Les coopérateurs ont présenté hier les produits de la Scop-TI, dont un « 1 336 », référence au nombre de jours de lutte pour faire céder Unilever.
Marseille, correspondant. C’est jour de renaissance. Un an après l’accord conclu avec le groupe Unilever qui soldait 1 336 jours de lutte, les ex-Fralib constitués en coopérative Scop-TI (Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions) ont officiellement lancé hier leur nouvelle gamme de produits dans l’usine de Gémenos, près de Marseille. Les scoptistes ont voulu une présentation en présence conjointe de la presse et de ceux qui ont soutenu la lutte depuis le début. « On ne voulait pas que ces derniers l’apprennent par la presse », explique
Gérard Cazorla, ancien secrétaire du CE, désormais président de la nouvelle structure. À quelques minutes du lancement officiel, le syndicaliste prend un peu de temps pour faire le point : « Encore une étape, la dernière : celle de la pérennisation de la Scop. On est condamné à réussir, comme on se le répète. Si on décroche les volumes actuellement en discussion avec la grande distribution, on aura atteint l’objectif de la première année. On se donne deux, trois ans pour pérenniser. On veut démontrer que l’on peut faire autrement dans un pays capitaliste. » Pas une minute à perdre, direction le hangar. Les organisateurs du jour semblent à cheval sur le respect du timing. Quelqu’un demande à Raymonde : « Ça va ? » Du tac au tac : « Ah ben, oui... Regarde cinq ans en arrière. On était sur cette même pelouse et on pleurait. Pas pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui. »
Raymonde pleure, Raymonde rit
13 h 30, début officiel retransmis en direct par France 3 sur son site. Le « président » Cazorla et le « directeur » Leberquier (Olivier, ancien secrétaire du syndicat) se postent devant le pupitre entourés des coopérateurs. C’est à Marie Sasso, la « doyenne du conseil d’administration », que revient l’honneur du petit discours. On entend : « première victoire », « 1 336 jours de lutte pour sauvegarder un fleuron de l’industrie », « un nouveau défi de taille », « 58 coopérateurs », « nouvelle organisation plus humaine, moins hiérarchisée, où chaque voix compte. » « Le film de présentation à 13 h 36 », annonce Olivier Leberquier. Se lancent-ils dans l’horlogerie de précision, qu’ils se montrent si attentifs à chaque minute ? Salle sombre. Une coopératrice en habit de travail vert pose sa tête sur l’épaule d’un coopérateur en tee-shirt rouge. Ils se prennent par la taille. Le film dévoile les nouveaux produits. Premier d’entre eux : 1 336. 13 h 36... 1 336 jours de lutte. Son slogan : « Éveille les consciences. Réveille les papilles. » Le deuxième : Scop-TI, distribué dans les réseaux bio spécialisés. Son slogan : « Engagé sur l’humain. Engagé sur le goût. » Raymonde pleure. Raymonde rit. Leberquier : « Notre rêve, ce n’est pas de devenir milliardaires. C’est de faire marcher l’entreprise, de créer encore plus d’emplois. » Cazorla : « On a choisi une échelle des salaires de 1 à 1,3, de 1 600 à 1 900 euros, alors que pendant Unilever c’était de 1 à 210. » Leberquier : « Ça va être difficile mais on s’est facilité la tâche en éliminant ce qui coûte le plus cher : l’actionnariat. »
Pour la suite, il faut un laissez-passer : une blouse et une charlotte. On entre dans la zone de production. Fabrice, qui a signé son contrat le matin même, s’apprête à lancer la chaîne. 14 h 12, c’est parti. « En fait, on n’a jamais arrêté de travailler. Depuis le premier jour, on est dans l’usine et on entretient les machines », commente le « président » Cazorla. « On a des super machines, on a du savoir-faire. Aucune raison pour que ça ne marche pas », plaide Philippe. Une improbable boîte d’infusions pomme-olive passe devant nos yeux. Explication : nombre de salariés du site provençal, à l’instar de Leberquier, sont arrivés de Normandie après une restructuration interne à Unilever. Du pays du cidre à celui de l’huile d’olive. D’un coup réussi de la multinationale à un coup raté. Pomme-olive. Vous pourrez goûter le curieux mélange lors de la prochaine Fête de l’Humanité, la Scop-TI ayant déjà annoncé sa présence.
Des salariés ont résisté
« Heureuse et fière », Raymonde pose avec une boîte. 1 336, justement, le nom de la marque ne risque-t-il pas d’apparaître ésotérique ? « Pour ceux qui ont suivi notre lutte, cette marque permet de nous reconnaître, assure Gérard Cazorla. Pour les autres, eh bien, on leur explique. » Sur la tranche des boîtes de thé et d’infusion, on pourra, en effet, lire ceci : « Est-ce une date ? Un code secret ? La consommation annuelle de thé pour un Anglais ? Ce pourrait être tout cela à la fois mais c’est bien plus encore. 1 336, c’est l’équivalent de 3 années et 124 jours. Et c’est long ! Surtout quand il s’agit d’un bras de fer opposant une petite souris à un gros éléphant. À quelques kilomètres de Marseille, des salariés ont résisté pour conserver leur travail. Ce qu’on leur demandait ? De quitter la France pour la Pologne. Attachés autant à leur pays qu’à leur outil industriel, ces femmes et hommes ont donné de la voix tout l’été, puis le suivant, et encore le suivant, et, après 1 336 jours de refrain entêté, ont fini par l’emporter. Alors, oui, 1 336, c’est un nombre qui compte. Et c’est aujourd’hui le nom très symbolique d’une marque de thés et infusions natures et aromatiques 100 % naturelle, alliant caractère et subtilité et produite à Marseille par la soixantaine de cigales de la coopérative Scop-TI. 1 336, c’est nous, c’est vous, c’est faire le choix d’être un citoyen qui ose s’exprimer et veut faire bouger les lignes. »