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Le livre de Michel Raimbaud sur la Syrie fracasse les mensonges

Impossible de parler de la Syrie sans être accusé d'être le complice attardé de Gengis Khan. Pourtant l'ancien diplomate Michel Raimbaud, dans une étude (avec distance et humeur) sur l'accumulation des mensonges qui sont tombés sur ce pays comme autant d'autres bombes, réussit à exprimer sa rage tranquille de façon lumineuse.

Soyons sûr que le mot « gauche » ne désigne plus rien qu’un chevron tordu, une pièce de bois quittant le droit pour le tordu. Car, pour ce qui est de l’idéologie ou de l’engagement politique, trouver un peu de gauche est aussi difficile que de la douceur dans un LBD. La preuve que le vocable est mort, c’est qu’au Parlement européen des députés de « gauche » viennent de voter un texte qui impose l’équivalence entre le nazisme est le communisme. La prochaine étape, c’est l’adoption d’une autre fantasmagorie appelant à l’interdiction de l’exposition de tout symbole ou emblème communiste dans l’ensemble de l’Europe. Très difficile dans cette ambiance de révision – par décrets – de l’histoire, d’évoquer le destin de la Syrie. Sans risquer la corde, le peloton ou pour le moins un stage de rééducation démocratique que le Parlement de Bruxelles ne va pas manquer de rendre obligatoire. Pourtant peu de mots pertinents ont été écrits sur le drame syrien. Je veux dire des phrases qui relèvent de la vérité des choses, de la sagesse et non baratin kouchnérien ou de l’analyse cousue main par les néoconservateurs de Washington. Macron n’étant dans ce dossier qu’un fonctionnaire d’exécution du Département d’Etat des États-Unis.

Casque lourd et gilet pare-balles, un honnête homme vient pourtant de mettre sa réputation en jeu en publiant un livre d’histoire. Histoire vivante sur les tombes de tant de morts, le héros est Michel Raimbaud et son Guerres de Syrie, aux éditions Glyphe. Un détail qui pour moi compte beaucoup, cet ouvrage est remarquablement écrit. Avec une plume trempée dans l’humour, qui est la politesse du désespoir. Ancien ambassadeur, longtemps diplomate en Syrie, Raimbaud a le grave défaut, pour les amateurs de l’histoire ready made, de parler de ce qu’il connait, jusqu’au fond, où l’on croise ses tripes.

En Raimbaud, n’imaginez pas l’un de ces pèlerins tendeurs de sébile, très souvent d’extrême droite, habitués de la visite à Bachar comme ma vieille mère le fût de la grotte de Lourdes. Pas du tout. Michel Raimbaud est un homme de Lumière et de progrès. C’est sans doute pourquoi l’histoire de Syrie, mise en pièces et reconstruite dans une mosaïque à l’envers, énerve gravement notre auteur. Si, pour dîner avec le diable, il faut une cuiller XXL, pour parler sereinement de la Syrie il faut une très longue rame à remonter le courant. Ou tenter de le faire. Soyons clair, Les guerres de Syrie est le contraire de ces bouquins qui viennent orner les rayons des bibliothèques vert de gris, moisies. Ici nous sommes avec Malraux en Espagne et non en compagnie de Brasillach sur le front de l’Est. C’est le pari de l’opus de Raimbaud, mais il est tenu.

Personnellement, si ma connaissance de la Syrie est modeste, celle du mensonge « néocon » est grande. Je l’ai éprouvé partout dans le monde investi par les conquêtes étasuniennes. Par exemple, pour en rester au proche XXe siècle, en Irak par l’agitation de la fiole de Colin Powell à l’Assemblée de l’ONU, les voleurs de couveuses pour bébés par Saddam, les cormorans mazoutés à Bassorah, dont les images provenaient de Bretagne. Ou au Kosovo sous les bombes de l’OTAN, qui ne tuaient que des méchants. D’expérience je sais que la première victime de la guerre est la vérité. Mais aussi que, même avec son pays dans un sale état, mais ayant survécu au choc de Daech (horreur inventée, crée par l’Occident), Bachar el-Assad sera à nouveau invité à la Maison Blanche. Si la nécessité pétrolière l’exige.

L’histoire racontée par l’érudit Raimbaud fait un saut rapide dans les siècles d’avant. Pour comprendre le présent, étudions le passé, quitte à en faire table rase. Ce début du livre nous rappelle que nier les temps qui ont constitué les grandes nations est une profonde bêtise, même si elle est étudiée à Harvard. Même Trump a fini par apprendre que l’Iran n’était pas la marque d’un jeu télévisé, mais celui d’un vieil empire. Et Bush, générateur de chaos, a su trop tard qu’avant le règne de Saddam l’Irak était la Mésopotamie, une mère de l’univers. Ainsi Raimbaud nous rappelle que la Syrie n’est pas une fabrique de savon, à Alep, mais un lieu où fut inventé l’écriture et, en musique, la première (à gamme à sept tons).

J’entends les quolibets et ressent le vent de tomates : est-ce parce que tout celà est né en Syrie que Bachar el-Assad est un homme fréquentable ? La réponse, je la retourne à tous ceux qui se précipitent aux colloques et aux « honoris causa » du criminel de guerre Henri Kissinger, à ceux qui rêvent de danser le tango avec Obama, assassin chic, mais de masse. Dans ce monde des maîtres on est toujours le criminel d’un autre. L’objet de ces Guerres de Syrie n’est pas de situer Bachar dans l’orchestre de notre fabuleuse démocratie... Mais de parler d’une vieille nation laïque avec ses fautes et surtout les attaques de ceux qui voulaient, au prétexte que leur printemps étaient aussi leurs Galeries Lafayette (avec tiroir-caisse), détruire un pays pour se partager les morceaux du puzzle. Après le pillage de la Libye, enrichissant Far-West, pourquoi pas le tour de la Syrie ? Le plan de destruction (pardon de remodelage) du Proche et Moyen Orient jusqu’au Maroc, étant depuis des années, dans les cartons de Washington. En fait, Rimbaud me fait penser à un tireur de ball trap : dès qu’un mensonge vole, il le flingue. Voilà le boulot de notre diplomate, trappeur de Pinocchio. Rigolo et sportif si le champ de tir n’était aussi de ruines, avec les morts entassés et pas tous « exterminés dans les prisons de Bachar ». Bien plus par les missiles démocratiques, ayant la valeur de ces coups de règles que les maîtres d’écoles distribuaient jadis sur les doigts des enfants turbulents. Donc des missiles pédagogiques. Peints de tricolore, de drapeaux étoilés, d’Union Jack où de bannières émiraties. Raimbaud nous montre la diplomatie (ou plutôt son absence) comme des armes de destruction massive.

Si vous voulez avoir honte avant les autres, pour ce que « monde libre » a fait à la Syrie, et lire un livre sans qu’il soit besoin d’en cacher la couverture derrière un portrait de Rafaël Glucksmann (évitant ainsi d’être conduit au commissariat de la Bien pensance), lisez Les Guerres de Syrie et nous serons alors plusieurs à ne pas mourir idiots. Avec son cauchemar d’un promeneur solitaire le camarade Raimbaud est un magnifique compagnon d’histoire.

Les guerres de Syrie, par Michel Raimbaud, préface de Philippe de Saint Robert, éditions Glyphe, 20 euros.

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