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Le Monde Diplomatique, mars 2020

Dans cette livraison de mars 2020, Serge Halimi se demande si le Brexit aura servi à quelque chose : « La décision britannique de quitter l’Union européenne intervient trop tard. Le départ d’un État qui a incarné à la fois le libre-échange depuis la révolution industrielle du XVIIIe siècle, l’alignement sur Washington depuis la « relation spéciale » instaurée par Winston Churchill et Franklin Roosevelt, la financiarisation depuis que l’économie et la politique britanniques sont dominées par la City de Londres, le néolibéralisme pur et dur depuis la décennie Thatcher-Reagan, aurait pu constituer une excellente nouvelle pour l’Union. Et rappeler aussi qu’elle n’est pas une prison. Puisque certains États peuvent encore y entrer, d’autres doivent pouvoir un jour en sortir. Sur ce plan, au moins, les élus britanniques, après avoir longtemps finassé, ont respecté le verdict de leur peuple. Ce genre de leçon démocratique n’est pas inutile par les temps qui courent. »

Benoît Bréville se demande ce qu’il se passe quand les grandes villes font sécession : « Dans la plupart des pays occidentaux, les habitants et les gestionnaires des métropoles sont mécontents. Apôtres du progressisme, de l’ouverture et de l’innovation, ils n’apprécient pas la trajectoire prise par le reste du pays, par les petites villes et les campagnes, qui se laissent gagner par l’extrême droite et le « populisme ». Aussi ont-ils commencé à se liguer pour organiser la riposte.

Pour Sonia Shah, contre les pandémies, un seul remède, l’écologie : « Même au XXIe siècle, les vieux remèdes apparaissent aux yeux des autorités chinoises comme le meilleur moyen de lutter contre l’épidémie due au coronavirus. Des centaines de millions de personnes subiraient des restrictions dans leurs déplacements. N’est-il pas temps de se demander pourquoi les pandémies se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu . »

Le numérique pollue selon Sébastien Broca car il carbure au charbon : « Partenariats des géants de la Silicon Valley avec l’industrie pétrolière, consommation massive d’énergie et de ressources : contrairement à ce qu’on a longtemps affirmé, l’économie numérique n’est ni « immatérielle » ni « verte ». Elle produit des dommages écologiques importants, dont les conséquences sont très inégalement réparties à la surface du globe. »

Hicham Alaoui analyse les répliques du printemps arabe de l’Algérie au Soudan : « En 2019, les mouvements contestateurs dans le monde arabe s’inscrivent dans la droite ligne des révoltes de 2011-2012. Près d’une décennie plus tard, l’opposition exige toujours le démantèlement des pouvoirs en place, mais peine à y parvenir, faute de se structurer sur le plan politique. Dans le Golfe comme au Maghreb et au Proche-Orient, le confessionnalisme ne détermine plus les rivalités géopolitiques. »

Alain Gresh évoque le plan de guerre Israël-Palestine conconcté par le président Trump : « Concocté par Washington sans l’implication des Palestiniens, le plan de M. Donald Trump pour la paix au Proche-Orient satisfait aux principales exigences d’Israël. Outre qu’il entérine l’annexion de toutes les colonies et de la vallée du Jourdain — dispositions contraires aux résolutions des Nations unies —, l’« accord du siècle » prive un éventuel État palestinien du moindre attribut de souveraineté. »

Pour les grands médias étasuniens, Bernie Sanders est l’homme à abattre (Judie Hollar) : « Lors des premières consultations en vue de la présidentielle américaine, les bons résultats de M. Bernie Sanders, partisan d’un « socialisme démocratique », ont semé la consternation dans l’establishment du Parti démocrate. Lequel se démène donc pour dénicher un candidat beaucoup plus modéré capable de remporter les primaires. Il sait pouvoir compter sur l’hostilité que les grands médias vouent au sénateur du Vermont. »

Renaud Lambert estime que la droite latino-américaine est dans l’impasse : « Longtemps, les conservateurs latino-américains ont cherché le réconfort dans la théorie des cycles. Après une phase où la gauche avait dominé, une autre viendrait, leur offrant la possibilité de déployer leur programme. Mais la réalité diverge parfois de la théorie. À peine revenue au pouvoir dans plusieurs pays de la région, la droite libérale se trouve menacée par une profonde contestation. »

Benjamin Fernandez pense que la société mexicaine est de plus en plus violente : « Où sont les quarante-trois ? » La question, inscrite ici et là sur les murs des villes mexicaines, tourmente sans répit un pays que le sous-secrétaire aux droits de l’homme, M. Alejandro Encinas Rodríguez, a décrit comme une « immense fosse commune clandestine ».L’interrogation porte sur la disparition de quarante-trois élèves de l’école normale rurale connue sous le nom d’Ayotzinapa, ainsi que sur l’assassinat de six personnes dans la ville d’Iguala (État de Guerrero), le 26 septembre 2014. Et elle en implique une autre : qui est responsable ? Tous les enquêteurs indépendants aboutissent à la même réponse — l’État mexicain — et soulignent l’implication des forces fédérales dans les événements. De sorte que, dans l’esprit des Mexicains, le chiffre « 43 » est devenu le symbole de l’impunité et des dysfonctionnements de la justice de leur pays. »

Pour Pierre Daum, il se pratique en Inde une chasse aux infiltrées (principalement musulmans) : « Dans l’État de l’Assam, un camp doit bientôt accueillir les « migrants illégaux » déchus de la citoyenneté indienne. Si, parmi eux, les hindous sont plus nombreux que les musulmans, les premiers peuvent acquérir la nationalité et échapper ainsi à la rétention grâce à une loi votée à l’initiative du gouvernement de M. Narendra Modi. »

Pour Fanny Pigeaud, les Africains en ont assez de la présence française en Afrique : « Le slogan « France, dégage ! » se répand dans les anciennes colonies françaises, soixante ans après leur indépendance. Manifestants et intellectuels réclament la fin du franc CFA ou l’arrêt de l’opération militaire « Barkhane », engagée au Mali depuis 2013. Alors que la concurrence avec d’autres puissances s’accroît, l’ampleur de la contestation prend Paris au dépourvu. »

Jean-Arnaud Dérens et Laurent Geslin font le portrait d’un autocrate serbe que Bruxelles dorlote : « Formé à l’école des « faucons » nationalistes, M. Aleksandar Vučić dirige la Serbie d’une main de fer. La complaisance des dirigeants européens à son égard illustre le hiatus entre les principes proclamés par l’Union et leur application, pour peu que les gouvernements d’Europe centrale respectent les canons du néolibéralisme et la nouvelle division internationale du travail sur le continent. »

Á Toulon, le maire organise son plébiscite (Simon Fontvieille et Jean-Baptiste Mallet) : « Voilà près de vingt ans que M. Hubert Falco a ravi la mairie de Toulon au Front national. Depuis, il est parvenu à remporter les scrutins municipaux au premier tour. Se posant en rempart contre l’extrême droite, il brigue un quatrième mandat. Pour rester en poste aussi longtemps, l’élu de droite a mis au point une méthode bien particulière. »

Pour Sophie Béroud et Jean-Marie Pernot, il ne faut surtout pas enterrer la grève comme arme de lutte : « La grève générale interprofessionnelle est-elle encore possible aujourd’hui ? Certes, le mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-2020 frappe par son ampleur, par la durée de la cessation du travail à la SNCF et à la RATP, et par la forte approbation de l’opinion publique. Mais il a aussi rencontré d’importantes limites, faute d’avoir pu entraîner de larges couches de salariés du privé. »

Attention aux fausses évidences sur la djihadisme (Laurent Bonelli et Fabien Carrié ») : « Le président Emmanuel Macron a mis en garde, le 18 février, contre le « séparatisme islamiste » qui menacerait des cités françaises. Il prétend y remédier en réduisant le nombre d’imams étrangers et en réglementant plus rigoureusement l’apprentissage de l’arabe. La crainte de l’intégrisme musulman et de ses liens supposés avec le djihadisme continue d’alimenter les polémiques. »

Pour Patrick Coupe-choux, le temps des camisoles est revenu en psychiatroe : « L’abandon de la vision humaniste de la folie et du soin, qui s’était développée dans l’après-guerre, a précipité la crise de la psychiatrie. Voici revenu le temps de la contention et de l’isolement, avec, de plus en plus fréquemment, des violations graves des droits des patients. Le personnel des hôpitaux réclame des moyens pour mettre fin à la maltraitance. »

Il fut un temps où les peuples de l’Est luttaient au nom de l’idéal communiste : « La passivité des populations du bloc soviétique compte au nombre des idées reçues transformées en vérités historiques après la chute du Mur. Masses privées de libre arbitre, elles ne pouvaient, selon l’Occident, qu’obéir servilement tout en maudissant le communisme. Or nombre des mouvements sociaux qui émaillèrent l’histoire du bloc de l’Est aspiraient en réalité à un vrai socialisme. »

Daniel Paris-Clavel nous emmène à Wakaliwood : « En Ouganda, dans un quartier pauvre de Kampala, un réalisateur autodidacte invente un cinéma bricolé et imaginatif. Faits de bouts de ficelle et d’humour, ses films, auxquels concourent voisins et enfants, réconcilient aspiration à la justice sociale et divertissement, fantaisie débridée et sens de l’observation documentaire. »

Walmart serait-il un cheval de Troie socialiste (Leigh Phillips et MichalRozworski) ? : « Et si la chaîne d’hypermarchés américaine Walmart se trouvait au cœur d’un complot socialiste ? Telle est la question que pose l’intellectuel Fredric Jameson dans un texte de 2005. Lorsque la révolution adviendra, explique-t-il, cette entreprise ne devra pas être considérée comme un vestige du vieux monde, mais comme une anticipation de celui qu’il s’agira de construire. Jameson n’ignore rien du modèle économique de Walmart, qui repose sur la compression des salaires, ni de son rôle dans l’essor du phénomène des travailleurs pauvres aux États-Unis. Mais un autre aspect l’intéresse ici : son organisation logistique. Walmart socialiste ? À travers cette provocation, l’intellectuel réactive le vieux débat opposant les vertus du marché à celles de la planification. »

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