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Retour de Palestine. Récit exclusif pour LGS.

Le Mur, rêve israélien, cauchemar palestinien.

Du haut de la colline de Ras al ’Amud la ville est belle, blanche sous un beau soleil qui déjà tape fort. On est pourtant début novembre. L’année, à ce que disent les habitants, a été particulièrement chaude et sèche, pas assez d’eau l’hiver passé et une forte canicule tout au long de l’été qui a grillé les cultures et fait sécher les arbres, du moins pour de nombreux paysans palestiniens rationnés en eau.

A Jérusalem, un serpent dans la ville

Du haut de la colline de Ras al ’Amud la ville est belle, blanche sous un beau soleil qui déjà tape fort. On est pourtant début novembre. L’année, à ce que disent les habitants, a été particulièrement chaude et sèche, pas assez d’eau l’hiver passé et une forte canicule tout au long de l’été qui a grillé les cultures et fait sécher les arbres, du moins pour de nombreux paysans palestiniens rationnés en eau.

Sous nos yeux, à flanc de colline, s’étend l’immense cimetière juif qui descend jusqu’à la vallée du Cédron, wadi el juz en arabe. A droite le mont des Oliviers, en bas le côté oriental de la vieille ville ceinte de ses murs crénelés, qui dresse ses dômes, ses clochers, le bleu et l’or du Dôme du Rocher et autour de cette splendeur, sur les côtés, sur toutes les collines et, en arrière plan, aussi loin que la vue porte, des centaines d’immeubles blancs de plusieurs étages , un peu de pierre et beaucoup de béton. La photo souvenir par excellence, Jérusalem l’éternelle, Jérusalem la moderne, Jérusalem la juive...où il reste encore quelques îlots arabes -on ne dit pas « palestiniens »- : la plus grande partie de la vieille ville, les quartiers est, de moins en moins d’endroits et de population mais encore trop pour les dirigeants israéliens.

D’ici tout est calme et beauté : pas de soldats, pas de check points, le Mur - Al djidar en arabe, el geder en hébreu- est invisible. Il y a sûrement des caméras mais elles sont discrètes. Pour monter notre mini- bus est passé volontairement par un quartier arabe- routes étroites, défoncées, ordures dans les rues, réservoirs d’eau sur les toits, modestes magasins qui vendent un peu de tout - le contraire de la ville juive, claire, propre, parsemée de parcs et jardins, percée de belles avenues. Deux mondes, l’un à côté de l’autre qui se fréquentent peu sauf durant les heures de travail,( les palestiniens allant souvent travailler côté israélien, ouvriers, maçons, jardiniers, employés etc) des langues, des religions, des modes de vie, des traditions qui diffèrent et surtout, un de ces mondes- l’israélien- s’imposant par la force à l’autre- le palestinien. Les murs ne sont pas que de béton !

Le Mur est pourtant là , tout près, quelque part derrière nous, de l’autre côté du Mont des Oliviers, à l’est et au sud -est de la ville, au nord, partout sauf à l’ouest vers Israël. Un immense serpent qui a avalé des milliers de dunums (1 dunum égale 1000 m.carrés), détruit des maisons, séparé des familles, tué des activités économiques, coupé des quartiers et des villes en deux, et surtout, expulsé de fait le maximum de population palestinienne hors du grand Jérusalem.

Ce monstre de béton de 7 mètres de haut - deux fois plus que le mur de Berlin- est surveillé par des tours de guet aux vitres blindées, des caméras, des détecteurs. Il n’ouvre ses énormes portes de métal assez larges pour laisser passer des chars que pour l’armée israélienne. Les rares points de passage entre les Territoires et Israël , appelés de façon moderne des « terminaux »- ça fait mieux que « points de contrôle » - sont des obstacles infranchissables à qui n’a pas les autorisations ad hoc.
Après la vue touristique, nous descendons vers le nord- est . La route s’arrête brusquement devant le mur qui coupe en deux le quartier de Dahiet al barid dont la plus grande partie se retrouve de l’autre côté. Il isole aussi le quartier d’al Ram de Jérusalem.

Aux alentours du Mur nombre d’appartements sont vides, la plupart des magasins fermés. L’école située en zone israélienne a perdu la plupart de ses élèves coincés de l’autre côté du mur. Ceux dont les parents ont une voiture viennent encore après un long détour, le passage plus ou moins rapide, d’un check point et des embouteillages énormes puisque le bout de quartier restant sur Jérusalem n’est plus desservi que par une seule rue.

Des zones de non droit

De l’autre côté, environ 60 000 habitants vivent dans une zone de non-droit, un ghetto. Comme ceux d’autres quartiers de Jérusalem expulsés derrière le mur. Une partie des terres de Al ram a été confisquée pour agrandir la colonie de Neve Ya’akov. La zone industrielle d’Atarot s’est installée à cheval sur Israël, à la limite de la « Ligne Verte » et sur des terres d’al Ram et des villages voisins. Colonies et zones industrielles polluent le voisinage arabe sans état d’âme : les eaux usée des colons se déversent à ciel ouvert dans la partie basse de Dahiet al Barid et la zone industrielle comprend des usines et ateliers extrêmement polluants en particulier des abattoirs. Parfois des flots de sang coulent jusque sur la route bordée par le Mur qui en conserve des traces rougeâtres.

Dans ces zones ouvertes vers les Territoires sous contrôle palestinien, la police palestinienne n’a pas le droit d’intervenir. La police israélienne n’y entre pas non plus puisque zone hors d’Israël. Seule l’armée israélienne y pénètre comme elle veut, quand elle veut, de jour comme de nuit.

Et les histoires de meurtres, voitures volées, trafic en tous genres, drogue, prostitution, ne sont absolument pas son problème ni celui du gouvernement israélien. Au contraire : plus la société palestinienne se délite , mieux Israël se porte. Pour Sabri, notre accompagnateur « L’occupation, ce n’est pas seulement prendre des terres, c’est aussi pourrir la société palestinienne. »

Depuis une hauteur, au bout d’une colonie, - maisonnettes et jardinets fleuris, les bougainvillées sont magnifiques- on voit, de l’autre côté du Mur, le camp de Shufat où 10 000 réfugiés de l’intérieur s’entassent : des familles chassées en 1948 de leurs villages qui avaient trouvé refuge à Jérusalem puis ont à nouveau été chassées en 1967. Installés à Shufat, les habitants qui tous travaillaient, étudiaient à Jérusalem, ont été rejeté vers la Cisjordanie ainsi que ceux de deux villages proches Anata et Dahiyat es Salam. Ceux qui ont une carte de résident peuvent y aller, à condition d’être patients, on ne sait jamais si on mettra cinq minutes ou une heure pour passer les contrôles, et à condition qu’on ne leur retire pas un de ces jours la fameuse carte. Accordée aux palestiniens de Jérusalem - même vivant là depuis des générations, ils y sont considérés comme étrangers- et des quartiers inclus dans la ville, elle permet une (assez) libre circulation et une vie (à peu près) normale. Mais elle est réservée à ceux qui y habitent. A quand sa suppression pour ceux qui ont été repoussés en dehors du Mur ?

Le Mur de béton se transforme, à la campagne, en « barrière », le nom fait champêtre, on imagine de l’herbe verte et des moutons derrière la clôture. En fait cette barrière est multiple : côté palestinien, plusieurs rouleaux de barbelés entassés, un fossé anti -véhicule, une route pour l’armée, un muret rehaussé d’un grillage de 3 m de hauteur truffé d’électronique. De l’autre côté une piste sablée où la moindre trace est visible et une autre route pour les véhicules militaires ! Avec toujours des tours blindées, des caméras sophistiquées et des radars.

Ajoutons que l’approche du Mur est interdite à moins de 200 à 300 mètres - nombre d’habitations gênantes ont été détruites- donc pas de constructions nouvelles à proximité. Ni ailleurs dans les quartiers palestiniens de la ville puisque le permis de construire ou simplement d’agrandir une habitation n’est pratiquement jamais accordé aux Palestiniens de Jérusalem. Alors quand la famille s’agrandit, lorsqu’il y a un mariage, les gens sortent de la ville pour construire derrière le Mur tout en gardant leur pied à terre dans Jérusalem donc leur carte de résident. Là aussi toute construction est « illégale » et peut recevoir un ordre de démolition, mur ou pas à proximité. Mais le pouvoir israélien tolère en général ces constructions en application de la politique de transfert qui vise à exclure le maximum des habitants arabes de la ville « intra muros. »

A Bethléem, une galerie d’art à ciel ouvert
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Autour de Bethléem comme à Bil’in, vers le Nord ou vers la vallée du Jourdain son but est autre : séparer les colonies des agglomérations palestiniennes et surtout confisquer des terres au profit des dites colonies.

Bethléem et les villages alentour son complètement entourés par le Mur qui passe souvent au ras des maisons. L’une d’elle est même entourée par le mur sur trois côtés. Ses habitants ont interdiction d’ouvrir les fenêtres de l’étage supérieur car il domine l’autre côté du mur !

Les 200 mètres de sécurité sont des décharges à ciel ouvert : gravats et restes des édifices démolis, plastiques amenés par le vent, verre cassé, objets divers. Le mur sert aux militants et artistes locaux et étrangers comme support de création : des dessins hauts en couleur, des slogans, des caricatures, des fresques. Ici, Handdalah, le petit palestinien du caricaturiste Naji Al Ali assassiné à Londres en 1987, l’enfant qui ne montre jamais son visage car toujours tourné vers la route du retour en Palestine, plus loin des dessins réalisés par des jeunes de la banlieue parisienne, et au détour d’un virage, surprise ! Grandeur nature, une affiche encore bien visible du poète palestinien Mahmoud Darwish, collée par Ernest Pignon -Ernest alors en résidence en Palestine. Dans cette région, le mur parle, il raconte la dépossession, la lutte quotidienne, le malheur et parfois aussi l’espoir.

Quelques kilomètres plus loin au fond d’un vallon, en pleine campagne, le chemin de terre s’arrête net devant la barrière. De l’autre côté une petite ferme, quelques arbres, des champs et au dessus sur les collines caillouteuses et sèches, une belle et grande colonie. Ce paysan a obtenu de rester sur ses terres avec sa famille, coincé, mais chez lui. Pour rejoindre Bethléem, y vendre ses produits, faire ses courses, envoyer ses enfants à l’école, il dépend du bon vouloir de l’armée qui ouvre et ferme le portail. Combien de temps tiendront-ils ? Quant aux terres du village situées du maintenant « côté israélien » de la clôture...gageons que d’ici à quelques années, n’ayant pas été cultivées donc considérées comme abandonnées, elles serviront à l’agrandissement de la colonie. Les colons sont partout en Eretz Israël, la terre d’Israël...

Hébron : deux murs pour une ville

Plus au sud, à Hébron, la situation se complique car s’il y a une grosse colonie à l’extérieur de l’agglomération -Kiryat Arba’a , sioniste et religieuse, 8000 habitants environs dont de nombreux français - il y en a cinq petites dans Hébron même toutes situées à proximité du tombeau des patriarches ( el ahram) et dans la vieille ville .

A l’est, le mur extérieur (clôture) suit en partie la ligne verte, rentre parfois profondément sur les terres palestiniennes puis entoure complètement le district de tous les côtés ne laissant qu’un point de passage. Le second mur coupe la vieille ville en deux, les deux parties restant de toute façon sous contrôle de l’armée israélienne. Il part de Kyriat Arba’a se dirige vers le tombeau des patriarches, suit la rue des martyrs , grimpe sur la colline de Tell Rumeidah et rejoint la colonie de Kfar Ezion vers le sud.

Du haut de Tell Rumeidah, une colline semée de maisons et jardins, là encore comme souvent en Palestine, la vue est superbe. Une centaine de familles palestiniennes s’accrochent et tentent de survivre au milieu de quatre cents ? Cinq cents colons ? (on ne connaît pas le chiffre exact) protégés par 1000 ? 1500 ? militaires. Pour rentrer dans ce ghetto des check points, on ne peut y passer qu’à pied, en bicyclette ou avec...un âne à condition qu’il y soit autorisé. Il y a quelques années, les ouvriers qui rénovaient des maisons de la vieille ville, elle aussi interdite de véhicules et utilisaient une charrette tirée par un cheval, ont eu la surprise de voir le passage interdit au cheval au motif qu’il n’avait pas d’autorisation pour entrer ! Ubu est roi dans cette région. Tous les transports se font à pied que ce soit les courses, les meubles, les malades ou les femmes sur le point d’accoucher transportés à bras ou sur une civière. Les colons et surtout les jeunes attaquent régulièrement les maisons, cassant les vitres, les portes, coupant les arbres, les empoisonnant, parfois même pénétrant dans les maisons et les dévastant. Hashem, qui anime un comité de résistance pacifique, nous montre ses treilles coupées à la tronçonneuse, des détritus divers- vieux meubles, machine à laver- jetés dans son jardin par la famille du chef des colons, Baruch Marzel, qui vit juste au dessus dans un mobil home et son chemin barré qui les oblige, lui et les siens, à passer à travers cours et jardins désaffectés, à franchir des obstacles, des murets plusieurs fois par jour.


A Bil’in, Mandela, Ghandi et Luther King affrontent l’armée israélienne.

C’est à Bil’in qu’a commencé la résistance non violente contre le mur en 2005. Bil’in est un village de 1800 habitants situé à 15 kms à l’ouest de Ramallah et dont les terres s’étendent sur quatre cents hectares ou plutôt s’étendait. La construction du mur a amputé le village d’environ 230 hectares au profit des colonies qui mangent les collines face au village. Des habitants combattifs ont créé un Comité Populaire soutenu par toute la population. Chaque vendredi, depuis plus de cinq ans, le cortège des manifestants s’ébranle, palestiniens, militants israéliens et internationaux mêlés, en musique, avec des drapeaux palestiniens, direction le Mur. Et chaque vendredi les manifestants savent qu’ils vont être arrosés de gaz lacrymogènes, poursuivis, frappés et parfois tirés à balles réelles. En tête de cortège, ce vendredi 12 novembre, des drapeaux du Fatah et des responsables politiques du Fatah et du Front Populaire, car on est au lendemain de l’anniversaire de la mort d’Arafat. Un enfant tient un grand keffieh auquel sont accrochés des ballons aux couleurs du drapeau palestinien.

Le thème change chaque vendredi : après l’attaque de la flottille pour Gaza ce sont des bateaux qui se sont dirigés vers les soldats, une autre fois des personnages d’Avatar, peints en bleu de la tête aux pieds. Ou encore une des plus belles idées : des manifestants costumés et très bien grimés en Mandéla, Ghandi ou Luther King s’avançant sans crainte vers la barrière et les soldats.

La lutte a été chèrement payée : un mort, plus de 1300 blessés, des raids réguliers de l’armée dans le village, des arrestations et des peines de prison mais elle a abouti à une victoire partielle : le tribunal a décrété que le mur devait être déplacé, une centaine d’hectares rendus à Bil’in et d’autres villages. Mais les juges ont conforté la présence de la colonie tout en interdisant son agrandissement.

Cette demie-victoire encourage les nombreux Comités Populaires qui se sont créés dans une quarantaines de villes et villages à poursuivre la lutte non violente pour faire reculer le mur vers ou au plus près de la Ligne verte ( la frontière de 1948, différente de celle accordée par le partage des Nations Unies).

Quand on suit le Mur, la conclusion de Sabri s’impose : « la Nakba, ce n’est pas seulement en 1947 qu’elle a eu lieu, elle dure encore aujourd’hui. »

En même temps on entend de plus en plus de voix qui murmurent qu’une « troisième intifada » est possible et d’autres encore plus nombreuses qui disent que mur de séparation ou pas, il ne peut y avoir qu’un seul état dans la région quel que soit son nom, car les populations juives et non juives sont maintenant inextricablement mêlées. Et si on en revenait aux propositions palestiniennes des années 70 : « une Palestine unie, libre et laïque et démocratique dont tous les habitants seraient égaux quelles que soient leur religion (ou non religion), leurs idées et leur origine » ?

Colette Berthès.

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