Dans ce numéro de janvier 2013, Serge Halimi évoque le « front antipopulaire » :
Les puissances émergentes d’aujourd’hui ne sont pas de dignes héritières des anticolonialistes et des anti-impérialistes d’hier. Les pays du Sud contrôlent une part croissante de l’économie mondiale. Ce n’est que justice. Mais cette richesse est tellement mal répartie que l’inégalité des revenus est plus prononcée encore en Afrique du Sud ou en Chine qu’aux États-Unis. Et les fortunes ainsi constituées servent davantage à racheter des entreprises, des biens de prestige occidentaux qu’à améliorer les conditions de vie et de santé des populations indienne, chinoise, arabes, africaines.
C’est un peu l’ère des barons voleurs qui recommence. En Amérique, à la fin du XIXe siècle, s’imposèrent des dynasties industrielles à la rapacité légendaire (John D. Rockefeller, J. P. Morgan, Cornelius Vanderbilt). Elles supplantèrent progressivement les grandes familles européennes dans les secteurs du pétrole, des transports, de la banque. Rivaux au départ, les concurrents transatlantiques s’entendirent un peu plus tard pour exploiter les travailleurs du monde, accroître démesurément la rémunération de leurs actionnaires, épuiser les réserves de la Terre.
Cela fait maintenant des années que l’État est infesté par les gens et les méthodes du privé. Par exemple, le numéro 2 de l’Élysée vient d’une grande banque privée. Mathilde Goanec explique comment les avocats d’affaires écrivent les lois :
La loi bancaire présentée par le gouvernement français fin décembre a été largement inspirée par le lobby des banques. Contrairement aux promesses du candidat François Hollande, qui avait annoncé la séparation des activités de spéculation et de crédit, le système actuel ne sera finalement modifié qu’à la marge. Une nouvelle illustration du poids des cabinets d’experts, qui se sont peu à peu substitués à la fonction publique et aux élus.
D’apparence barbare, le sigle est quasiment entré dans le langage courant. La RGPP (révision générale des politiques publiques), dont les recommandations sont inscrites dans la loi de finances 2009, affiche l’ambition de moderniser l’Etat. Pour le grand public, elle se résume souvent à l’une des mesures-phares du quinquennat de M. Nicolas Sarkozy : le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. La manière dont elle a consacré le rôle des experts, consultants et avocats d’affaires dans la préparation des projets de loi est beaucoup moins connue.
Hicham Ben Abdallah El-Alaoui se demandent si les Monarchies arabes seront les prochaines cibles :
Tandis qu’en Tunisie, en Egypte, en Libye et au Yémen s’amorce une chaotique transition démocratique, les combats s’intensifient en Syrie. Moins remarquées, les contestations s’enracinent dans les monarchies, que ce soit en Jordanie, au Maroc ou dans les pays du Golfe.
Plutôt qu’un événement, le « printemps arabe » est un processus. Pour les pays les plus engagés sur le chemin de l’émancipation politique, la question cruciale est la suivante : la démocratie peut-elle s’institutionnaliser ? Même si les progrès demeurent fragiles, et les rapports entre sociétés et Etats toujours conflictuels, la question appelle un « oui » prudent. Dans certains des pays concernés, on assiste à la mise en place d’institutions appelées à devenir démocratiques.
Johan Söderberg ne pense pas que la technologie puisse nous émanciper :
Depuis peu, des machines électroniques capables de produire des objets, fonctionnant à la manière d’imprimantes en trois dimensions, sont accessibles au grand public. Elles suscitent un engouement au sein d’une avant-garde qui y voit les ferments d’une nouvelle révolution industrielle. Mais les partisans de ces outils de bricolage technologique oublient souvent l’histoire qui les a vus naître.
Thomas Frank fait une analyse sans concession du mouvement " Occuper Wall Street " , « tombé amoureux de lui-même » :
Tout oppose le Tea Party, soucieux de baisser le niveau de la fiscalité, et le mouvement Occuper Wall Street, révolté par le creusement des inégalités. Mais, alors que le premier continue à peser dans la société et sur les institutions, le second a (provisoirement ?) levé le camp sans avoir obtenu grand-chose. L’auteur de « Pourquoi les pauvres votent à droite » tire de ce dénouement quelques leçons cruelles de stratégie politique. Elles résonnent au-delà du cas américain.
Rio de Janeiro endosse sa tenue olympique et les Brésiliens vont souffrir (Jacques Denis) :
« Laissez rugir l’esprit animal du secteur privé », conseillait récemment l’hebdomadaire britannique The Economist à la présidente brésilienne Dilma Rousseff, confrontée à un ralentissement de la croissance dans son pays. Il est un domaine où résonnent déjà les feulements des investisseurs : celui de l’immobilier à Rio de Janeiro, un secteur dopé par la préparation d’événements sportifs planétaires.
Anne Vigna renchérit avec la pacification musclée des favelas :
Dans la perspective des Jeux olympiques, Rio de Janeiro « pacifie » ses favelas, un euphémisme qui masque la nature ambiguë d’une politique conduite à la pointe du fusil.
La scène pourrait se passer dans n’importe quel quartier de la ville : une patrouille de police qui déboule en trombe et aggrave un peu plus l’embouteillage. Mais il faut se trouver dans une favela « pacifiée » de Rio de Janeiro pour observer une jeune femme tentant de raisonner la police et se voyant répliquer, par des cris, qu’il vaudrait mieux « ne pas insister » parce qu’après tout, « nous sommes les chefs ici ». Depuis 2009, les habitants de la favela de Pavão-Pavãozinho le disent : « La colline a changé de patron ». Les trafiquants ont cédé la place à la police, les armes et le pouvoir ayant simplement changé de mains. Il s’agit, ici, du résultat le plus flagrant d’un programme datant de 2008 : la « pacification » des favelas. Mais son impact n’est pas toujours aussi négatif.
Sabrina Mervin se penche sur l’étrange destin des alaouites syriens :
Alors que les combats s’intensifient en Syrie et que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) déploie des missiles Patriot en Turquie, le régime de M. Bachar Al-Assad tente de réprimer un soulèvement populaire qui dispose de soutiens étrangers. Il s’appuie sur une violence sans limites, mais aussi sur la crainte qu’inspire aux minorités, et en premier lieu aux alaouites, la montée d’un islamisme sunnite djihadiste et la terreur des représailles qu’implique leur appartenance au clan Assad.
Jean-Arnault Dérens explique pourquoi la justice est borgne pour les Balkans :
Le 12 décembre, le Tribunal pénal international de La Haye condamnait à la prison à vie l’ancien général serbe de Bosnie-Herzégovine Zdravko Tolimir, l’un des responsables du massacre de Srebrenica. En novembre, ce même tribunal acquittait les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac, ainsi que d’anciens commandants de la guérilla albanaise du Kosovo. Justice à deux vitesses ?
Agnès Sinaï est allée marcher dans le bourbier de Notre-Dame-des-Landes :
Depuis l’automne, la contestation du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, dans les Pays de la Loire, ne cesse de s’étendre. Les opposants dénoncent l’archaïsme et l’impact écologique de la vision promue par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes.
Un article important de Philippe Leymarie : "La guerre du « Sahelistan » aura-t-elle lieu ? " :
Autorisée par les Nations unies, une intervention militaire internationale dans le nord du Mali ne semble pas imminente. Si la France s’y montre favorable, l’Algérie et les pays d’Afrique de l’Ouest préfèrent jouer la carte de la négociation. Face à ces incertitudes et à l’impatience de la population, l’armée malienne est tentée de reprendre en main les affaires publiques.
Lakhdar Benchiba nous dit ce qu’en pense Alger :
La déclaration, fin novembre, de M. Romano Prodi, représentant spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour le Sahel, estimant qu’une action militaire dans le nord du Mali ne serait pas possible « avant septembre 2013 » (Liberté, 21 novembre 2012), a été reçue comme une bonne nouvelle à Alger. Elle est même apparue comme une victoire de la solution politique, défendue par le gouvernement, sur l’option guerrière, prônée notamment par la France. Elle survenait en outre quelques jours après les propos du général Carter Ham, chef du commandement militaire américain pour l’Afrique, selon lesquels une approche « uniquement militaire » dans la région serait vouée à l’échec (Le Monde,16 novembre 2012).
Pour Alger, ce délai de dix mois est excessif s’il s’agit « seulement » de reprendre les villes du nord du Mali tombées entre les mains des rebelles touaregs islamistes et des groupes djihadistes. Mais il donne du temps à l’Algérie pour faire émerger une solution politique que des commentateurs opposent volontiers aux plans de Paris " dont l’attitude, affirment certains d’entre eux, serait largement déterminée par l’uranium sahélien. Un diplomate algérien de l’Union africaine, lui, explique que le temps imparti par M. Prodi est trop court, en raison de la « complexité d’un terrain malien marqué par une multiplicité d’acteurs et d’enjeux ».
Philippe Pataud Célérier nous montre " La Chine dans l’objectif des Chinois " :
Longtemps cantonnée à magnifier le réalisme révolutionnaire et ses figures triomphantes (le paysan, le soldat et l’ouvrier), la photographie chinoise a explosé depuis le début des années 1980. Pour rendre compte du décalage entre la réalité et le discours dominant, certains artistes mettent l’accent sur ceux qui souffrent, d’autres se jouent des codes officiels, d’autres encore se mettent en scène…
Un article passionnant de Céline Rouzet : " ExxonMobil bouleverse la société Papoue " :
« Une zone riche en ressources. » C’est en ces termes que le groupe pétrolier français Total a qualifié la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où il a fait son entrée en octobre dernier pour exploiter des gisements de gaz. Le géant américain ExxonMobil a pris quelques longueurs d’avance et les compagnies chinoises ne sont pas en reste. Pour une partie de la population, l’argent coule à flots, au prix d’une déstabilisation des rapports sociaux.
Les médias britanniques doivent changer : " Ce rapport qui accable les médias britanniques " :
En novembre 2012, le juge Brian Leveson remettait son rapport sur « la culture, les pratiques et l’éthique de la presse » au Royaume-Uni. Il concluait ainsi une enquête de neuf mois commandée par le gouvernement britannique après la révélation des écoutes téléphoniques illégales effectuées par l’hebdomadaire News of the World.
En proposant la création d’un organe de régulation de la presse extérieur à la profession, le juge Leveson a suscité un débat très vif : un tel dispositif suggère en effet la possibilité d’une contradiction entre la liberté des entreprises de presse et l’intérêt général. La préconisation du juge s’appuie sur un exposé des dérives et délits des grands médias britanniques, ainsi que d’un système de connivences ayant entravé les précédents efforts de réglementation du secteur.
Céline Mouzon explique comment les entreprises virent sans licencier :
Tandis que les négociations sur l’emploi reprennent le 10 janvier 2013, la perspective s’éloigne du « compromis historique » entre syndicats et patronat espéré par M. François Hollande. Des représentants de salariés refusent le nouveau contrat de travail unique " et précaire " proposé par le Mouvement des entreprises de France (Medef). Instauré en 2008, le système de rupture conventionnelle en constitue un banc d’essai.
Pour Pierre Rimbert, Mario Monti est un saint (j’déconne !) :
Après le « modèle allemand » des bas salaires, le « modèle italien » de flexibilité ? L’accord pour la « croissance de la productivité et de la compétitivité » signé le 21 novembre dernier par des syndicats et le patronat avec la bénédiction du président du conseil, M. Mario Monti, bouleverse les relations sociales en Italie. Désormais, les entreprises seront fiscalement incitées à conclure des accords internes qui prévaudront sur les conventions collectives - généralement plus favorables aux travailleurs -, notamment en matière de rémunération et d’organisation. En juillet dernier, déjà , une loi votée à l’initiative de M. Monti facilitait les licenciements.
Pour avoir longtemps grenouillé à l’intersection du pouvoir et de l’argent (commissaire à la concurrence, consultant pour Goldman Sachs, membre de la commission trilatérale, du groupe de Bilderberg, de la commission Attali), le « technicien » charmait la presse d’affaires. Le voici couronné par le Grand Prix de l’économie 2012, décerné par M. Jean-Claude Trichet, président du jury.
Philippe Descamp évoque le modèle d’éducation finlandais : " En Finlande, la quête d’une école égalitaire " :
Au mois de novembre, des parents d’élèves et des enseignants de Seine-Saint-Denis ont organisé la quatrième Nuit des écoles dans le département. Leur objectif : dénoncer les inégalités territoriales en matière d’enseignement. Dans ce domaine, la Finlande s’érige depuis quelques années en modèle, en raison des excellents résultats qu’elle affiche dans les enquêtes internationales mesurant les acquis des élèves.
Selon Johan Popelard, les joies du mécénat sont troubles :
En France, l’art a longtemps été une affaire d’Etat. Mais l’importance grandissante du mécénat d’entreprise a changé la donne. Est-ce par amour de l’art que des sociétés pourtant portées sur la rentabilité de leurs investissements se montrent si généreuses ?
Evelyne Pieiller revient sur la fin du monde : " Les beaux fantômes de la révolte " :
La fin du monde prévue par le calendrier maya a eu un succès fou. Evidemment, il ne semble pas que les Terriens se soient laissés aller massivement à la panique aux alentours du 21.12 ; on peut même remarquer que les dates fatidiques ont suscité en France une certaine verve sarcastique : « Et vous, vous faites quoi pour la fin du monde ? », s’enquérait suavement une publicité, tandis que les nuits parisiennes affichaient une insolence tonique, de F*ck les Mayas - La soirée des optimistes pour la Gaîté-Lyrique à la Last Dance de la Villette. Ce qui n’empêche pas, au contraire, de s’émerveiller devant le retentissement de cette prophétie.
Pourquoi diable un tel écho ?
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