Des camarades militants m’entraînèrent chez une communiste que l’on ne voyait pas aux réunions de cellule, et que je ne revis plus jamais ensuite.
Entrer dans sa demeure vous glaçait, car la vie semblait s’être arrêtée au seuil de son humble maison.
Sur le buffet de la cuisine, des photos encadrées ; je n’en vois plus les visages, ni les détails, mais elles étaient nombreuses.
Cette femme ne vivait pas seule, pourtant. Une autre, plus jeune, partageait ses jours avec elle.
On m’expliqua qu’elles étaient respectivement la mère, veuve elle-même d’un résistant, et la veuve d’un résistant fusillé par les Allemands.
Mère et belle-fille prolongeaient ainsi dans le souvenir leur pauvre existence. Elles serraient le cœur par leurs vies brisées.
La vieille, qui perçut en moi le jeune militant tout feu tout flamme me quitta en me serrant la main et me regardant droit dans les yeux me dit :
– Tu dois bien faire ton métier, camarade.
Comme le souvenir en appelle deux autres, quand je me rends sur la tombe de mes grands-parents, à l’entrée de l’allée qui la précède il y a celle d’un enfant qui a éternellement seize ans : né le... fusillé par les Allemands, le... je n’ai pas les dates en tête, mais c’était lors du repli de leurs troupes alors que le territoire se libérait.
Et mon autre grand-père qui, non loin de là, employait (il y aura des puristes pour dire : exploitait) des ouvriers laissa à sa mort des photos que mes parents recueillirent. L’une d’elles montrait, comme sur une photo de classe, les "ouvriers de l’atelier", que mon père avait plus ou moins connus avant la guerre.
– Tiens ! lui, c’était... [je n’ai plus son nom non plus parce que je ne l’entendis que cette seule fois] ; c’était un Italien qui après avoir combattu le fascisme chez lui se réfugia en France. Et un beau jour il disparut. On apprit qu’il était parti en Espagne combattre Franco aux côté des Républicains.
Et c’est à cause de ce genre de chose que je suis si sensible à la chanson de Brel : Mon père disait...
le 21 février 2014