Dans ce numéro d’octobre 2013, Serge Halimi s’interroge sur la crédibilité des perroquets :
N’importe qui peut dire et écrire n’importe quoi. En particulier sur les États-Unis. En moins de six mois, ce pays vient donc de passer du statut de Phénix remplumé (reprise économique, indépendance énergétique, domination des multinationales de l’informatique, résurrection de l’industrie automobile) à celui d’empire déclinant, amoindri par le comportement jugé velléitaire de son président.
Désormais, disserter sur l’« étrange faiblesse de l’Amérique (2) » est devenu une petite industrie. Dans le cas de la Syrie, le président Barack Obama aurait en effet nui au crédit de son pays en ne lançant pas, comme l’espéraient passionnément Paris et quelques stratèges de génie (lire « Cinglante débâcle de la diplomatie française »), une opération militaire supplémentaire contre un État arabe. Le terme choisi par tous les perroquets est celui de « crédibilité ».
Évelyne Pieiller décortique les Les embrouilles idéologiques de l’extrême droite :
L’absence d’ambitions de la gauche, ou son incapacité à les réaliser, encourage l’extrême droite à la détrousser de ses idées les plus porteuses. Quitte pour celle-ci à y injecter sa véhémence, son acrimonie, ses obsessions nationales ou religieuses. Dans ce registre qui entremêle sans relâche « gauche du travail et droite des valeurs », Alain Soral est devenu une vedette du Net.
Faut-il posséder ou partager, demandent Martin Denoun et Geoffroy Valadon ?
Et si l’usage ne correspondait pas nécessairement à la propriété ? Soucieuses d’en finir avec l’hyperconsommation d’objets qui ne servent que très rarement, confrontées à un pouvoir d’achat en berne, de nombreuses personnes s’organisent pour partager et troquer. Un mouvement en pleine expansion que les groupes privés ont vite détourné pour élargir le cercle… des acheteurs.
Grâce à Anne Vigna, faisons connaissance avec le Bouygues du Brésil :
En juin 2013, le mécontentement social conduisait les Brésiliens à manifester en masse dans les rues du pays. Parmi leurs cibles, les inégalités, des conditions de transport indignes, la corruption et... la multinationale Odebrecht : aux yeux de beaucoup, l’entreprise incarne les dérives d’un capitalisme de connivence.
Christophe Ventura nous dit ce que sont devenus les douaniers :
Le vaste mouvement de réorganisation du commerce international place les institutions douanières et leurs agents au point d’impact de deux forces contradictoires. Celle du contrôle, de la réglementation et de la sécurité, prérogatives régaliennes par excellence. Et celle de la fluidité et de la vitesse, dictée par la circulation de la marchandise. Mais, progressivement, les missions de service public s’effacent...
La ville de Detroit est en déshérence (John Nichols) :
Empêtré dans un nouveau bras de fer budgétaire entre le président et le Congrès, Washington abandonne les collectivités locales. Pourtant victime de la désindustrialisation, la ville de Detroit a déjà fait faillite en juillet dernier. Et, quelques mois plus tôt, le comté de Jefferson en Alabama avait connu le même sort à cause d’emprunts toxiques. Du Rhode Island à la Californie, les banqueroutes municipales s’enchaînent, révélant les carences des politiques urbaines.
Pendant ce temps-là, Google et Microsoft nous mentent (Dan Schiller) :
Pendant des années, les autorités américaines ont rudoyé les États — Chine et Iran en tête — qui imposaient à leurs citoyens des restrictions sur l’accès à Internet et à son utilisation. Les révélations de M. Edward Snowden sur l’ampleur du système de surveillance des télécommunications mondiales mis en place par Washington n’ont fait que renforcer les doutes qui pesaient déjà sur la sincérité de ces reproches. Mais le problème va bien au-delà de la simple hypocrisie.
En 2010, une commission d’enquête du ministère américain du commerce a pointé l’inquiétude des principaux acteurs du numérique. Dans leurs rapports à la commission, ces derniers se sont employés à dénoncer la politique des États-Unis concernant la Toile, non sans prendre de multiples précautions — ils n’ont par exemple jamais mentionné directement le programme Prism de la National Security Agency (NSA).
Un article très original de Julie Boeri. Pour un autre monde, il faut faire vivre de nombreuses langues :
Dans les forums sociaux, des traducteurs bénévoles permettent les échanges entre les centaines de militants venus du monde entier. Cependant, le manque de moyens conduit parfois à privilégier certaines langues au détriment de cultures dites minoritaires, suscitant des incompréhensions et des tensions. En outre, le vocabulaire altermondialiste pose des problèmes inattendus aux interprètes.
Gestion responsable des ressources et des déchets, démocratie participative, commerce équitable, logiciels libres... un forum social doit refléter dans sa propre organisation les changements qu’il appelle de ses vœux. Il doit en particulier assurer le droit des participants à communiquer dans la langue de leur choix ; car, dans ce domaine, on n’échappe pas aux mécanismes de domination. Après le recours à un service conventionnel d’interprétation simultanée en espagnol, portugais, français et anglais pour les séances plénières des deux premières éditions du Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre, en 2001 et 2002, des centaines de militants se mobilisent pour la diversité linguistique et pour assurer l’interprétation lors du premier Forum social européen (FSE) à Florence. Ainsi naît le réseau international Babels, présent lors de la plupart des forums organisés ces dix dernières années.
L’indépendance de la Catalogne, c’est pour quand (Jean-Sébastien Mora) ?
Peu impressionnée par le succès de la chaîne humaine organisée le 11 septembre 2013 par les partisans de l’indépendance, la Commission européenne a réaffirmé qu’une Catalogne souveraine sortirait de facto de l’Union. Même si la décision finale appartiendra aux États membres, Bruxelles jette ainsi le doute sur la stratégie des indépendantistes, largement basée sur les bénéfices tirés du Marché unique et de ses mécanismes de solidarité.
La Centrafrique agonise (Vincent Munié) :
Deux cent trente mille déplacés internes, soixante-deux mille réfugiés dans les pays voisins… Depuis le coup d’État du 24 mars, la Centrafrique s’enfonce dans le chaos. Les cris d’alarme lancés durant l’été par les Nations unies semblent enfin tirer les chancelleries de leur torpeur. Il est probable que la résolution préparée par Paris pour le Conseil de sécurité de la fin septembre ne suffira pas.
À lire un fort dossier sur la crise syrienne :
En quelques jours, on est passé de la perspective de bombardements américains et français en Syrie (« Cinglante débâcle de la diplomatie française ») à des négociations entre Washington et Moscou. Téhéran, jusqu’ici enfermé dans son soutien inconditionnel à Damas, laisse entrevoir de possibles ouvertures (« Damas, l’allié encombrant de Téhéran »). Ce chassé-croisé reflète les changements de l’ordre international, qui peine à se recomposer depuis la fin de la guerre froide, chahutant même les règles de la sécurité collective (« Sécurité collective recherche bons avocats »). L’ampleur des conflits qui secouent le Proche-Orient et le Maghreb ainsi que l’affaissement des États (voir « Affaissement des États, diffusion du djihadisme) devraient pourtant redonner sa place à la diplomatie. S’ils cherchent toujours à contenir l’Iran et à rassurer Israël comme l’Arabie saoudite, les États-Unis regardent de plus en plus vers l’Asie, avec en ligne de mire la Chine (« Le grand écart de Washington »).
Si les images peuvent être propres, les guerres demeurent sales (Philippe Leymarie) :
Irak, Libye, Mali : la communication des militaires en temps de guerre s’est professionnalisée. Plutôt que de retrouver ses réflexes de Grande Muette, l’armée préfère ne pas tout dire. Ou dire qu’elle ne peut rien dire. Les militaires veulent établir leurs règles du jeu. La consigne est de ne pas mentir, pour échapper aux accusations de manipulation et de désinformation.
Une bonne question : que regardent les téléspectateurs chinois (Jordan Pouille) ?
Dans les transports en commun comme à la maison, nombre de Chinois sont penchés sur leur écran : en différé ou en direct, ils regardent leurs programmes préférés, qui n’ont rien à envier à ceux diffusés en Occident. Si autrefois les séries historiques occupaient le devant de la scène, désormais les émissions de téléréalité font un tabac… mais sous l’œil vigilant du Parti communiste.
Serge Halimi se penche avec gravité sur l’avenir de la presse écrite :
La presse écrite sera-t-elle morte en 2032 ? M. Jeff Bezos l’avait annoncé l’an dernier. Il vient pourtant de racheter le Washington Post. Une contradiction ? Pas vraiment. Quand on possède Amazon, quand 1 % de sa fortune suffit pour acheter un titre qui, deux décennies plus tôt, en valait dix fois plus, on peut s’offrir quelques fantaisies. Détenir les clés du quotidien qui a révélé l’affaire du Watergate coûtera tout juste un peu plus cher à M. Bezos que son projet d’enfouir cent cinquante mètres sous terre au Texas une horloge qui donnera encore l’heure dans dix mille ans. La presse écrite sera-t-elle vraiment morte alors ?
Les journaux ne se vendent pas bien, c’est certain, et on les achète pour une bouchée de pain. En cinq ans, leur diffusion a baissé de 13 % en Amérique du Nord, de 24,8 % en Europe de l’Ouest et de 27,4 % en Europe de l’Est. Comme les recettes publicitaires, attirées par la Toile, se portent encore plus mal, la valorisation des titres qui en dépendaient s’est effondrée. Aux États-Unis, elle a été divisée par dix en vingt ans, inflation non comprise. Cette dégringolade pourrait constituer une bonne nouvelle si elle permettait de débroussailler le paysage idéologique des médias de marché, assurément trop nombreux.
Pour Louis-Charles Sirjacq, Ibsen demeure une superstar :
Quand un auteur rencontre le public en donnant forme aux préoccupations et aux débats de son temps, c’est que son propos trouve un écho dans l’imaginaire collectif. Mais l’engouement qu’il suscite à nouveau, un siècle plus tard, signifie-t-il que nous serions, avec un certain décalage, ses contemporains ?
Qu’est-ce qui compte dans le vin : le terroir ou la marque (Sébastien Laparque) ?
« Les Romains ont été les premiers globalisateurs », observait naguère Pierre Legendre. A eux, donc, le règne, la puissance et la gloire, ainsi que Pline l’Ancien, naturaliste de langue latine né en 23 de l’ère chrétienne, s’en félicitait avec l’enthousiasme d’un Jacques Attali en toge et sandales : « Il n’est personne, en effet, qui ne pense qu’en unissant l’univers, la majesté de l’Empire romain a fait progresser la civilisation, grâce aux échanges commerciaux et à la communauté d’une heureuse paix, et que tous les produits, même ceux qui étaient auparavant cachés, ont vu leur usage se généraliser. »