Dans la livraison du Monde Diplomatique de décembre 2010, Serge Halimi dénonce les illusions de l’équité : « Désormais, les libéraux se soucient des pauvres. Au Royaume-Uni, par exemple, le Premier ministre conservateur David Cameron veut, s’inspirant de son prédécesseur travailliste Anthony Blair, augmenter massivement les frais d’inscription à l’université. Il s’agirait d’une mesure sociale. Objectif ? Ne pas mettre à la charge de l’ensemble des contribuables des études supérieures dont la plupart des « clients » proviennent des couches aisées. L’État réalise une économie ; les pauvres disposent de bourses. Il y a trois ans, en France, l’éditorialiste Jacques Julliard estimait déjà que « la gratuité, c’est une subvention aux riches qui envoient leurs enfants à l’université . » Faire payer des droits d’inscription élevés constituerait donc une réforme égalitaire…
L’ampleur des déficits publics permet d’étendre ce raisonnement à l’ensemble des prestations sociales, en remettant en cause leur caractère universel. Les allocations familiales, pour commencer : « Au-delà d’un certain seuil [de revenus], on ne s’aperçoit tout simplement pas qu’on touche des "allocs" . L’argent de l’État est ici dépensé en pure perte », a réitéré l’ancien ministre de droite Luc Ferry, auquel fit écho l’ancien premier ministre socialiste Laurent Fabius. Vient ensuite la couverture médicale : évoquant son père, « hospitalisé pendant quinze jours en service de pointe », Alain Minc, conseiller de M. Nicolas Sarkozy et néanmoins proche de Mme Martine Aubry, a feint de s’offusquer que « la collectivité française ait dépensé 100 000 euros pour soigner un homme de 102 ans. (...) Il va falloir s’interroger pour savoir comment on récupère les dépenses médicales sur les très vieux en mettant à contribution leur patrimoine ou celui de leurs ayants droit. Ce serait au programme socialiste de le proposer. » Enfin, vient le tour des pensions de retraite : l’hebdomadaire libéral The Economist a regretté que M. George Osborne, ministre britannique des finances, n’ait pas systématisé son attaque « contre le principe d’universalisme propre au système social. Il aurait pu, par exemple, cibler les avantages coûteux accordés aux retraités indépendamment de leurs revenus. »
Ainsi, les libéraux paraissent se soucier de l’« équité » de la redistribution après avoir amoindri la progressivité de l’impôt... Leur prochaine étape est connue d’avance ; les États-Unis en ont fait l’expérience : dans des systèmes politiques dominés par les classes moyennes et supérieures, l’amputation des services publics et des aides sociales devient un jeu d’enfant quand les couches privilégiées cessent d’y avoir accès. Elles estiment alors que ces avantages alimentent une culture de la dépendance et de la fraude ; le nombre des bénéficiaires se réduit ; un contrôle tatillon leur est imposé. Placer les aides sociales sous condition de ressources, c’est donc presque toujours programmer leur disparition pour tous. »
Où vont les syndicats, s’interroge Éric Dupin dans un article qui fait réellement le tour de la question ?
Malgré une mobilisation exceptionnelle, la nouvelle loi française sur les retraites entérine le recul de l’âge de départ. A gauche, tous réclament « une grande réforme », mais sous un vocabulaire enjôleur se cache souvent la baisse programmée des pensions (lire « Les apprentis sorciers de la retraite à points »). La Confédération française démocratique du travail (CFDT) est séduite. Mais il n’est pas sûr que son entente stratégique avec la Confédération générale du travail (CGT) y survivrait. Plus généralement, quel paysage syndical se dessine après le mouvement social d’octobre ? Filmée à la raffinerie Total de Donges (Loire-Atlantique), la scène est symbolique : le délégué CGT, M. Christophe Hiou, porte la casquette orange du responsable CFDT du site, M. Dimitri Guiller, lequel a lui-même enfilé le casque rouge de son camarade. Les deux syndicalistes manifestent leur cohésion en ce pénible jour du 29 octobre où l’assemblée générale des travailleurs s’apprête à voter la fin de la grève. « On n’a pas plié la réforme des retraites », reconnaissent-ils avec amertume, mais « tout le monde est fier » d’un mouvement responsable, fortement soutenu par la population. « Il y a des défaites qui ont un goût de victoire », répète M. Hiou, le visage tendu.
L’opposition à la réforme des retraites, cet automne, aura enfanté une impressionnante série de manifestations réussies. Une mobilisation qui a irrigué le territoire comme jamais. Le 12 octobre, on comptait deux mille cinq cents manifestants à Coutances (Manche), quatre mille six cents à Aubenas (Ardèche), sept mille cinq cents à Dole (Jura). Les cortèges syndicaux se sont gonflés d’un public inhabituel, particulièrement les samedis. « Je n’arrête pas de rencontrer des gens qui me disent que c’est leur première manifestation », s’amusait un organisateur. On ne saura jamais combien de millions de Français sont, au moins une fois, descendus dans la rue en cet automne 2010, mais c’est sans doute un chiffre record. De quoi « ouvrir les consciences populaires », selon l’expression de M. Hiou. Marquée par un soutien de l’opinion qui n’a pas faibli malgré les difficultés d’approvisionnement en carburant, la victoire idéologique s’est cependant doublée d’une défaite politique. Le rapport de forces établi par la grève n’a pas été assez puissant pour faire reculer le pouvoir. « Les chiffres des grévistes n’ont pas été dérisoires, mais le "tous ensemble" , c’est la manifestation », observe M. Pierre Khalfa. membre du secrétariat national de Solidaires. »
Les cadres de la CGT avouent avoir été surpris par l’ampleur du mouvement : « Peut-être a-t-on sous-estimé un certain nombre de choses. » Ces cadres n’ont, en tout cas, pas sous-estimé leur sens de la responsabilité tant vantée par le pouvoir. L’auteur de l’article s’étonne, à tort à mes yeux, de la convergence entre la CGT, « toujours hostile au capitalisme » et la CFDT, « qui s’accommode du capitalisme ». Chérèque, qui n’a cessé de trahir depuis qu’il dirige sa centrale, déclare à l’auteur avec un remarquable aplomb : « Nous n’acceptons pas une division du travail où les trahisons des uns seraient les avantages des autres, comme on l’a trop souvent vu par le passé. »
Une analyse de Laurent L. Jacque sur la « guerre des monnaies, mythes et réalités » : Le 21 novembre, l’Irlande sollicitait l’aide de l’UE et du FMI. Dès le lendemain, la spéculation reprenait, alimentée par la crainte d’une contagion de la crise au Portugal et à l’Espagne.
Zeev Sternhell déplore le recul des Lumières dans tous les pays : « Le respect des identités et de leur culture, la défiance envers les idéologies du progrès, la critique du rationalisme et de sa prétention à l’universel : autant de caractéristiques d’une sensibilité politique contemporaine qu’on peine parfois à situer sur l’échiquier politique. Ce courant a pris naissance au XVIIIe siècle, pour s’opposer à la conception de l’individu autonome, acteur de ses choix, qui est le principe même de la démocratie. »
Pierre Daum et Aurel ont constaté en Grèce « la révolte inaboutie de la jeunesse » : « Alors que la crise financière a fait passer le pays sous les fourches Caudines du FMI, la gauche est parvenue à se maintenir au pouvoir [la famille Papandreou domine les socialistes depuis 70 ans !]. Mais l’abstention a dépassé le niveau record de 50%. A Athènes, le ras-le-bol qui avait jeté dans les rues des milliers de manifestants - et d’émeutiers - est toujours présents. » Inspiré par de Villepin, peut-être, les socialistes ont créé un smic jeunes à 592 euros !
Alors que la droite et l’extrême droite aux Etats-Unis triomphent (les Tea Parties), que le Parti républicain vient de remporter sa plus belle victoire depuis 1938, deux gauches, une radicale et une plus institutionnelle s’ignorent (Rick Fantasia) : « Leur faiblesse s’explique aussi par les limites de leurs propres perspectives sociales. Pour l’une, les travailleurs ont vocation à se battre contre l’exclusion plutôt que contre l’exploitation, pour l’autre, à pique-niquer plutôt qu’à se battre. »
Pour Colette Braeckman, « Au Rouanda comme au Burundi, l’argument ethnique ne fait plus recette » : Malgré les protestations de Kigali, le Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a publié, le 1er octobre, un rapport accablant pour le Rouanda sur les crimes commis en République démocratique du Congo du 1993 à 2003. La politique sécuritaire du président Paul Kagamé semble inspirer le Burundi voisin. »
Alan Popelard et Paul Vannier voient en Alger une « ville qui se défait » : entre la Casbah abandonnée et les cités-dortoirs de la périphérie, l’histoire algérienne s’est inscrite dans la géographie de la capitale, avec ses omissions, ses compromissions. Le destin d’Alger la Blanche traduit aussi le délitement du pacte national noué au moment de l’indépendance. […] Derrière le paravent immaculé de la révolution, l’oligarchie au pouvoir a tiré les fils d’un tissu urbain dont ne subsistent que des lambeaux décousus. »
Renaud Egreteau explique pourquoi la junte birmane « cherche des habits civils » : « Le 13 novembre dernier, Mme Aung San Suu Kyi étaient libérée par les généraux. Par ce geste, la junte espère engager des négociations pour lever l’embargo occidental ».
« Qui expertise les scientifiques ? », se demande Jacques Testart. « Faut-il encore demander l’expertise de l’Autorité européenne de sécurité des aliments sur l’inocuïté des plantes transgéniques, quand tous ses avis ont été positifs et alors que sa présidente fut liée à l’un des principaux groupes de pression de l’agroalimentaire ? »
Agnès Sinaï, pour sa part, dénonce le faux nez de la biodiversité : « Au sommet de Nagoya, les grandes entreprises du Conseil mondial du développement durable ont déployé une rhétorique environnementale afin d’occulter leur mainmise sur les ressources naturelles. »
Gilles Lapouge évoque la fascination pour les pôles : sous les mers gelées, d’immenses richesses que la débâcle due au réchauffement climatique va mettre au jour.
L’Iran « découvre l’Amérique latine » (Nikolas Kozloff) : « Depuis son élection en 2005, M. Mahmoud Ahmadinejad a été reçu dans la plupart des pays latino-américains, y compris le Brésil - une première depuis 1979. Rapprochement économique, divergences idéologiques : l’alliance entre Téhéran et l’Amérique latine rappelle qu’en géopolitique on ne choisit pas toujours ses alliés. « Un changement tectonique a eu lieu dans la structure des relations internationales », clamait, enthousiaste, un éditorialiste du quotidien turc Radikal après l’accord tripartite sur le nucléaire iranien signé par Brasàlia, Istanbul et Téhéran, le 17 mai 2010 . Objectif du document : proposer une alternative aux sanctions des Nations unies contre l’Iran sur la base d’un accord d’échange de combustible. Cette entente n’avait rien d’anodin : à l’époque, le chef de l’Organisation de l’énergie atomique iranienne, M. Ali Akbar Salehi (également vice-président du pays), estimait que, pour la première fois, les pays occidentaux avaient dû admettre que « les pays émergents peuvent défendre leurs droits sur la scène internationale sans avoir besoin des grandes puissances ». Compréhensif, il concédait : « C’est dur à accepter pour elles. »
L’opération ne se solda pas par le succès escompté. Les États-Unis et la France poussèrent à l’adoption rapide par le Conseil de sécurité des Nations unies d’un nouveau texte fixant des sanctions (10 juin 2010), le Brésil et la Turquie votant contre mais décidant, comme ils y sont contraints, de les appliquer. « Le Brésil s’en remet toujours à la loi internationale », expliqua son ministre des affaires étrangères, M. Celso Amorim. Qu’il illustre la difficulté de résister à la ligne dictée par Washington ou la volonté brésilienne de réaffirmer le droit de toute nation à développer son programme nucléaire civil, l’épisode éclaira l’importance croissante des liens entre l’Iran et l’Amérique latine.
Le président vénézuélien, M. Hugo Chávez, a effectué neuf visites à Téhéran, où ont été également accueillis MM. Rafael Correa, Lula da Silva, Evo Morales et Daniel Ortega - respectivement président de l’Equateur, du Brésil, de la Bolivie et du Nicaragua -, lesquels ont, à leur tour, reçu leur hôte. »
Pour Bernard Cassen, un consensus de Berlin est imposé à l’Europe : « Sommé par ses partenaires de solliciter l’" aide " du Fonds européen de stabilité financière, le gouvernement irlandais s’est exéuté. La Commission, la BCE et le FMI orchestrent désormais un plan de sauvetage des banques dont les Irlandais paieront la facture. C’est ce dispositif, dans une version encore plus draconienne, que l’Allemagne entend pérenniser par une révision du Traité de Lisbonne. »
Très bonne enquête de terrain (comme d’hab’) de François Ruffin « dans la fabrique du mouvement social » à Amiens : « Des millions de Français se sont mobilisés cet automne. Pourtant, leurs protestations n’ont pas toujours réussi à se coordonner. Et pour atteindre la masse critique et faire plier un gouvernement, l’enthousiasme ne peut remplacer l’organisation. » En revanche, « le capital est organisé à l’échelle de la planète, avec un calendrier de " réformes " fixé longtemps à l’avance. Tandis que les protestataires ne parviennent pas à s’organiser à l’échelle d’une ville. »
Henri Sterdyniak dénonce « les apprentis sorciers de la retraite à point », une grosse saloperie soutenue par la CFDT et le PS : Après avoir rappelé qu’entre 1995 et 2009 le taux de rendement du point des complémentaires a perdu 28%, l’auteur énonce cette vérité qui devrait être inscrite dans le marbre des escaliers de la Rue de Solferino : « la retraite n’est pas un dispositif financier soumis à des choix individuels. La société considère que chaque salarié peut travailler un nombre donné d’années, jusqu’à un âge déterminé ; elle doit lui fournir un travail jusqu’à cette limite ; ensuite, ce dernier a droit à une retraite qui lui assure une parité de niveau de vie avec les actifs. Il faut maintenir ces deux principes fondamentaux. »
Sous la plume de Gaston Pellet cette fois, le Diplo dénoncent les élites qui « sacrifient la langue française » : le phénomène de l’utilisation de l’anglais est aujourd’hui stimulé « par la mondialisation de l’économie dont l’anglo-américain est la langue véhiculaire. »
Pour Philippe Rivière, Facebook n’est qu’un « miroir magique ». Il dénonce « le savant mélange de vie privée et de voyeurisme, ce régime doucereux de transgression modérée et de libertée surveillée. »
A signaler enfin un très intéressant dossier sur « la Wallonie à l’heure de la crise belge ».