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Le Monde Diplomatique (mai 2010)

Dans sa livraison du Monde Diplomatique de mai 2010, Serge Halimi estime qu’une page se tourne au Royaume Uni : « C’est une affiche de campagne inattendue. Le premier ministre travailliste Gordon Brown y proclame, jovial : « J’ai accru l’écart entre les riches et les pauvres. Laissez-moi continuer. » La citation est apocryphe, pas le fait évoqué. A la fin des années Thatcher-Major, les 1 % de Britanniques les plus riches détenaient 17 % du revenu national ; depuis que MM. Anthony Blair et Brown ont pris le relais, cette part a atteint 21 %.

Le placard ironique conclut : « Votez conservateur. » Pour un peu, on imaginerait donc une bataille électorale à fronts renversés, avec des travaillistes en avocats des golden boys de la City pendant que leurs adversaires se soucieraient surtout des milieux populaires. Rien de tel, en particulier dans le dernier cas. Mais un réajustement politique se dessine dans les deux grands partis, qui les éloigne de leurs figures tutélaires et de leurs ports d’attache. Ni Thatcher ni Blair : à l’approche des élections législatives du 6 mai, le Royaume-Uni tourne la page.

Des sujets longtemps bannis resurgissent ainsi dans le discours politique : classes sociales, intervention de l’Etat, syndicats. Les conservateurs avaient d’abord privilégié le thème de la dette, de l’austérité nécessaire. Ils ont dû rajuster le tir, ne plus exclure qu’une partie du rétablissement financier proviendrait d’impôts nouveaux, pas uniquement de coupes budgétaires. Ils célèbrent dorénavant le National Health Service, ce système socialisé de santé que détestait Mme Margaret Thatcher, et jurent que son budget augmentera chaque année. Enfin, ils se repentent de leur moralisme homophobe d’antan et se sont repeints en vert. S’ils tiennent encore à leur fonds de commerce sécuritaire, on peine à les distinguer sur ce point de leurs rivaux. Les travaillistes n’ont-ils pas rendu passibles de prison mille trente-six délits supplémentaires ?

Ces derniers avaient également tout misé sur la déréglementation, fait de Londres l’alcôve des turpitudes financières. La faillite est au rendez-vous. Un déficit budgétaire abyssal (11,9 % du produit national brut), comparable à celui de la Grèce (13,6 %), incite le Parlement à tailler dans les dépenses sociales. Du plus mauvais effet pour des élus qui, il y a quelques mois, piochaient dans les caisses du Trésor public afin de rénover leurs résidences secondaires, d’acquérir des petites cabanes flottantes pour y protéger leurs canards. Alors, timidement, les travaillistes réhabilitent les politiques industrielles. Parfois même ils… morigènent les banquiers !

Les libéraux démocrates, eux, ont le vent en poupe : le système politique est terni par les scandales et ils y ont moins été associés que leurs concurrents. Leur président, M. Nick Clegg - fils de banquier, éduqué à Cambridge, marié à une avocate d’affaires, ex-conseiller de M. Leon Brittan, le très libéral commissaire européen à la concurrence -, n’a pas manqué à son tour de gauchir son discours. Ce pur produit de l’élite vient ainsi de suggérer que l’ancien paradis libéral de Mme Thatcher et de M. Blair pourrait connaître une « agitation sociale à la grecque »…

Tristan Colonna évoque la présence de plus en plus importantes de travailleurs et de petits patrons africains en Chine, et demain en Inde. « A Canton, près de 10000 ont élu résidence ou sont de passage dans cette " Africa Town " , coincée entre voies rapides, autoroutes suspendues et chemins de fer. » La relation entre la Chine et le continent africain est perverse : « La Chine gave l’Afrique de produits quatre à cinq fois moins chers que ceux importés d’Europe. Cela contribue indirectement à l’augmentation du pouvoir d’achat, certes, mais on ne produit plus rien sur place. »

Selon Olivier Zajec, le bouclier nucléaire est en péril. « Les États-Unis poursuivent leur offensive pour obtenir de nouvelles sanctions internationales contre l’Iran. Ils y voient une condition pour sauver le traité de non-prolifération nucléaire, alors que se réunit ce mois-ci à Washington une conférence d’évaluation de cet accord qui, malgré ses manques, constitue un rempart légal et moral important pour la paix mondiale.

L’idée du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) prend racine dans les années 1950, alors que trois pays (États-Unis, Russie et Royaume-Uni) détiennent d’ores et déjà l’arme atomique, et que deux autres, la France et la Chine, poursuivent des recherches dont les observateurs d’alors ne doutent pas qu’elles déboucheront (ce sera effectivement le cas, en 1960 pour Paris et en 1964 pour Pékin). Principaux intéressés à une limitation de la course à l’atome militaire, compte tenu de leur statut de puissance la plus avancée en la matière, les États-Unis poussent dès le début des années 1950 à un « confinement » diplomatique de la maîtrise étatique de la bombe.

Dans cette logique, le président Dwight Eisenhower propose, le 8 décembre 1953, devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), la création d’une agence chargée de contrôler l’usage des matières nucléaires .

Pour favoriser la paix mondiale (et maintenir leurs statuts respectifs), les autres puissances nucléaires, ou sur le point de le devenir, font rapidement leurs comptes : elles ont également intérêt à ce qu’un dispositif reconnaisse leurs progrès et fasse cesser la « démocratisation » à terme d’un outil de puissance plus que discriminant. Les alliés objectifs ne manquent donc pas à l’entreprise.

Fondée sur le danger d’une prolifération générale, l’idée d’Eisenhower fait son chemin, tout en demeurant longtemps l’otage des rapports de forces entre Etats-Unis et Union soviétique (la guerre de Corée vient à peine de se terminer). Après des débats houleux, l’ONU crée finalement l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en octobre 1956. Sa vraie mission consiste, selon l’article 3.5 de sa charte, à « garantir que les produits fissiles spéciaux et autres produits, les services, l’équipement, les installations et les renseignements fournis par l’Agence ou à sa demande ou sous sa direction ou sous son contrôle ne sont pas utilisés de manière à servir à des fins militaires ».

Un article inattendu mais fort intéressant de Balthazar Crubellier sur la grandeur et les délires du catch américain : « Né au XIXe siècle sur les tréteaux des fêtes foraines, le catch s’est métamorphosé aux Etats-Unis en un " divertissement sportif " capable de drainer une audience considérable. Avec ses combats scénarisés à l’avance et ses lutteurs bigarrés, il tend au public un miroir déformant où se reflète l’absurdité des rapports sociaux. Cet univers cynique et burlesque s’inscrit finalement dans la grande tradition de la bouffonnerie à l’européenne. »

Et si on commençait la démondialisation financière ?, demande Frédéric Lordon.

« Les investisseurs étrangers - au tout premier rang desquels les banques françaises et allemandes - détiennent 70 % de la dette grecque. Une situation qui place la politique du pays sous tutelle des institutions financières, et qui pourrait s’étendre à l’Espagne, à l’Italie ou au Portugal. Il existe pourtant un moyen d’assurer la souveraineté de la délibération politique : renationaliser la dette.

Conformément à la logique éternelle des faux débats, le tumulte de commentaires suscités par la crise grecque prend bien soin de maintenir étanche la séparation entre questions à poser (inoffensives) et questions à ne pas poser (plus gênantes), et notamment celle des façons d’envisager le financement des déficits publics. Interrogation que les traités européens s’efforcent de déclarer forclose : ce financement se fera exclusivement sur les marchés de capitaux, sous la tutelle des investisseurs internationaux, et pas autrement. La simple observation des dégâts qui naissent de l’exposition des finances publiques grecques aux marchés obligataires pourrait pourtant donner l’envie d’explorer des solutions moins désastreuses, comme, par exemple, le recours au financement monétaire des déficits .

Elle pourrait également inciter à méditer le cas singulier du Japon, un pays aussi superlativement endetté... qu’il est absent de la chronique des crises de dette souveraine. Car si l’on fait grand cas de la dette grecque, son encours (270 milliards d’euros, soit 113 % du produit intérieur brut [PIB] en 2009, 130 % prévus pour 2010) reste pourtant des plus modestes comparé à celui de la dette japonaise, dont le ratio atteindrait les 200 points de PIB en 2010 " record incontesté parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Comment comprendre que le détenteur de la plus importante dette publique au monde, affligé en outre de la solvabilité apparente la plus dégradée (si on lui donne pour mesure sommaire son ratio sur PIB), soit à ce point ignoré des investisseurs internationaux ?

La réponse, simplissime, est : parce que les investisseurs internationaux ne sont pas les souscripteurs de la dette publique japonaise. Laquelle est détenue à plus de 95 % par les épargnants nationaux. A l’exact inverse des Etats-Unis, le Japon affiche un taux d’épargne des ménages rondelet, largement suffisant pour couvrir les besoins de financement de l’Etat et, au-delà , des entreprises. »

Rémi Lefèvre estime que les partis politiques appartiennent à une espèce menacée, car ils sont « pris en tenaille entre des coalitions occasionnelles, des aventures individuelles et les mouvements sociaux. L’irruption de la thématique des primaires dans le débat français lui porte un nouveau coup. » Pour ce qui est de celles du PS, elles concerneront tout le corps électoral. « Présentée par les médias comme une forme de démocratisation - puisqu’elles donnent aux sympathisants un rôle qui relevait jusque là du monopole des adhérents - cette nouvelle procédure consacre en fait la dépolitisation du débat public et la dévaluation du militantisme. »

Olivier Appaix étudie la réforme du système de santé aux États-Unis. Il était temps de s’y mettre car « une étude de l’université Harvard évalue à 45000 le nombre de décès imputables à une protection médicale insuffisante. […] Le maquis du système de santé ne deviendra pas plus compréhensible pour les citoyens avant longtemps. Si l’équité dans l’accès aux soins y progresse quelque peu, son très mauvais rapport coût-efficacité reste inchangé. »

Pour Henri Ménudier, « en vingt ans, l’Allemagne a effectué un retour marqué sar la scène internationale. Pour rassurer ses voisins, elle affiche pondération et continuité dans sa politique extérieure. »

Sonia Shah fait le point sur la lutte contre le paludisme : « Avec des budgets décuplés depuis 2002, la lutte contre le paludisme [dans laquelle la fondation privée de Bill Gates a pris le pas sur l’OMS] n’est plus le parent pauvre de la politique sanitaire mondiale. La maladie reste endémique dans une centaine de pays, et tue encore, essentiellement en Afrique. Les interventions publiques - préventions et soins - fonctionnent, mais faut-il entretenir le rêve d’une éradication ? »

Jacques Bouveresse évoque Noam Chomsky et ses calomniateurs : « Le New York Times, qui pourtant ne l’aime guère, a dit de Chomsky qu’il était sans doute " le plus grand intellectuel vivant " . Linguiste qui a révolutionné sa discipline, Chomsky est plus largement connu dans le monde pour sa critique du pouvoir, inspirée par la tradition libertaire, pour sa disposition à remuer sa plume ailleurs que dans la plaie des autres, et pour les critiques redoutables qu’il a toujours adressées au " clergé séculier " des intellectuels et des journalistes. »

Selon Abdoul Aziz Diop, le modèle sénégalais est menacé par une régression dynastique. Le président, qui aimerait voir son fils lui succéder, est très critiqué pour son autoritarisme et sa gestion très libérale de l’économie.

Vicken Cheterian envisage une révolution sociale au Kirghistan : « Réfugié en Biélorussie au terme du soulèvement populaire qui l’a renversé, Monsieur Bakiev affirme être toujours le président du Kirghistan. Le gouvernement intérimaire, lui, annonce une réforme politique ainsi que la tenue d’élections présidentielles et législatives pour stabiliser le pays. »

Maurice Lemoine montre le danger des mobilisations identitaires : « Qu’elles concernent un groupe discriminé, une nation reléguée ou une population opprimée, les mobilisations identitaires présentent deux faces contradictoires. En période de crise ou de désarroi, la puissance de la mémoire et la solidarité des communautés leur confèrent une capacité de rassemblement que les modes d’action politique traditionnels ne parviennent plus à atteindre. […] on le voit, en Belgique, ces mouvements déchaînent aussi des forces centrifuges à mesure qu’ils se recroquevillent sur des identités plus étroites et nombreuses. Ils contribuent alors à désagréger (ou à occulter) les catégories existantes, telle la classe sociale, et instaurent une concurrence entre dominés. »

Quant au grand mufti de Jérusalem, il est inusable (Gilbert Achcar). « Régulièrement, des ouvrages " découvrent " les sympathies nazies du leader palestinien Amin Al-Husseini ; régulièrement, les dirigeants israéliens en tirent parti pour dénoncer l’antisémitisme congénital des Arabes. Car c’est bien l’objectif de ces pseudo-recherches historiques que de justifier l’occupation des Territoires et l’oppression des Palestiniens.

Ces dernières années ont vu une recrudescence spectaculaire de la guerre des mots opposant Israël aux Palestiniens et aux Arabes, avec le concours actif des partisans des deux camps en Europe et aux Etats-Unis. Cette dimension particulière du conflit israélo-arabe a toujours été cruciale pour l’Etat d’Israël : constitué dès l’origine en forteresse enclavée dans un environnement régional hostile, il doit impérativement cultiver le soutien des pays occidentaux à sa cause.

C’est lors de l’invasion du Liban, en 1982, que l’image d’Israël en Occident se détériora sensiblement pour la première fois. Le long siège de Beyrouth, marqué par les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, perpétrés sous supervision israélienne, choquèrent l’opinion publique mondiale. En Israël même, ce traumatisme, comparable à celui produit aux Etats-Unis par la guerre du Vietnam, demeure présent .

Entre ce moment et celui de la première Intifada, en 1987-1988, l’Etat hébreu fut ainsi le théâtre d’un remarquable réexamen critique des mythes centraux de l’idéologie sioniste par ceux qu’on appela les « nouveaux historiens ». Cette réécriture de l’histoire des origines d’Israël donna naissance à un courant, certes minoritaire mais qualitativement important : le « postsionisme ». Il n’empêcha cependant pas le glissement à droite, par étapes, de la société israélienne, de l’enlisement précoce des accords d’Oslo jusqu’à l’affirmation d’un « néosionisme » agressif. »

Hubert Prolongeau perçoit une embellie dans le cinéma israélien, de nombreux films témoignant désormais « d’une audace critique inversement proportionnelle à la crispation qui caractérise la société. »

Évelyne Pieiller dévoile ce qui se cache derrière la mode des célébrations aujourd’hui en France. Peut-être un peu de modestie, l’esprit de la nation s’exprimant aussi dans l’échec ou l’erreur. La simplification : « la vision d’une France apaisée, dépouillée de conflits, de radicalité. » Une idéologie de droite : « on honore avec Péguy le supposé retour à l’acceptation de l’ordre, on salue chez Camus le refus de choisir. […] Même l’appel du 18 juin est débarrassé de son pouvoir de division. […] On commémorera la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, par capitalisation, bien sûr, et on évitera de mentionner la loi instituant, la même année, le code du travail. »

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