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« Le maintien des élections municipales est une erreur »

Pour Fabien Desage, politiste lillois, les problèmes immédiats et plus lointains posés par un scrutin en pleine épidémie de coronavirus auraient dû inciter l’exécutif à préparer un report. La légitimité et l’efficacité des édiles locaux sont en jeu.

Spécialiste de la vie politique locale, Fabien Desage pointe le caractère aberrant et imprudent que revêt selon lui l’organisation d’élections municipales en France. Si le premier tour se déroule demain, le second doit avoir lieu une semaine plus tard, alors que le pays suit une trajectoire semblable à celle de l’Italie dans la progression de l’épidémie de Covid-19. En prenant en compte ce délai supplémentaire de sept jours, « il fallait se poser cette question : peut-on organiser aujourd’hui des élections en Lombardie ? ».

Selon ce maître de conférences en science politique à l’université de Lille, la tenue « quoi qu’il en coûte » du scrutin révèle au passage une surestimation par les élites de l’importance que de nombreux citoyens accordent aujourd’hui à ce rituel, qui les conduirait à se déplacer au prix d’un risque sanitaire, fût-il minime.

Emmanuel Macron a envisagé un temps le report des élections municipales prévues les 15 et 22 mars. Il s’est cependant rangé à des arguments politiques et juridiques, affirmant que des « scientifiques » se montraient rassurants d’un point de vue sanitaire. Aurait-il dû faire autrement ?

Je pense que le maintien du scrutin est une immense erreur. Écouter des spécialistes de la santé ou des juristes est une très bonne chose, mais les chercheurs en sciences sociales avaient aussi des choses à dire, et je n’ai pas l’impression qu’ils aient été consultés.

Je veux bien admettre que vendredi, avec pour seule possibilité d’user de l’article 16 de la Constitution qui lui aurait donné les pleins pouvoirs, le chef de l’État ait préféré reculer face à un obstacle juridique et politique. Le pouvoir aurait cependant dû anticiper la question. Cela fait maintenant plusieurs jours que l’on sait que la France suit une trajectoire épidémique proche de celle de l’Italie.

Par ailleurs, une fois la crise passée, il faudra s’interroger sur le fait que notre texte constitutionnel est peut-être inadapté à ce genre de situation, lorsqu’un pays n’est certes pas en guerre ou en plein cataclysme naturel, mais tout de même aux prises avec une pandémie mondiale.

Quels sont les motifs qui vous font dire que l’organisation du scrutin est à ce point problématique ?

Premièrement, cette organisation n’est pas si anodine que cela. La préparation d’un bureau de vote requiert toute une logistique, y compris humaine. Pendant le vote, sera-t-il si facile de respecter les mesures de précaution les plus strictes, en gardant ses distances les uns avec les autres, au milieu de tas de bulletins non séparés, avec des gens qui se succéderont dans le même isoloir ? Pour tenir les bureaux, on devra réquisitionner des personnels de mairie qui auraient de nombreuses raisons de refuser. Comment va-t-on mobiliser des scrutateurs pour le dépouillement, alors qu’il est déjà si difficile de trouver du monde en temps normal et alors que ce décompte implique une grande et assez longue proximité physique ?

Je ne suis pas épidémiologiste ou virologue, mais j’observe que le professeur Antoine Flahaut, ancien directeur de l’École des hautes études en santé publique, voit dans le maintien des élections une « incohérence » du dispositif gouvernemental.

Deuxièmement, je ne vois pas comment cela ne provoquerait pas un effet désincitatif massif sur la participation. Cela signifie que les conseillers municipaux seront très mal élus, et ceci pour six ans. Leur légitimité sera fragilisée sur le temps long. Déjà que la participation diminuait régulièrement et atteignait des niveaux très faibles dans certaines communes, le problème va être amplifié. En outre, les recours pourraient pleuvoir de la part de candidats malheureux, qui contesteront à juste titre les conditions, voire la sincérité du scrutin.

Troisièmement, lorsque de nouvelles équipes municipales arrivent au pouvoir, il y a d’ordinaire une période de transition, d’apprentissage du lien avec l’administration et les autorités publiques. Là, tout cela se fera au beau milieu d’une crise sanitaire à gérer. Je suis personnellement attaché à ce que le pouvoir ne soit pas accaparé par les mêmes professionnels de la politique et échoie régulièrement à des « béotiens », mais en l’occurrence, cela tombera très mal. Et si, pour cette raison, les électeurs devaient privilégier les équipes sortantes, il y aurait un biais contextuel important dans leur choix.

Pour aller dans votre sens, si l’organisation du premier tour semble « jouable » cette semaine, celle du second tour aura lieu dans des conditions impossibles à prévoir, et sans doute dégradées par rapport à la situation actuelle...

Il s’agit pour moi d’une autre raison qui justifiait pleinement le report. L’entre-deux-tours va être hallucinant, surtout si des mesures encore plus drastiques sont mises en œuvre. Il n’y aura pas de meeting, pas de tractage. Va-t-on inventer une « télé- campagne » en quelques jours ? En réfléchissant au report, il fallait se poser cette question : peut-on organiser aujourd’hui des élections en Lombardie ? La réponse est évidemment non. Je note d’ailleurs qu’Emmanuel Macron a annoncé la tenue du premier tour, sans rien dire explicitement du second.

Au fond, il y a une contradiction entre la tonalité martiale du discours présidentiel et le côté brinquebalant de la logistique douteuse d’un scrutin d’ores et déjà faussé. Le pouvoir s’est mis tout seul dans l’ornière. Je ne peux pas m’empêcher d’y voir un reflet de la grande importance accordée au rituel électoral par les élites dirigeantes, qui est de moins en moins partagée par les gens ordinaires. Ceux-ci auraient très bien compris un report de quelques mois. On leur demande à la fois de se protéger et de protéger les autres en évitant les rassemblements, mais ici de faire une exception pour accomplir un « devoir électoral » : je crains que cela ne convainque guère.

Si vos réserves sont légitimes, n’était-il pas tout aussi problématique de repousser le scrutin de trois mois ?Cela aurait-il été plus crédible ?

C’est une vraie question, mais, de toute façon, le contexte épidémique a déjà largement perturbé la campagne. Dans trois mois ou même encore plus tard, il n’aurait pas été si grave de permettre financièrement aux personnes candidates de refaire une campagne. On peut même penser que cela aurait été profitable, au regard de toutes les critiques relatives à cette « drôle » de campagne.

Rallonger le mandat des maires avait été prévu en France il y a 12 ans, pour éviter une concurrence de scrutins entre l’élection présidentielle et les élections municipales. Cela avait été anticipé, certes, mais regardez ce qui se passe autour de nous au moment où on se parle. Au Québec, 29 élections municipales partielles devaient avoir lieu ce week-end, que le gouvernement provincial a repoussées. À Londres, le gouvernement vient de décaler d’un an les municipales prévues en mai.

Des démocraties représentatives comparables à la France décident donc de reporter des scrutins, parfois dans l’urgence et sur l’avis de commissions scientifiques indépendantes, mais nous, dans un splendide isolement bravache, nous allons à rebours. Comprenne qui pourra.

Allez-vous voter ce dimanche ?

J’en doute de plus en plus. Moins par crainte de contagion que par sentiment de participer à un scrutin faussé et rendu en partie absurde. J’ai en revanche conseillé à ma mère de ne pas y aller, car c’est une personne à risque. Le fait qu’on se pose la question quand on est en bonne santé, et qu’on préfère décourager d’autres personnes pour les protéger, dit assez l’absurdité de la situation.

J’aurai en tout cas la chance de ne pas avoir été mobilisé pour commenter les résultats à chaud, et je souhaite bon courage aux collègues qui se plieront à l’exercice. Comment interpréter les résultats de dimanche avec des repères classiques et indépendamment de ce fait perturbateur majeur ? Ce sera à mon sens totalement impossible et cela en dit long sur l’hypothèque qui pèsera sur la légitimité des vainqueurs.

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En conscience je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, Alain Refalo
Alain REFALO
Le manifeste des enseignants désobéisseurs : un ouvrage qui dénonce la déconstruction de l’école de la République. « Car d’autres enseignants (…) ont décidé de relever ce défi de la lutte contre la déconstruction de l’école publique. Ils sont entrés en résistance, sans se payer de mots inutiles. Une résistance radicale, mais responsable. Une résistance transparente et assumée. Pour que le dernier mot de l’histoire n’ait pas la couleur de la désespérance. » Des îlots de résistance - (…)
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"Les Etat-Unis eux-mêmes, par leur tendance croissante à agir de manière unilatérale et sans respect pour les préoccupations d’autrui, sont devenus un état voyou."

Robert MacNamara
secrétaire à la défense étatsunien de 1961 à 1968
paru dans l’International Herald Tribune, 26 juin 2000.

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