Si deux grands journaux, par exemple en Russie, avaient publié des éditoriaux prônant ouvertement le bombardement sans provocation d’un pays, par exemple, Israël, les médias et le gouvernement américains se seraient embrasés pour dénoncer « l’agression », « la criminalité », « la folie », et « un comportement indigne du XXIe siècle. »
Mais quand les journaux sont américains - le New York Times et le Washington Post - et que le pays cible est l’Iran, personne dans le gouvernement et les médias américains ne sourcille. Ces articles incendiaires - des incitations au meurtre et à la violation du droit international - sont considérées comme de simples discussions normales au pays de l’ « exceptionnalisme ».
Ce jeudi, le New York Times a publié un éditorial qui a exhorté le bombardement de l’Iran comme une alternative à un accord diplomatique qui ralentirait fortement le programme nucléaire iranien et garantirait son usage à des fins pacifiques. Il y a deux semaines, le Washington Post a publié un article similaire, genre « il-faut-bombarder-l’Iran ».
L’article du Times de John Bolton, un érudit néo-conservateur de l’American Enterprise Institute (AEI), était intitulé « Pour arrêter la bombe de l’Iran, bombardez l’Iran. » Il suivait l’éditorial du Washington Post par Joshua Muravchik, ancien de l’AEI et maintenant membre du School of Advanced International Studies à l’Université Johns Hopkins, dominé par les néocons.
Les deux articles appelaient les Etats-Unis à monter une campagne de bombardement soutenue contre l’Iran pour détruire ses installations nucléaires et promouvoir un « changement de régime » à Téhéran. Ironiquement, ces « savants » rationalisèrent leurs appels à une agression non provoquée contre l’Iran en vertu de la théorie selon laquelle l’Iran est un Etat agressif, bien que l’Iran n’a pas envahi un autre pays depuis des siècles.
Bolton, qui a servi comme ambassadeur du président George W. Bush à l’ONU, a fondé son appel à la guerre sur la possibilité que si l’Iran cherche à développer une bombe nucléaire – ce que l’Iran nie et ce que les services de renseignement américains confirment – un tel événement hypothétique pourrait déclencher une course aux armements au Moyen-Orient.
Curieusement, Bolton a reconnu qu’Israël a déjà développé un arsenal d’armes nucléaires non déclarées en dehors des contrôles internationaux, mais il n’a pas appelé à bombarder Israël. Il a écrit allègrement que « Ironiquement peut-être, les armes nucléaires d’Israël n’ont pas déclenché une course aux armements. D’autres États de la région ont compris - même s’ils ne peuvent pas l’admettre publiquement - que les armes nucléaires d’Israël ont été conçues comme un moyen de dissuasion, et non comme une mesure offensive ».
Bolton n’explique pas comment il parvient à lire dans les pensées des voisins d’Israël qui ont été les victimes des invasions israéliennes et autres attaques transfrontalières. Il n’envisage pas non plus la possibilité que la possession par Israël de quelque 200 bombes nucléaires pourrait être présents à l’esprit des dirigeants iraniens s’ils décident de développer l’arme nucléaire.
Bolton n’explique pas non plus son hypothèse que si l’Iran fabriquait une ou deux bombes, il les utiliserait de manière agressive, plutôt que s’en servir comme un moyen de dissuasion. Il affirme simplement : « L’Iran est une autre histoire. Les grands progrès accomplis dans l’enrichissement de l’uranium et du retraitement du plutonium révèlent leurs ambitions. »
Limiter l’enrichissement.
Mais est-ce exact ? Dans son enrichissement de l’uranium, l’Iran n’a pas progressé vers le niveau requis pour se doter d’une arme nucléaire depuis l’accord intérimaire avec les puissances mondiales connues comme « le p5 + 1 » - les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne. Au lieu, l’Iran a fait marche arrière pour revenir à une niveau d’enrichissement de moins de 5% (niveau requis pour produire de l’électricité) de son niveau antérieur de 20 % (nécessaire pour la recherche médicale) – à comparer aux 90 % requis pour construire une arme nucléaire.
En d’autres termes, plutôt que de défier la « ligne rouge » d’enrichissement que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a tracé lors d’un discours aux Nations Unies en 2012, les Iraniens sont allés dans la direction opposée - et ils ont convenu de respecter ces contraintes si un accord définitif est conclu avec le p5+1.
Cependant, au lieu de soutenir un tel accord, les néoconservateurs américains – en écho aux extrémistes israéliens - exigent la guerre, suivie par la subversion de l’Iran par les Etats-Unis à travers le financement d’une opposition interne pour un coup d’Etat ou une « révolution colorée ».
Bolton a écrit : « Il n’est pas nécessaire de détruire toutes les infrastructures nucléaires de l’Iran, mais la destruction de certains sites clés de son industrie nucléaire pourrait retarder son programme de trois à cinq ans. Les États-Unis pourraient accomplir un travail méticuleux de destruction, mais Israël seul pourrait accomplir le travail nécessaire. Cette action devrait être combinée avec un soutien vigoureux des Eatst-Unis à l’opposition iranienne, visant à un changement de régime à Téhéran ».
Mais il faut se rappeler que les plans de néocons - élaborés dans leurs think tanks et éditoriaux - ne se déroulent pas toujours comme prévu. Depuis les années 1990, les néo-conservateurs ont dressé une liste de pays considérés comme gênants pour Israël et qui sont donc ciblés pour un « changement de régime », dont l’Irak, la Syrie et l’Iran. En 2003, les néo-conservateurs ont saisi leur chance d’envahir l’Irak, mais la victoire facile qu’ils avaient prédit ne s’est pas vraiment réalisée.
Pourtant, les néocons ne revoient jamais leur copie. Ils recommencent simplement avec de nouveaux plans qui, au final, ont jeté une grande partie du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et maintenant de l’Ukraine dans une effusion de sang et le chaos. En effet, les néo-conservateurs ont rejoint Israël dans son alliance de fait avec l’Arabie saoudite dans un conflit sectaire des sunnites contre les chiites et leurs alliés. Tout comme les Saoudiens, les responsables israéliens radotent contre le soi-disant « croissant chiite » de Téhéran à Bagdad et de Damas à Beyrouth.
Puisque l’Iran est considéré comme la nation chiite la plus puissante et qu’il est allié avec la Syrie, qui est dirigé par des alaouites, une émanation de l’islam chiite, les deux pays sont toujours dans la ligne de mire des néoconservateurs. Mais les néoconservateurs ne tirent jamais eux-mêmes sur la gâchette. Leur rôle principal est de fournir les arguments émotionnels et politiques pour obtenir que le peuple américain confie ses impôts et ses enfants pour aller combattre dans ces guerres.
Les néo-conservateurs sont tellement confiants dans leurs compétences à manipuler le processus de décision des États-Unis que certains sont allés jusqu’à suggérer que les Américains devraient se ranger aux côtes du Front Al Nosra d’al-Qaïda en Syrie ou de l’Etat islamique, encore plus brutal, parce que ces groupes aiment tuer les chiites et sont donc considérés comme les combattants les plus efficaces contre les alliés de l’Iran.
La folie de Friedman
Le chroniqueur néocon vedette du New York Times, Thomas Friedman, a frôlé la folie lorsqu’il lancé l’idée que les États-Unis pourraient armer les décapiteurs de l’Etat islamique, en écrivant ce mois-ci : « Il faut dire que je méprise ISIS autant que n’importe qui, mais permettez-moi juste une autre question : Devrions-nous armer ISIS ? »
Je sais que le New York Times et le Washington Post sont protégés par le Premier amendement et peuvent théoriquement publier ce qu’ils veulent. Mais la vérité est que ces journaux sont extrêmement restrictifs quant à ce qu’ils impriment. Leurs pages éditoriales ne sont pas simplement une zone de libre expression.
Par exemple, aucun de ces journaux ne publierait un article qui exhorterait les Etats-Unis à lancer une campagne de bombardements pour détruire l’arsenal nucléaire d’Israël comme prélude à la création d’une zone libre d’armes nucléaires au Moyen-Orient. Ce serait considéré comme une idée irresponsable et hors du débat raisonnable.
Cependant, lorsqu’il s’agit de défendre une campagne de bombardement contre le programme nucléaire pacifique de l’Iran, les deux journaux sont très heureux de publier ce genre de plaidoyer. The Times ne rougit pas, même lorsque l’un de ses plus célèbres chroniqueurs rumine l’idée d’envoyer des armes aux terroristes de l’EI - sans doute parce qu’Israël a identifié « le croissant chiite » comme son principal ennemi actuel et que l’État islamique se trouve dans le camp adverse.
Mais au-delà de l’hypocrisie et, sans doute, de la criminalité de ces articles de propagande, il y a aussi l’habitude des néocons à se tromper. Vous rappelez-vous comment l’invasion de l’Irak devait se terminer avec les Irakiens lançant des pétales de rose sur les soldats américains au lieu de poser des « engins explosifs improvisés » - et comment le nouvel Irak allait devenir une démocratie pluraliste modèle ?
Eh bien, pourquoi supposer que ces mêmes génies qui se sont tellement trompés sur l’Irak auraient raison sur l’Iran ? Que faire si le bombardement et la subversion ne conduisent pas au nirvana en Iran ? N’est-il pas tout aussi possible, sinon plus, que l’Iran réagirait à cette agression en décidant qu’il lui fallait des bombes nucléaires pour dissuader toute nouvelle agression et pour protéger sa souveraineté et son peuple ?
En d’autres termes, se pourrait-il que les intrigues de Bolton et Muravchik - telles que publiées par le New York Times et le Washington Post - produisent exactement le résultat qu’ils disent vouloir éviter ? Mais ne vous inquiétez pas. Si ces derniers plans des néocons tournent mal, ils en concocteront tout simplement de nouveaux.
Robert Parry
Traduction "et dire qu’on a les mêmes chez nous et qui se disent de gauche" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.