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Trois poids, trois mesures

Le Mahatma Gandhi, Barack Obama, Aminatour Haïdar

illustration : PORTRAITS – Ralph Ueltzhoeffer
« Quelle différence cela fait-il aux morts, aux orphelins et aux sans-abri que la destruction aveugle ait été amenée au nom du totalitarisme ou au nom sacré de la liberté et de la démocratie ? » « Il y a beaucoup de causes pour lesquelles je suis prêt à mourir mais aucune cause pour laquelle je suis prêt à tuer. »

Le Mahatma Gandhi

Barack Obama a reçu officiellement, ce 10 décembre 2009 à Oslo, son prix Nobel de la paix. Empêtré dans deux conflits en Irak et en Afghanistan, il est néanmoins distingué par l’académie norvégienne du prix Nobel. C’est, dit-on, une héroïque infirmière militaire britannique, qui convainquit Alfred Nobel de créer un prix de la paix pour compenser le mal fait par la dynamite dont il était l’inventeur. Or, parmi les lauréats qui ont reçu le prix depuis sa création, en 1901, quelques-uns ne s’étaient pas montrés particulièrement rétifs à l’utilisation militaire des explosifs. A commencer par le président américain Théodore Roosevelt, prix Nobel en 1906 qui, en dépit de son aimable sobriquet de « Teddy », était un militariste avéré, de même que certains en vrac : l’Egyptien Anouar al-Sadate, l’Israélien Menahem Begin, le Palestinien Yasser Arafat, l’Américain Henry Kissinger, ou encore le Vietnamien Le Duc Tho, qui devait, lui, prudemment le décliner. Avec 21 prix Nobel de la Paix à ce jour, les Etats-Unis détiennent le record du genre, devant le Royaume-Uni et la France. Mais de Jimmy Carter à Barack Obama, Washington aura initié nombre d’opérations militaires dans le monde entier, parfois comme en Irak, sans motifs justifiables a posteriori. Les archives du comité Nobel s’ouvrant au bout de 50 ans, on connaît maintenant les finalistes auxquels le prix a échappé dans la dernière évaluation. Ainsi Adolph Hitler a-t-il été proposé en 1939, Mussolini en 1935 et Staline par deux fois, en 1945 et 1948.

Le Nobel de la paix au pays de la guerre

On sait aussi que le Nobel est avant tout une récompense de ceux qui sont dans la mouvance de la doxa occidentale. Pendant la guerre froide, toutes les méthodes de déstabilisation de l’Union soviétique ont été utilisées. Souvenons-nous du prix Nobel de littérature attribué à Boris Pasternak pour un manuscrit sorti de derrière le rideau de fer, par la CIA, dans des conditions rocambolesques. Souvenons-nous de Soljenitsyne à qui on a attribué le prix Nobel pour lui donner une réputation d’intouchable et qui fut par la suite récupéré par l’Ouest. Ce fut par la suite durant l’ère Reagan, l’électricien Lech Walesa qui déstabilisa la Pologne, eut le prix Nobel, devint président mais ne fit pas illusion trop longtemps, il fut balayé au bout d’un mandat. Ce fut aussi Mgr Belo [inconnu jusqu’alors] qui eut à lutter contre l’Indonésie pour l’indépendance de son île, le Timor oriental, et le prix Nobel lui a donné une dimension planétaire. Je citerai pour mémoire les deux prix Nobel de la honte acceptés par Sadate et Arafat pour reddition en rase-campagne devant Israël. Seul Jean-Paul Sartre eut la dignité et le courage de refuser le prix Nobel.

Peut-on recevoir le Nobel de la paix tout en faisant une guerre en Irak et en Afghanistan ? Barack Obama n’a pas cherché à esquiver la polémique en recevant jeudi son prix à Oslo, en Norvège. Le président américain a accepté sa médaille avec « une profonde gratitude et humilité ».

Relevant l’ironie qu’un président d’un pays « au milieu de deux guerres » reçoive le Nobel de la paix, le démocrate a souligné « la dure vérité qui veut que les conflits armés ne seront pas éradiqués de notre vivant ». « Dire vouloir la paix ne suffit pas à l’obtenir », a asséné le président américain, ancien professeur de droit. « Si la paix est l’objectif, la guerre est parfois justifiée », a-t-il insisté. « Un mouvement non violent n’aurait pu stopper Hitler ou persuader Al Qaîda de déposer les armes », a-t-il cité en exemple. « Dire que la violence est nécessaire n’est pas cynique mais une reconnaissance de l’histoire et des imperfections de l’homme. » « Avec le sang de nos citoyens, nous avons oeuvré à un monde plus juste, de l’Allemagne à la Corée. Nous avons amené la démocratie dans les Balkans. Nous n’agissons pas par intérêt mais nous voulons un avenir meilleur pour nos enfants. »

Rappelant que la paix suppose non seulement le respect des droits politiques et civils mais aussi la « sécurité économique », le président américain a exhorté le monde à faire face au changement climatique et aider les pays pauvres. « Il faut tenter d’atteindre le monde tel qu’il devrait être, atteindre l’étincelle de divin qui est en chacun de nous », a lancé le chef d’Etat américain. « Nous pouvons comprendre qu’il y aura encore des guerres mais encore et toujours poursuivre la paix. Nous pouvons y arriver, c’est l’histoire du progrès humain. » Ovations de l’assistance.

Obama a défendu le concept de « guerre juste ». Il se prend pour saint Thomas qui, dans « La Somme Théologique », définit les principes d’une guerre juste : « Si la paix est l’objectif, la guerre est parfois justifiée », a-t-il insisté. « Avec le sang de nos citoyens nous avons oeuvré à un monde plus juste de l’Allemagne à la Corée. Nous avons amené la démocratie dans les Balkans. Nous n’agissons pas par intérêt mais nous voulons un avenir meilleur pour nos enfants. » « Même confronté à un adversaire qui ne respecte aucune règle, les Etats-Unis doivent rester la référence en matière de respect du droit dans la conduite de la guerre. »

On l’aura compris : Obama étend sa guerre juste à l’Afghanistan et au Pakistan.

« Il y a une semaine », écrit Barry Grey, « dans son discours de l’Ecole militaire de West Point, le président Obama cherchait à présenter son escalade de la guerre en Afghanistan comme un prélude à un retrait rapide des troupes américaines. Il est de plus en plus clair aujourd’hui que ce discours n’était rien de moins qu’un exercice visant à tromper la population. Mardi 8 décembre, le journal a rapporté qu’avant le discours d’Obama, son conseiller à la Sécurité nationale, le général James L.Jones, a rencontré le chef de l’armée pakistanaise et celui des services de renseignements et leur a dit qu’à moins que le Pakistan ne bouge rapidement pour étendre l’offensive militaire contre les insurgés au Baloutchistan et au Waziristan du Nord, « les Etats-Unis étaient prêts à agir unilatéralement pour étendre les frappes de drones Predator au-delà des zones tribales et, si nécessaire, recommencer les raids des forces spéciales d’opérations dans le pays contre Al Qaîda et les chefs talibans » (1).

« Dans un éditorial parsemé d’arrogance impérialiste et publié mardi, le Times a demandé que les Pakistanais « arrêtent de chercher à gagner du temps et se lancent pleinement dans le combat ». L’éditorial a poursuivi en déclarant qu’Obama se devait de persuader les Pakistanais que « les Etats-Unis seront là pour une longue période cette fois-ci ». On voit se dessiner un programme d’agression militaire américaine sans précédent pour transformer l’Afghanistan et le Pakistan en protectorats américains. C’est ce que signifie la récente déclaration du conseiller à la Sécurité nationale, Jones selon qui : « Nous ne quittons pas cette région. Nos intérêts stratégiques sont immenses en Afghanistan et à l’est de l’Afghanistan, au Pakistan... »

« (...) La guerre en Afghanistan n’est qu’une partie de la stratégie mondiale de l’impérialisme américain pour assurer leur domination sur une région où le pétrole et le gaz naturel abondent et qui est d’une importance géostratégique cruciale pour la suprématie sur le continent eurasien. Les conséquences de cette nouvelle aventure seront catastrophiques pour les peuples de cette région qui subiront d’innombrables morts, la dévastation sociale et l’oppression néocoloniale. (1) »

Voilà donc la personnalité à qui le Comité Nobel, présidé par le mystérieux Thorbjorn Jagland, a remis un prix censé être un prix couronnant un combat incessant pour la paix et non pour une guerre incessante. Si l’attribution du prix Nobel de la paix, écrit Thierry Meyssan, a donné lieu à un concert de louanges parmi les dirigeants de l’Alliance atlantique, elle a aussi suscité le scepticisme dans le monde. Plutôt que de débattre des bonnes raisons qui pourraient a posteriori justifier ce choix étonnant, Thierry Meyssan expose la corruption du Comité Nobel et les liens unissant son président, Thorbjørn Jagland, aux collaborateurs d’Obama. « Ce matin, en écoutant les nouvelles, ma fille est entrée et m’a dit : "Papa, tu es prix Nobel de la paix" » Telle est la touchante histoire que le président des États-Unis a raconté à des journalistes complaisants pour attester qu’il n’avait jamais souhaité cette distinction et en était le premier surpris. Sans chercher plus loin, ceux-ci ont immédiatement titré leurs journaux sur « l’humilité » de l’homme le plus puissant du monde. (2)

Pourquoi Gandhi n’a jamais eu le Nobel ?

« A vrai dire, on ne sait ce qui doit le plus surprendre : l’attribution d’une si prestigieuse distinction à Barack Obama, la mise en scène grotesque qui l’accompagne, ou encore la méthode utilisée pour corrompre le jury et détourner ce prix de sa vocation initiale. (...) Ainsi, Barack Obama aurait été le plus méritant des militants de la paix en 2008 et n’aurait commis aucune atteinte majeure au droit international en 2009. Sans parler des personnes toujours détenues à Guantanamo et Bagram, ni des Afghans et des Irakiens confrontés à une occupation étrangère, qu’en pensent les Honduriens écrasés par une dictature militaire ou les Pakistanais dont le pays est devenu la nouvelle cible de l’Empire ? » Il faut lire l’article de Thierry Meyssan pour comprendre les liens de l’administration avec le Comité Nobel, on ne sera pas alors surpris de cette attribution comme l’est Obama qui a beaucoup travaillé au Ghana avec le président du Comité Nobel...

Que penser alors de la politique de Obama si l’on se réfère à la non-violence de Gandhi qui a perturbé l’Occident au point de ne pas lui attribuer le prix Nobel ? « Dès que nous perdons la base morale, écrit Gandhi, nous cessons d’être religieux. » « Les paroles de Mahomet sont un trésor de sagesse, pas seulement pour les musulmans mais pour l’humanité entière. » « Je suis hindouiste, je suis aussi un chrétien, un musulman, un bouddhiste et un juif. »

Gandhi pouvait admirer les avancées technologiques et le bien-être économique que donnait la civilisation occidentale moderne, mais pointait également ses lacunes et les nouveaux risques et besoins qu’elle apportait à l’individu. Dans son livre Hind Swaraj or Indian home rule (Leur Civilisation et notre délivrance) où il fait la critique du développement et de la notion même de civilisation telle qu’idéalisée par la Grande-Bretagne et les Occidentaux, Gandhi montre que chaque progrès réalisé d’une part, correspond à une aggravation des conditions de vie, de l’autre, que la civilisation occidentale a laissé de côté la moralité et la religion, qu’elle a créé de nouveaux besoins liés à l’argent et impossibles à satisfaire, qu’elle accroît les inégalités et voue à l’esclavage une grande partie de l’humanité. Pour lui, ce type de civilisation est sans issue : « Cette civilisation est telle que l’on a juste à être patient et elle s’autodétruira. » Time Magazine a nommé Gandhi la « Personnalité de l’année » en 1930 et Gandhi fut derrière Albert Einstein comme « Personnalité du siècle » en 1999. Le magazine a désigné le dalaï-lama, Lech Walêsa, Dr Martin Luther King, Jr, Cesar Chavez, Aung San Suu Kyi, Benigno Aquino, Jr, Desmond Tutu et Nelson Mandela comme enfants de Gandhi et héritiers spirituels de la non-violence. Gandhi a été nommé en 1937, 1938, 1939, 1947 et 1948 au prix Nobel de la paix, mais sans jamais l’obtenir. Plus tard, certains membres du comité regretteront publiquement que le prix ne lui ait jamais été accordé. Le président du comité dira, au cours de la remise du prix au dalaï-lama en 1989, que le prix est remis en partie à la mémoire du Mahatma Gandhi.

Justement à propos de non violence à laquelle se réfère Barack Obama sans s’en inspirer, il es une autre cause non-violente :celle de l’indépendance d’un peuple symbolisé par une icône : Aminatou Haidar, qui est en train de s’éteindre inexorablement dans le hall d’un aéroport occidental : Lanzarote. Il est fort à parier Si le conflit du Sahara occidental intéressait l’Occident, si Aminatou Haïdar était par exemple, chrétienne, toutes les foudres du monde s’abattraient sur le Royaune chérifien. Aminatou Haidar ne remplit aucune de ces conditions, si ce n’est qu’elle veut être libre dans son pays. La militante des droits de l’homme, qui eut plusieurs distinctions, a été persécutée et réprimée par les autorités marocaines à plusieurs reprises. En 1987, alors âgée de 21 ans, elle a participé à une manifestation dont le but était de demander l’organisation d’un référendum pour l’indépendance du Sahara. Elle a alors été mise en détention dans la prison pour une durée de 4 ans. En 2005, elle a été condamnée par la justice marocaine à un séjour de 7 mois dans une prison à Laâyoune.

Pour les indépendantistes du Polisario, cette femme de 42 ans est assurément « la Gandhi sahraouie ». Une chose est sûre : Aminatou Haïdar, refoulée sans ménagement le 13 novembre de l’aéroport de Laâyoune - ville où elle habite avec ses deux enfants - en direction des îles Canaries, et, depuis, déclarée persona non grata au Maroc, est une militante déterminée.(...) La militante sahraouie est très affaiblie par ses 25 jours de grève de la faim. Elle a réaffirmé jeudi sa « revendication » de rentrer au Sahara occidental, « morte ou vivante, avec ou sans passeport », lors d’une conférence de presse à l’aéroport de Lanzarote. A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, elle a lancé « un appel urgent en faveur des droits de mon peuple, en faveur du peuple sahraoui ». Mme Haïdar « ne peut être laissée mourir à petit feu sur un territoire européen », écrit Mohamed Abdelaziz dans une lettre adressée à M.Sarkozy.

En 2008, l’Afsc, (Americain Friends Service Committee) a proposé sa nomination au prix Nobel de la paix. On l’aura compris, elle ne correspond au format en odeur de sainteté exigé par ces messieurs du Nobel. La lutte du peuple saharaoui est complètement escamotée au point de devenir un conflit oublié. Il est à craindre que la militante meure et l’Occident portera à la fois dans cette mort injuste pour la paix et plus largement, une responsabilité quant aux souffrances du peuple sahraoui depuis 1975. Ainsi va le monde façonné par l’impérialisme occidental.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1.Barry Grey - 9 Décembre 2009 http://www.wsws.org/articles/2009/dec2009/pers-d09.shtml

2.Thierry Meyssan : Le dessous du prix Nobel de la paix 2009 - Réseau Voltaire 13 octobre 2009

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