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Le mieux et le plus intelligent

(nouvelle traduction mise en ligne 7/4/2011)

Hier, pour des motifs d’espace et de temps, je n’ai dit mot du discours sur la guerre de Libye que Barack Obama a prononcé le lundi 28. Je disposais d’une copie de la version officielle distribuée à la presse par le gouvernement étasunien. J’avais souligné certaines choses. Je l’ai révisé et je me suis convaincu qu’il ne valait guère la peine de trop dépenser de papier à ça.

Je me suis rappelé ce que m’avait raconté Carter - quand il nous a rendu visite en 2002 - sur la sylviculture aux USA, car il possède une plantation familiale en Atlanta. A cette visite-ci, je lui ai posé à nouveau des questions sur cette plantation et il m’a confirmé qu’il semait des pins séparés par une distance de trois mètres sur deux, soit mille sept cents arbres par hectare, et qu’on les récolte tous les vingt-cinq ans. J’ai lu voilà bien des années que le papier de la livraison dominicale du New York Times exigeait l’abattage de quarante hectares de forêt. On comprendra dès lors mon souci d’économiser du papier…
Bien entendu, Obama est un excellent enfileur de grands mots et de belles phrases. Il pourrait gagner sa vie à écrire de contes pour enfants. Je connais son style parce que la première chose de lui que j’ai lue et soulignée avec respect, bien avant qu’il n’accède à la présidence, est son livre Les Rêves de mon père, ce qui m’a permis de constater que son auteur savait choisir le mot exact et la phrase idoine pour forcer la sympathie des lecteurs.

J’avoue ne pas avoir apprécié sa tactique du suspense et sa façon d’occulter ses idées politiques à lui jusqu’au bout. J’avais fait un effort spécial pour ne pas aller chercher au dernier chapitre ce qu’il pensait de différentes questions qui sont à mon avis cruciales en cette étape de l’histoire humaine. J’étais convaincu que la profonde crise économique, les dépenses militaires colossales et le sang jeune versé par son prédécesseur républicain l’aideraient à battre son adversaire à la présidence malgré les énormes préjugés raciaux de la société étasunienne. J’étais conscient qu’il courait le risque d’être éliminé physiquement.

Pour des raisons de politicaillerie traditionnelle qui coulent de source, il était allé quêter, avant les élections, les voix des anticubains de Miami, dirigés pour la plupart par des réactionnaires nostalgiques de Batista qui ont converti les USA en une république bananière où la fraude électorale a déterminé rien moins que le triomphe de W. Bush en 2000 et écarté un futur Prix Nobel, Al Gore, le vice-président de Clinton et candidat à la présidence.

Un sens de la justice élémentaire aurait dû conduire le président Obama à rectifier les conséquences du procès infâme qui a abouti à l’incarcération inhumaine, cruelle et particulièrement injuste des cinq patriotes cubains.

Son message sur l’État de l’Union, ses discours au Brésil, au Chili et en El Salvador, la guerre de l’OTAN en Libye m’ont contraint à souligner son discours sur la Libye encore plus abondamment que son autobiographie.

Qu’est-ce qu’il y a de pire dans ces déclarations et comment expliquer les quelque deux mille cinq cents mots que contient la version officielle ?

Sur le plan intérieur, sa carence totale de réalisme place son heureux auteur aux mains de ses pires adversaires qui souhaitent l’humilier et se venger de sa victoire électorale de novembre 2008. La punition qu’ils lui ont infligée fin 2010 ne leur suffit pas.

Sur le plan extérieur, le monde a mieux pris conscience de ce que le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’OTAN et l’impérialisme yankee signifient pour de nombreux peuples.
Je vais être aussi bref que j’ai promis. Pour commencer, Obama a commencé par affirmer que les troupes étasuniennes « étaient en train de freiner le dynamisme des Talibans en Afghanistan et de traquer Al-Qaeda à travers le monde entier ».

Et d’ajouter presque aussitôt : « Des générations durant, les États-Unis d’Amérique ont joué un rôle unique en tant que bastion de la sécurité mondiale et défenseur de la liberté humaine. »

Une vérité dont - tous les lecteurs le savent - peuvent attester les Cubains, les Latino-Américains, les Vietnamiens et bien d’autres.

Après une profession de foi aussi solennelle, Obama consacre une bonne partie de son temps à parler de Kadhafi, de ses horreurs et des motifs pour lesquels les États-Unis et leurs « alliés les plus proches - le Royaume-Uni, la France, le Canada, le Danemark, la Norvège, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et la Turquie, tous pays qui se sont battus à nos côtés durant des décennies […] ont décidé d’assumer leurs responsabilités de défendre le peuple libyen. »

Et d’annoncer un peu plus loin :

« …l’OTAN a pris le commandement pour faire appliquer l’embargo sur les armes et la zone d’interdiction aérienne ».

Puis il confirme les objectifs de la décision :

« Par suite de cette transition à une coalition plus vaste basée sur l’OTAN, les risques et les coûts de cette opération pour nos militaires et les contribuables étasuniens se réduiront significativement.

« Je tiens donc à être clair à l’adresse de ceux qui doutaient de notre capacité à mener cette opération : les États-Unis d’Amérique ont fait ce que nous avions dit que nous ferions. »

Il distille ensuite ses obsessions sur Kadhafi et révèle les contradictions qui l’agitent :

« …Kadhafi n’a pas encore abandonné le pouvoir, et tant qu’il ne le fera pas, la Libye restera un danger.

[…]

« Il est vrai que les États-Unis ne peuvent pas utiliser leur armée partout où il y a une répression. Et, compte tenu des coûts et des risques d’une intervention, nous devons toujours soupeser nos propres intérêts et la nécessité d’une action.

[…]

« La tâche que j’ai assignée à nos forces - protéger le peuple libyen […] - est en accord avec un mandat de l’ONU et avec un appui international. »

Et puis, son obsession, encore et toujours :

« Si nous nous efforcions de renverser Kadhafi par la force, notre coalition se scinderait. Pour remplir cette mission, nous devrions envoyer des troupes étasuniennes à terre ou risquer de tuer de nombreux civils depuis les airs.

[…]

« …nous sommes pleins d’espoir en l’avenir de l’Iraq. Mais le changement de régime a coûté huit années, des milliers de vies étasuniennes et iraquiennes et presque trois milliards de dollars. »

Quelques jours après le début des bombardements de l’OTAN, on a appris qu’un chasseur-bombardier étasunien avait été abattu. Une nouvelle qu’une source a confirmée ensuite. Des paysans, en voyant descendre un parachute, ont fait ce qu’on fait par tradition en Amérique latine : ils se sont approchés pour prêter secours, le cas échéant Nul ne pouvait savoir comment ils pensaient. C’étaient vraisemblablement des musulmans, des gens qui faisaient produire la terre et qui ne pouvaient pas être partisans des bombardements. Soudain, un hélicoptère est apparu pour récupérer le pilote et leur a tiré dessus, blessant grièvement l’un d’eux et ne les tuant pas tous par miracle. Les Arabes, on le sait, sont traditionnellement hospitaliers envers leurs ennemis, les logent sous leur propre toit et se retournent pour ne pas savoir par où ils repartent. Ni un lâche ni un traître ne représente jamais l’esprit d’une classe sociale.

Seul un Obama pouvait nous débiter la curieuse théorie qui apparaît à un moment donné de son discours :

« Il y aura toutefois des occasions où, même si notre sécurité n’est pas directement menacée, nos intérêts et nos valeurs le seront. […] …nous savons qu’on réclamera souvent l’aide des États-Unis, comme la nation la plus puissante du monde.

« En ces cas, nous ne devons pas avoir peur d’agir, mais le poids de l’action ne doit pas retomber uniquement sur les États-Unis. Au contraire, tout comme nous le faisons en Libye, notre tâche est de mobiliser la communauté internationale en vue d’une action collective. […]

« Tel est bien le genre de leadership dont nous faisons preuve en Libye. Bien entendu, même si nous agissons dans le cadre d’une coalition, les risques de n’importe quelle action militaire seront élevés. On a pu constater ces risques quand un de nos avions a eu des ratés en survolant la Libye. Or, quand un de nos aviateurs a sauté en parachute, dans un pays dont le dirigeant a si souvent satanisé les États-Unis, dans une région qui a eu des relations si difficiles avec notre pays, cet Étasunien n’a pas rencontré d’ennemis, au contraire, il a été accueilli par les gens à bras ouverts. Un jeune Libyen venu le secourir lui a dit : "Nous sommes vos amis. Nous sommes si reconnaissants envers ces hommes qui protègent notre ciel."

« Cette voix n’est rien que l’une des nombreuses voix dans une région où une nouvelle génération refuse de se voir dénier ses droits et ses chances plus longtemps.

« Ce changement compliquera toutefois le monde pendant un temps. Le progrès sera inégal, et le changement surviendra différemment dans les différents pays. Il y a des endroits, comme l’Égypte, où ce changement nous encouragera et rehaussera nos espoirs. […]

Tout le monde sait que Moubarak a été l’allié des États-Unis. Quand Obama s’est rendu à l’Université du Caire en juin 2009, il ne pouvait ignorer qu’il avait volé des milliards de dollars à l’Égypte.

Mais Obama poursuit son récit émouvant :

« …nous nous félicitons que l’histoire se soit mise en branle au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et que les jeunes soient à l’avant-garde. En effet, partout où les gens rêvent d’être libres, ils trouveront un ami dans les États-Unis. Somme tout, c’est cette foi, ce sont ces idéaux qui sont la vraie aune du leadership étasunien.

« …notre puissance à l’étranger s’enracine dans notre puissance à domicile. Et notre étoile polaire doit toujours être la suivante : la capacité de notre peuple à donner tout son potentiel, à faire des choix judicieux à partir de ses propres ressources, à amplifier la prospérité qui est à la source de notre pouvoir et à vivre les valeurs qui nous sont si chères.

[…]

« […] Regardons l’avenir pleins de confiance et d’espoir non seulement en notre pays, mais en tous ceux qui languissent après la liberté dans le monde entier. »

A lire cette histoire à dormir debout, je me suis souvenu du Tea Party, du sénateur Bob Menéndez et de l’illustre représentante Ileana Ros, la « grande méchante louve », qui narguait la loi pour continuer de séquestrer le petit Cubain, Elián González, et qui est maintenant rien moins que la présidente de la commission des Relations extérieures de la Chambre des représentants des États-Unis !

Kadhafi se tue à répéter qu’Al-Qaeda lui fait la guerre et envoie des combattants contre son gouvernement, parce qu’il a appuyé la guerre antiterroriste de Bush.

Al-Qaeda a eu par le passé d’excellentes relations avec les services secrets étasuniens dans la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan et en connaît long sur les méthodes de travail de la CIA.

Que se passerait-il si les dénonciations de Kadhafi étaient vraies ? Comment Obama expliquerait-il au peuple étasunien qu’une partie de ces armes de combat terrestre tombent aux mains des hommes de Bin Laden ?

N’aurait-il pas été mieux et plus intelligent de promouvoir la paix en Libye, au lieu de fomenter la guerre ?

Fidel Castro Ruz
Le 31 mars 2011
19 h 58

Traduction J-F Bonaldi, La Havane

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John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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