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Le Monde Diplomatique (juin 2010)

La livraison de ce mois de juin est très dense et s’attaque au vrai (et au seul) problème de l’heure : le « gouvernement des banques ». Citons l’éditorial de Serge Halimi :

L’insolence des spéculateurs suscite une vive opposition populaire et contraint les gouvernements à prendre quelques distances avec la finance. Le 20 mai, le président Barack Obama a qualifié de « hordes de lobbyistes » les banquiers qui s’opposaient à son projet de réglementation de Wall Street. Ceux qui signent les chèques vont-ils continuer à écrire les lois ?
Le 10 mai 2010, rassurés par une nouvelle injection de 750 milliards d’euros dans la fournaise de la spéculation, les détenteurs de titres de la Société générale gagnèrent 23,89 %. Ce même jour, le président français Nicolas Sarkozy annonça que, par souci de rigueur budgétaire, une aide exceptionnelle de 150 euros aux familles en difficulté ne serait pas reconduite. Ainsi, crise financière après crise financière, chemine la conviction que le pouvoir politique aligne sa conduite sur les volontés des actionnaires. Périodiquement, démocratie oblige, les élus convoquent la population à privilégier des partis que les « marchés » ont présélectionnés en raison de leur innocuité.
Le soupçon de prévarication sape peu à peu le crédit de l’invocation du bien public. Quand M. Barack Obama fustige la banque Goldman Sachs afin de mieux justifier ses mesures de réglementation financière, les républicains diffusent séance tenante un spot qui récapitule la liste des donations que le président et ses amis politiques ont reçues de « La Firme » lors des élections de 2008 : « Démocrates : 4,5 millions de dollars. Républicains : 1,5 million de dollars. Des politiciens s’attaquent à l’industrie financière, mais acceptent les millions que leur verse Wall Street. » Quand, prétextant leur souci de préserver le budget des familles pauvres, les conservateurs britanniques s’opposent à l’instauration d’un prix minimum de l’alcool, les travaillistes répliquent qu’il s’agit plutôt de complaire aux propriétaires de supermarchés, hostiles à une telle mesure depuis qu’ils ont fait du prix de l’alcool un produit d’appel à destination d’adolescents enchantés que la bière puisse coûter moins cher que l’eau. Enfin, quand M. Sarkozy supprime la publicité sur les chaînes publiques, chacun subodore le profit que les télévisions privées pilotées par ses amis Vincent Bolloré, Martin Bouygues, etc., tireront d’une situation les affranchissant de toute concurrence pour le partage du butin des annonceurs.

Ce genre de soupçon remonte loin dans l’histoire. Or, nombre de réalités qui devraient scandaliser mais auxquelles on se résigne se voient minorées d’un « Ca a toujours existé ». En 1887, assurément, le gendre du président français Jules Grévy tirait parti de sa parentèle élyséenne pour faire commerce de décorations ; au début du siècle dernier, la Standard Oil dictait ses volontés à nombre de gouverneurs des Etats-Unis. Enfin, question dictature de la finance, on évoquait dès 1924 le « plébiscite quotidien des porteurs de bons » - les créanciers de la dette publique de l’époque - dont l’autre nom était le « mur de l’argent ». Toutefois, avec le temps, des lois avaient réglementé le rôle du capital dans la vie politique. Même aux Etats-Unis : au cours de l’« ère progressiste » (1880-1920), puis au terme du scandale du Watergate (1974), toujours à la suite de mobilisations politiques. Quant au « mur de l’argent », la finance fut placée sous tutelle en France au lendemain de la Libération. En somme, cela avait « toujours existé », mais cela pouvait aussi changer.
Et puis changer encore... mais dans l’autre sens. Dès le 30 janvier 1976, la Cour suprême des États-Unis invalidait plusieurs dispositions-clés limitant le rôle de l’argent en politique votées par le Congrès (arrêt Buckley contre Valeo). Motif invoqué par les juges ? La liberté d’expression « ne saurait dépendre de la capacité financière de l’individu à s’engager dans le débat public ». Une formulation bien alambiquée pour signifier que réglementer la dépense, c’est étouffer l’expression... En janvier dernier, cet arrêt a été élargi au point d’autoriser les firmes à dépenser ce qu’elles veulent pour promouvoir (ou combattre) un candidat. Ailleurs, depuis une vingtaine d’années, entre les anciens apparatchiks soviétiques métamorphosés en oligarques industriels, les patrons chinois occupant une place de choix au sein du Parti communiste, les chefs de l’exécutif, ministres et députés européens préparant, à l’américaine, leur reconversion dans le « secteur privé », un clergé iranien et des militaires pakistanais grisés par les affaires, le glissement vénal est redevenu système. Il infléchit la vie politique de la planète. »

Quelle Europe pour briser les marchés, demande James K. Galbraith ?

« Le verdict fait l’unanimité des gouvernements européens : pour endiguer les assauts de la finance, rigueur budgétaire et baisse des salaires seront nécessaires. Une solution idéale pour engager l’économie sur la voie de la déflation et accentuer la casse sociale. Et si on imaginait tout autre chose...

Au début du mois de janvier, le gouvernement grec convoque en urgence un aréopage d’experts en économie. Parmi eux, un fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI) explique sèchement au premier ministre qu’il doit démanteler l’État-providence. Un autre conseiller, appartenant à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), lance d’un ton jovial : « Une décision qui horrifie tout le monde, y compris vos propres partisans, ne peut être qu’une bonne décision. »

Le théorème qui fonde ces expertises est connu : les marchés commandent aux Etats de se serrer la ceinture. Les acheteurs d’obligations sont seuls juges des plans d’austérité consentis par les gouvernements. Eux seuls décident s’il y a lieu ou non d’avoir confiance dans la capacité d’un Etat à rembourser sa dette. Qu’un pays se soumette à une discipline budgétaire de fer et les taux d’intérêt redeviendront supportables - et les vannes du crédit s’ouvriront à nouveau.

Cette théorie présente un défaut de taille : les promesses ne coûtent rien. Quand bien même les États se plieraient en quatre pour complaire aux marchés, il faut du temps avant que les mesures d’austérité entrent en vigueur et atteignent leur objectif. Le refinancement (lire Trésors de la langue financière) d’une dette préexistante repose sur l’annonce de réformes qui n’ont pas encore eu lieu, c’est-à -dire sur la confiance que les marchés accordent à la bonne foi du débiteur. Mais comment un Etat réputé irresponsable peut-il inspirer une telle confiance ? La Grèce a beau jurer de sa détermination à dépouiller fonctionnaires et retraités, sa dette viendra à échéance avant l’exécution de ses promesses. D’où ce paradoxe : plus Athènes s’engage à restreindre les dépenses et plus les marchés qu’il s’agissait d’amadouer se défient... »

André Bellon analyse, dans notre monde multipolaire, ce qu’il en est du " puzzle des alliances naissantes " . « Présentée comme naturelle, la mondialisation sert de grille d’analyse à la plupart des politologues. Cette vision masque les contradictions qui traversent les relations internationales et minore le jeu des forces économiques, politiques et sociales. Souvent loin des feux médiatiques, les liens se font et se défont entre acteurs connus et moins connus d’une géopolitique en gestation. »

Chase Madar explique comment, un peu tard assurément, " New York remet en cause le tout-sécuritaire à l’école " .
Il faut savoir que les « 4500 agents de sécurité scolaire de la ville devinrent du personnel policier, rendant des comptes non plus aux enseignants, ni même aux chefs d’établissement, mais directement au NYPD. […] Des arrestations intempestives de professeurs et de chefs d’établissement s’efforçant de protéger leurs élèves contre les forces de l’ordre font régulièrement les gros titres des journaux. » Pendant ce temps (Dominique Godrèche), « face aux coûts prohibitifs de l’enseignement supérieur, les " community colleges " offrent aux classes populaires américaines un accès à des filières professionnelles de bon niveau. »

La Bolivie est toujours déstabilisée (Hernando Calvo Ospina) : « L’attitude de Washington lors du récent coup d’État au Honduras indique que l’ère des interventions des États-Unis en Amérique n’est pas révolue. »

Selon François Burgat, les Frères musulmans ont été la principale expression de l’islamisme, aussi bien dans le monde arabe qu’en Europe. Ils sont à présent concurrencés par le salafisme, un couranbt qui proclame la nécessité de revenir aux sources. Mais ce retour au Coran ne met pas ceux qui s’en réclament à l’abri des divisions, d’autant qu’ils sont également contraints de s’adapter aux aspirations des musulmans du monde actuel. »

Intéressant reportage de Ghania Mouffok sur " les femmes émancipées dans le piège de Hassi Messaoud " : « En 2001, de nombreuses femmes de Hassi Messaoud ont été victimes d’un déchaînement de violence. La situation reste tendue dans cette ville bâtie autour de l’extraction pétrolière, où une partie de la population locale se sent mise sur la touche et voit d’un mauvais oeil l’afflux de travailleuses dont l’indépendance récemment conquise dérange. »

Jean-Marie Harribey est " sur les pistes toujours ignorées du financement des retraites " : Fin officielle de la retraite à 60 ans, augmentation du nombre d’années cotisées. Le gouvernement français, sous la pression des marchés, n’agit que sur un seul levier pour financer les pensions : allonger la durée du travail. De quoi provoquer une baisse du pouvoir d’achat des retraités quand il faudrait, au contraire, privilégier d’autres sources de financement. Depuis la réforme Balladur de 1993, les pensions ont baissé de 15 à 20%. […] Si l’on appliquait aux revenus financiers et intérêts distribués le même taux de cotisation vieillesse patronale qu’aux salaires bruts, soit 8,3%, on relèverait les ressources annuelles de 8,7 milliards d’euros. »

Akram belkaïd se demande si l’on doit vraiment sauver la monnaie européenne : « Onze ans après la création de l’euro, la banque centrale a renoncé à tous ses principes pour tenter d’enrayer la crise financière. Un seul mot d’ordre : sauver la monnaie unique. […] Malgré la crise grecque, les dirigeants européens refusent d’admettre que le modèle allemand - fait de compression des dépenses publiques et reposant sur la restriction des pouvoirs d’achat et de la demande intere - n’est ni tenable ni transposable au reste de l’Europe. »

Pour Renaud Lambert, David Cameron s’efforce de " décontaminer la marque Tory " : « les conservateurs affichent une idéologie rénovée. A travers un discours plus " moderne " sur les questions de société, il s’agit pour eux de se dégager de l’héritage thatchérien. Sans toutefois lui tourner le dos. »

Martine Bulard se penche sur les nouveaux enjeux diplomatiques en Extrême Orient : " Mikado diplomatique au pays du Soleil-Levant " .
« Dans une région incertaine, le Japon voudrait voir son rôle internationalement reconnu. Mais le gouvernement peine à se détacher des États-Unis. Il pourrait le payer cher lors des élections sénatoriales de juillet.

« On ne choisit pas ses voisins, mais on peut choisir ses alliés. » Avec un sens certain de la formule, le diplomate japonais Masaki Yasushi résume ainsi les options géopolitiques de son pays. Au chapitre des voisins si peu appréciés : la Russie, qui redevient puissante ; la Chine, qui s’affirme ; la Corée du Nord, qui affiche ses ambitions nucléaires. Le Japon serait-il une sorte de Fort Alamo protégé par les seuls États-Unis ? Aussi caricaturale soit-elle, l’image fait florès chez les élites tokyoïtes, souvent américanophiles.

Toutefois, pour ce cinquantième anniversaire de la révision du Traité de sécurité américano-japonais (US-Japan Security Treaty) , qui codifie les rapports entre les deux pays et la présence des troupes américaines sur le sol nippon, l’atmosphère n’est pas à la fête. L’arrivée, en septembre 2009, du nouveau premier ministre, M. Hatoyama Yukio, du Parti démocratique du Japon (PDJ), après plus d’un demi-siècle de pouvoir quasi absolu du Parti libéral-démocrate (PLD), complique un peu la donne. Non qu’il ait manifesté quelque velléité de rompre l’alliance ; mais il a affirmé son intention de « normaliser » les rapports avec Washington, afin que son pays soit traité comme n’importe quelle nation souveraine. Il milite également pour la création d’une « communauté Est-asiatique ». Un peu moins à l’Ouest, un peu plus à l’Est ? Il n’en faut pas plus pour affoler les milieux d’affaires et nourrir l’hostilité de l’opposition de droite ainsi que d’une fraction non négligeable de l’administration - ultrapuissante -, voire d’une forte proportion de démocrates.

Alain Morice et Claire Rodier expliquent comment « l’Union européenne enferme ses voisins ».
Reportée au dernier moment, l’inauguration d’un second centre de rétention au Mesnil-Amelot, à la limite de l’aéroport de Roissy, illustre le développement continu de la machine à expulser en France. Pourtant, le contrôle des migrants fait de plus en plus l’objet de tractations avec les pays voisins de l’Union européenne, déplaçant la surveillance des frontières vers le Sud et l’Est. Au risque de voir flamber le nombre des victimes.
L’Europe a changé de murs. A Berlin il y a vingt ans, les représentants des nations démocratiques accueillaient unanimement la chute du Mur comme une victoire de la liberté. « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien » : l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 allait enfin pouvoir s’appliquer. Dans une résolution de 1991, le Conseil de l’Europe se félicitait de ce que « des changements politiques permettent à présent de se déplacer librement à travers l’Europe, ce qui constitue une condition essentielle à la pérennité et au développement des sociétés libres et de cultures florissantes » (sic). Liberté dont on ne tarda pas à redouter les retombées. On rappela d’abord que « le droit de se déplacer librement, comme prévu par des conventions internationales, n’implique pas la liberté de s’installer dans un autre pays ». On s’inquiéta aussi de « l’augmentation spectaculaire du nombre des demandeurs d’asile en Europe occidentale et dans quelques pays d’Europe centrale, tentés d’utiliser la convention de Genève pour contourner les restrictions à l’immigration ».

Un formidable dossier sur l’oligarchie des hommes politiques « qui imposent des mesures d’austérité avant de monnayer leur carnet d’adresses à des banques ». Est-il encore possible de gouverner sans servir les possédants s’interroge Laurent Bonelli ?

François Ruffin moque, à Bruxelles, les lobbyistes " garants de la démocratie " : « les peuples ont le suffrage, les industriels le lobbying. Des groupes de pression qui instruisent les élus et inspirent la Commission européenne. […] Les députés sont laissés dans le vide, loin des électeurs, adossés à rien. Et donc, ce sont les lobbies qui remplacent le peule. » Jacques Delors a beaucoup oeuvré en ce sens, non « en s’appuyant sur les syndicats ou les peuples européens, mais sur le principal lobby patronal. » Denis Kessler se frotta les mains : « L’Europe est une machine à réformer la France malgré elle. » Madelin vit dans l’Europe présidée par Delors une « parfaite assurance contre le socialisme. » Bref, l’Europe sociale n’aura pas lieu.

En Italie, les juges ont perdu le combat (Francesca Lancini). En Égypte (Alain gresh), le clientélisme sévit toujours. Aux Baléares (Andreu Manresa) sévit toujours une mafia de l’immobilier. En Norvège (Remi Nilsen), malgré une cxertaine naïveté, la proximité et la transparence prévalent toujours. Malgré le flot du pétrole.
L’industrie de luxe a son gouvernement. LVMH nourrit en son sein un aréopage de Premier ministre, femme de Président de la République, ministres, directeurs de cabinet : Nicolas Bazire, Anthony Blair, Bernadette Chirac, Renaud Dutreil, Marc-Antoine Jamet, Patrick Ouart, Hubert Védrine.

Le très bon spécialiste des affaires sportives (et des affaires dans le sport) David Garcia, nous évoque les " parrains du football mondial " , au premier chef le président de la FIFA, Joseph Blatter, un des plus gros salariés au monde.

Un article épistémologique fort intéressant de Pablo Jensen sur l’histoire des sciences qui n’est pas " un long fleuve tranquille " : la science, explique-t-il, n’a jamais coulé de source.

Éric Hazan évoque les noms de rue à Paris, de manière iconoclaste : « Pourquoi ne pas débarrasser des voies dont le nom est comme un déshonneur urbain : la place Napoléon IIII, l’avenue Mac-Mahon, la rue Thiers, la rue Alexis-Carrel ? Et parmi les 71 généraux dont une rue porte le nom, combien de criminels des guerres coloniales, combien de bourreaux du peuple parisien mériteraient de rentrer dans l’anonymat ? On pourrait les remplacer par des femmes, presque absentes si l’on excepte les saintes et les soeurs. On pourrait y ajouter des personnages romanesques. »

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Même Auteur
Bernard Klein. Les expressions qui ont fait l’histoire. Paris, E.J.L. 2008
Bernard GENSANE
Ce qu’il y a d’intéressant avec les phrases historiques, c’est que, souvent, elles n’ont pas été prononcées par les personnes à qui on en a attribué la paternité. Prenez la soutière (je sais, le mot "soutier" n’a pas de féminin, mais ça ira quand même) du capitalisme américain qui siège au gouvernement français, Christine Lagarde. Elle a effectivement, lors de la flambée du prix des carburants, conseillé au bon peuple d’utiliser le vélo plutôt que la voiture. Mais la reine Marie-Antoinette, (…)
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"Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’étais déterminé à faire entrer les Etats-Unis dans le 21ème siècle, toujours comme le plus grand facteur de paix et de liberté, de démocratie, de sécurité et de prospérité."

Bill Clinton, 1996

"A travers le monde, chaque jour, un homme, une femme ou un enfant sera déplacé, torturé, assassiné ou "porté disparu", entre les mains de gouvernements ou de groupes politiques armés. Et la plupart du temps, les Etats-Unis en sont complices. "

Amnesty International, 1996

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