Le « procès de Villiers-le-Bel » a mis en lumière une nouvelle méthode d’enquête à charge : le recours à des témoignages anonymes ET rémunérés. Rappel. Deux jours après les émeutes, le 29 novembre 2007, le chef de l’État déclare : « Mettez les moyens que vous voulez […], ça ne peut pas rester impuni, c’est une priorité absolue . » Le 3 décembre, les policiers distribuent dans le quartier du Bois-Joli 2 000 exemplaires d’un tract attractif : « La Police judiciaire de Versailles recherche tout témoignage relatif aux coups de feu tirés contre des policiers […]. Si vous disposez de renseignements, merci d’appeler le numéro vert de la brigade criminelle […]. L’appel est gratuit et votre anonymat sera préservé. Tout élément susceptible d’orienter favorablement les enquêtes en cours pourra faire l’objet d’une rémunération. » Dans la presse, Jean Espitalier, chef de la PJ versaillaise, explicite : « Nous avons fait ces tracts pour que les témoins des coups de feu soient assurés qu’ils pourront témoigner sous X et que les témoignages qui permettront de faire avancer les investigations seront récompensés à hauteur de plusieurs milliers d’euros. »
Cette méthode est-elle légale ? Rien n’est moins sûr. La loi « Perben II » du 9 mars 2004 et un arrêté du 20 janvier 2006 prévoient la possibilité d’une rémunération, mais seulement de « l’informateur ». Or, un indicateur n’est pas un témoin, un renseignement n’est pas un témoignage. L’information émanant d’un « indic » se traduit par la rédaction d’un « procès-verbal de renseignement judiciaire » qui n’a ni le même contenu ni le même poids qu’un PV d’audition. Il ne transcrit pas des déclarations, mais leur substance globale, et il n’est pas signé par l’intéressé, lequel ne prête pas serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité » et ne peut donc être poursuivi - et pour cause - pour faux témoignage.
Le tract policier mélange allègrement ces deux cadres. Cette confusion serait bénigne si les enquêteurs n’avaient pas ensuite recueilli des témoignages anonymes, mais c’est précisément ce qu’ils ont fait ! La procédure de témoignage « sous X » a été instaurée par la loi du 15 novembre 2001 « sur la sécurité quotidienne », soit près de trois ans avant le texte sur les indicateurs. La personne y est désignée comme un « témoin » et non comme un « informateur ». Aucune rétribution n’est prévue. Il est significatif que le législateur n’ait jamais explicitement autorisé la rémunération des témoins, qu’ils soient d’ailleurs anonymes ou non. De fait, un « indic » a vocation à entretenir des relations suivies avec les policiers - d’où la possibilité de le rémunérer ! - ce qui n’est pas le cas d’un témoin, sauf à ce que les mots n’aient plus de sens.
La légalité de cette opération de délation facile et lucrative est donc pour le moins douteuse.
A supposer que cette pratique soit légale, est-elle judiciairement acceptable ? Il n’est même pas possible pour la justice de savoir si les témoignages anonymes recueillis ont donné lieu ou non à récompense. En effet, il résulte de l’arrêté de 2006 que la rétribution des indicateurs relève de la seule compétence de la police ou de la gendarmerie. Ainsi, non seulement il est probable que les fameux témoins anonymes du procès de Pontoise aient été en réalité des informateurs payés par la police, mais encore la Cour d’assises ne pouvait pas en avoir la certitude. Quand on sait qu’un témoignage est fragile par définition (subjectivité, mémoire, intérêt à dire une chose plutôt qu’une autre…) et que le témoignage « sous X » l’est plus encore (déclarations plus floues - et donc plus difficilement vérifiables - pour éviter l’identification du témoin, effet de déresponsabilisation de l’anonymat…), on peut penser que le témoignage anonyme rémunéré - objectivement intéressé donc - est une aberration judiciaire. Il n’est pas anodin qu’une telle aberration ait surgi dans cette affaire où, parce qu’il était question de policiers d’une part et de « jeunes de cité » d’autre part, tout était permis : « Mettez les moyens que vous voulez… » Au fondement du droit, de la justice et de la démocratie, il y a pourtant cette idée forte : la fin ne justifie pas les moyens.
Matthieu Bonduelle
Secrétaire général du Syndicat de la magistrature.
SOURCE : http://lameche.org/Members/karine/actualites/le-masque-et-la-thune-par-mathieu-bonduelle-secretaire-general-du-syndicat-de-la-magistrature/
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