Naomi Klein, This Changes Everything. Capitalism vs. The Climate, New York, Simon and Chuster, 2014.

[12En investissant massivement dans la recherche, le développement et la commercialisation de produits militaires, de leurs précurseurs et dérivés, l’État capitaliste stimule l’innovation technologique, l’emploi et la production industrielle. De plus, il offre des débouchés sûrs : le gigantesque marché militaire est garanti par l’État et financé par les impôts (payés par les pauvres) et les prêts (bénéficiant aux « marchés financiers »). La réticularité de cette pratique digne de la Russie soviétique (qui, soulignons-le, n’a fait que s’adapter, par la force des choses, au militarisme occidental) est tellement profonde et puissante que sa quantification est virtuellement impossible. Un exemple suffira : en 1955, lorsque Chomsky est titularisé comme professeur de linguistique au MIT (Massachussetts Institute of Technology), l’Institut était financé à 100% par trois corps d’armée. Le lecteur naïf s’étonnera d’abord que des travaux aussi abscons que la grammaire générative et transformationnelle soient entièrement financés par le Pentagone. Il ajoutera peut-être que le MIT était à l’époque le centre principal de résistance du mouvement anti-guerre et que, de fait, Chomsky n’a jamais épargné ses efforts pour dénoncer le militarisme impérial des USA. On admettra en effet que certaines recherches semblent fort éloignées d’une application militaire directe, mais dans le cas de la linguistique, il n’en n’est rien : comprendre la structure fondamentale du langage permettrait en effet de formaliser toutes les langues et de créer des logiciels de traduction universelle (et donc panoptiques) ; du reste, la programmation d’ordinateurs complexes, d’automates performants, de drones et de droïdes passe également par la création de nouveaux algorithmes. Que le MIT soit au surplus un nid de contestataires importe peu — à la condition expresse que ces universitaires contribuent par leurs travaux à alimenter la machine militaire et qu’en tant que contestataires leurs voix se noient dans le bruit médiatique. Si d’aventure elle se faisait entendre très brièvement, l’oligarchie s’empresserait d’y voir la preuve de la liberté d’expression qu’elle autorise avec la bienveillance qui la caractérise. (Reste évidemment la question de savoir ce que Chomsky est venu faire dans cette caserne virtuelle…)

[14Le PCU Gerald R. Ford (CVN-78), dernier de la classe des « supercarriers », semble avoir coûté 13 milliards de dollars plus 5 milliards en recherche et développement.

[15Autre exemple : en janvier 2005, il est apparu que 8,8 milliards de dollars avaient été siphonnés du Development Fund for Iraq ; en janvier 2005, le député (membre de la Chambre des représentants) Henry Waxman, interroge la raison du retrait en liquide de 12 milliards de dollars du compte du DFI. Et ainsi de suite.

[16Un exemple au hasard : quand Jacobo Arbenz exproprie en 1952 la « United Fruit Company » (devenue « Chiquita Brands International » en 1989) en calculant le montant de l’indemnisation à partir de la valeur déclarée (et donc taxée) des terres, la UFC se plaint au gouvernement des États-Unis en transformant le litige commercial en attaque anti-américaine. La CIA organisera promptement un coup d’État et tout rentrera dans l’ordre.

[17Jean-Claude Paye, La Fin de l’État de droit. La lutte antiterroriste : de l’état d’exception à la dictature, Paris, Éditions La Dispute, 2004.

[18Ajoutons que les Norvégiens ont également refusé par référendum, à deux reprises et en vain, de rejoindre l’Union : en 1972 et en 1994.

[19On assiste bien ici et là à des combats d’arrière-garde, comme lorsque Karen J. Greenberg, professeur de droit à la Fordham University, dénonce l’illégalité de la pratique, mais personne ne pose la question de savoir quel type de société permet la réalisation et la distribution d’un film — Zero Dark Thirty (2012) — qui encourage la pratique de la torture… En quoi une décapitation est-elle plus scandaleuse ? Même le but de la torture est travesti : la torture ne cherche jamais à faire parler et toujours à faire taire le résistant et à terroriser sa communauté (Sironi).

[20George Orwell, Nineteen Eighty-Four [1949]. Introduction by Thomas Pynchon, London, Penguin Books, 2003, p. 22.

[21Howard Zinn, A People’s History of the United States : 1492–Present, New York, HarperCollins, 1980, pp. 526, cf. 131, 142, 525. (Une traduction française a été publiée chez Agone en 2002.) Zinn reprend inlassablement la litanie des forfaits impériaux : en 1847, une « invasion mexicaine » fut mise en scène ; en 1898, l’Espagne fut condamnée pour la destruction de l’USS Maine dans le port de La Havane ; en 1915 le Lusitania est envoyé à sa perte, etc.

[22Arthur Ponsonby, Falsehood in War-Time. Propaganda Lies of the First World War, London, Allen and Unwin, 1928 ; Anne Morelli, Principes élémentaires de la propagande de guerre, utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède, Bruxelles, Éditions Labor, 2001 ; cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Principes_élémentaires_de_propagande_de_guerre, qui reprend les dix thèses : 1. Nous ne voulons pas la guerre. 2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre. 3. Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l’affreux de service »). 4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers. 5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c’est involontairement. 6. L’ennemi utilise des armes non autorisées. 7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes. 8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause. 9.Notre cause a un caractère sacré. 10. Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.

[23« Game of Thrones », issu de l’œuvre de George R. R. Martin
, A Song of Ice and Fire (New York, Bantam Press, 1996–).


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Je n’ai aucune idée à quoi pourrait ressembler une information de masse et de qualité, plus ou moins objective, plus ou moins professionnelle, plus ou moins intelligente. Je n’en ai jamais connue, sinon à de très faibles doses. D’ailleurs, je pense que nous en avons tellement perdu l’habitude que nous réagirions comme un aveugle qui retrouverait soudainement la vue : notre premier réflexe serait probablement de fermer les yeux de douleur, tant cela nous paraîtrait insupportable.

Viktor Dedaj

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