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Le « frein a l’embauche », c’est le libéralisme par T. Coutrot, J-M Harribey, M.Husson.


Suivi de Modèles ou trompe l’oeil libéraux ?, par Michel Husson.


Juin 2005


Le 29 mai les Français ont clairement rejeté les politiques libérales porteuses de chômage et d’insécurité sociale. Pourtant, sans surprise, Dominique De Villepin vient de proposer un train de mesures qui aggravent ces politiques. L’idée de base : les « rigidités » et le code du travail seraient un frein à l’embauche. Le contrat « nouvelle embauche », réservé pour l’instant aux petites entreprises, réduit de façon inédite les garanties des salariés et accroît l’insécurité. De nouvelles exonérations sont accordées, cette fois pour alléger le « fardeau » des entreprises qui dépassent 10 salariés. La pression sur les chômeurs pour qu’ils acceptent n’importe quel emploi est renforcée.

Mais même l’OCDE le reconnaît : la démonstration n’a jamais été faite que la flexibilité du marché du travail réduisait le chômage. Au « modèle danois », de Villepin emprunte la flexibilité mais pas l’assurance chômage de haut niveau... En France on sait pourtant ce qui marche pour créer des emplois. Le « ticket gagnant » - croissance utile et réduction du temps de travail - avait commencé à fonctionner entre 1997 et 2001 (2 millions d’emplois créés), avant d’être relativisé par Jospin et abandonné par Raffarin. Il faut en premier lieu renouer avec une croissance fondée sur la satisfaction des besoins sociaux, et donc sur la création d’emplois socialement utiles. Santé, éducation, aide aux personnes âgées, logement, économies d’énergie, transports collectifs... nombreux sont les secteurs dont la « croissance utile » et non productiviste serait très créatrice d’emplois.

Comment financer cette nouvelle croissance utile ? D’abord par la relance de la consommation des couches les plus démunies. Alors que la santé financière des grands groupes est insolente au point qu’ils ne savent plus quoi faire de leurs liquidités, une forte revalorisation du SMIC, des salaires et des minimas sociaux s’impose. Il faut aussi relancer la consommation collective de services publics, par des programmes d’investissement massif dans les secteurs évoqués ci-dessus.

Il faut en second lieu accorder la priorité à la réduction du temps de travail, en commençant par l’étendre à l’ensemble des lieux de travail, qu’il s’agisse des petites entreprises ou du secteur public, puis en avançant vers les 32 heures. Il faudra bien sûr éviter les travers des lois Aubry : empêcher une nouvelle intensification du travail, favoriser des embauches proportionnelles à la RTT et réduire la précarité, notamment en ce qui concerne le temps partiel imposé aux femmes. Pour conduire le mouvement, il faudra un double contrôle venant à la fois d’en haut (la réglementation, notamment sur les heures supplémentaires) et d’en bas (l’intervention des salariés). Le caractère automatique des aides devra être supprimé et leur versement soumis au respect d’un certain nombre de critères portant sur les créations d’emplois et sur la qualité de ces emplois, sous contrôle des comités d’entreprise ou des organisations syndicales.

Il faut enfin s’attaquer réellement à la précarité au lieu de la renforcer sans cesse au nom de l’emploi. A la flexibilité généralisée, il faut opposer une véritable sécurité sociale professionnelle qui vise d’une part, à réunifier les contrats de travail aujourd’hui complètement éclatés, d’autre part à instaurer une continuité des droits sociaux, notamment en matière de rémunération. Défini au niveau national, pour éviter les surenchères vers le bas, ce système devrait s’accompagner de la mise en place de réseaux (locaux et au niveau des branches) incitant les entreprises à coopérer avec des organismes de formation ou les collectivités locales afin de préserver l’emploi à la fois d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Simultanément il importe de développer le droit de la « co-activité », ouvrant aux salariés des entreprises sous-traitantes les garanties statutaires (salaire, temps de travail, représentation syndicale, etc.) de leur donneur d’ordres et réduisant ainsi la propension de ces derniers à utiliser la sous-traitance pour contourner les règles de protection de la main-d’oeuvre.

Comment financer tout cela ? Les moyens existent : en prenant sur les dividendes des actionnaires et les rémunérations des dirigeants, en remettant en cause les exonérations inconditionnelles de cotisations, en taxant les revenus financiers, on dégage largement les 4 à 5 points de PIB nécessaires pour financer ces projets. La croissance retrouvée donne des marges de manoeuvre supplémentaires et permet même de réduire les déficits. On avance ainsi vers une société du temps libre, plus juste et solidaire, qui se débarrasse progressivement du chômage.

Le hic, c’est que tout cela suppose évidemment de modifier la répartition des revenus entre travail et capital. La montée du chômage a permis de faire reculer les salaires et progresser les revenus financiers, alors que l’investissement productif a stagné. Vouloir inverser la courbe du chômage sans toucher à la répartition des revenus est illusoire. Il faut prendre le problème par les deux bouts : d’un côté, financer l’augmentation des budgets sociaux par une refiscalisation des revenus du capital et par une progression du taux de cotisations sociales en phase avec les dépenses à financer ; de l’autre, permettre aux salaires d’augmenter en phase avec la production de richesses.

L’objection est évidente : la compétitivité serait mise à mal et on finirait par détruire des emplois au lieu d’en créer. Mais il ne faut pas confondre compétitivité et rentabilité financière : la politique proposée suppose un transfert des revenus financiers vers les budgets sociaux et les salaires, pas une perte de compétitivité. Les entreprises peuvent verser plus de salaires mais moins de dividendes, de façon à maintenir leur compétitivité-prix et leur capacité d’investissement.

Toutefois, il faut convenir qu’une telle politique ne prend tout son sens que coordonnée à l’échelle européenne. Le discours sur les « modèles » irlandais ou danois ne doit pas faire oublier que l’Union européenne recense aujourd’hui 20 millions de chômeurs, auxquels il faut ajouter la cohorte innombrable des « invalides », des préretraités, des « stagiaires » et des femmes contraintes au temps partiel. L’échec de la stratégie européenne pour l’emploi est patent, si tant est que son objectif était bien l’emploi et non la flexibilité. L’Allemagne, avec ses 5 millions de chômeurs, l’illustre bien.

Il faut donc renverser les priorités, de manière à faire passer l’emploi avant l’orthodoxie financière et monétaire. A l’échelle européenne, deux conditions sont impératives : la remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale et celle du Pacte de stabilité. Et deux axes spécifiquement européens doivent être mis en avant : il faut d’abord une augmentation très importante du budget de l’Union pour financer un plan de relance (transports ferroviaires, logement, économies d’énergie, etc.) à l’aide d’impôt européen sur le capital ou de taxes de type Tobin, et/ou par l’emprunt. D’autre part, pour avancer vers la mise en place d’une véritable Europe sociale, il faut édicter des normes dont la réalisation serait assurée par l’extension des fonds structurels, de manière à enclencher un processus de convergence « par le haut » qui permettrait le rattrapage des pays les moins développés. Plus généralement, il faut viser à des politiques coordonnées en matière de salaires (un régime de hausses de salaires au moins égales aux gains de productivité), de durée du travail (réduire la durée du travail dans tous les pays, de façon différenciée selon les besoins en matière de créations d’emplois), de protection sociale (assurer le nécessaire financement des retraites par répartition grâce à un ajustement permanent des cotisations ou prélèvements), de sécurité au travail et de conditions de travail. Si l’Union européenne commençait à réorienter ses politiques dans ce sens, il ne fait guère de doute qu’elle redeviendrait alors rapidement attractive pour tous ses peuples...

Thomas Coutrot, Jean-Marie Harribey, Michel Husson, économistes, membres du Conseil scientifique d’Attac.


Modèles ou trompe l’oeil libéraux ?


Projet de tribune envoyé au Monde, 7 juin 2005.


Pour enrayer le « déclin » français, il suffirait, nous disent les libéraux, de prendre exemple sur les modèles qui réussissent. Le taux de chômage s’est installé à 10 % en France, alors qu’il est passé en dessous de 5 % dans d’autres pays, et cela ne peut signifier qu’une chose : l’attachement au « modèle social français » et le refus des « réformes » seraient la source de tous nos déboires.

La première grande erreur de cette démonstration simpliste est de confondre baisse du chômage et capacité à créer des emplois. Entre 1994 et 2004, la France a créé 2,3 millions d’emplois, soit une progression de 10,5 %. Malgré une croissance pourtant supérieure de 0,8 point par an sur cette période, le Royaume-Uni n’a pas fait beaucoup mieux (+ 11 %) et le Danemark a fait nettement moins bien (+ 6,2 %). Pourquoi cette hiérarchie des performances d’emplois ne se retrouve-t-elle pas du côté du chômage ? La réponse à cet apparent mystère renvoie à l’un des rares points communs entre le Danemark et le Royaume-Uni. Dans ces deux pays, divers dispositifs ont permis de contenir la progression de la population active : préretraites, stages de formation et autres années sabbatiques pour le Danemark, désincitation des chômeurs à s’inscrire en tant que tels au Royaume-Uni - auxquels il faudrait ajouter le million d’« invalides » et les 60 % de femmes confinées au temps partiel aux Pays-Bas - ont freiné l’entrée des postulant(e)s sur le marché du travail. Le taux de chômage ne baisse donc pas en raison d’un plus grand dynamisme de l’emploi mais à proportion de son « traitement social »,qui s’accompagne de vertus statistiques. Il existe cependant une grande différence dans la manière dont les pays traitent leurs chômeurs : les dépenses pour l’emploi rapportées au nombre de chômeurs représentent environ 100 % du PIB par tête au Danemark, mais seulement 15 % au Royaume-Uni.

Toute analyse concrète des réalités nationales montre qu’elles sont bien plus complexes que ne le suggèrent les comparaisons impressionnistes et les emprunts sélectifs. Il est ainsi particulièrement absurde de se référer à la fois au Danemark et au Royaume-Uni, dont les « modèles » respectifs ont peu de choses en commun. Les libéraux ignorent superbement la cohérence globale de leurs « modèles », parce qu’ils voudraient avoir le beurre sans l’argent du beurre, en ne retenant que ce qui leur convient. Ce qui les intéresse par exemple dans la flex-sécurité danoise, c’est la flexibilité, autrement dit les licenciements faciles, mais pas le volet sécurité, qui coûte cher. Les prélèvements obligatoires représentent en effet 52 % du PIB en Suède et 50 % au Danemark, soit encore plus que les 45 % jugés insupportables en France. Certes, il en va autrement au Royaume-Uni mais le pays phare du libéralisme réserve d’autres surprises. Une bonne partie des emplois créés le sont dans les services publics, et le pouvoir d’achat du salaire y augmente bien plus vite qu’en France : 2,1 % par an contre 0,3 % au cours de la dernière décennie.

Les libéraux devraient donc réfléchir avant de monter en épingle les succès relatifs de quelques petits pays : avec ses 20 millions de chômeurs recensés, auxquels il faudrait ajouter les cohortes de stagiaires, de préretraités, d’invalides et de femmes contraintes au temps partiel, l’Union européenne n’a pas de quoi pavoiser. La stratégie européenne pour l’emploi est en réalité un échec manifeste (si tant est que l’on prenne au mot sa volonté de créer des emplois). Les orientations libérales se sont constamment heurtés à quelques faits décidément têtus : 1) c’est dans les pays où la croissance a été la plus élevée que le taux de chômage a reculé de la façon la plus nette ; 2) ce sont les pays où la « modération salariale » a été la plus marquée qui ont enregistré une croissance moindre, et donc créé moins d’emplois ; 3) la législation protectrice de l’emploi n’est pas la cause du chômage : dans ses dernières Perspectives de l’emploi , l’OCDE vient même de découvrir qu’elle ... protège l’emploi, remplissant ainsi « l’objectif pour lequel elle a été conçue ».

L’examen raisonné des modèles invoqués par les libéraux permet a contrario de pointer les éléments d’une stratégie optimale pour l’emploi : une politique économique favorable à une croissance soutenue ; une progression adéquate des salaires ; des budgets sociaux permettant la création d’emplois publics ; sans oublier, n’en déplaise au Medef, une bonne dose de réduction du temps de travail qui commencerait par étendre les 35 heures au PME. Il s’agirait au fond de prendre l’exact contre-pied des orientations suivies en Allemagne qui conduisent déjà à un désastreux taux de chômage à 12 %.

Il semble pourtant que la « bataille pour l’emploi » engagée par le nouveau gouvernement va se borner à mettre en musique les rapports ultra-libéraux qu’il garde sous le coude, et qui préconisent tous une attaque frontale contre le droit du travail. La première idée est de créer un nouveau contrat de travail qui fusionnerait par le bas CDI et CDD (Camdessus). En évoquant explicitement un contrat de mission « autour de projets, à l’horizon de quelques mois, ou quelques années », le rapport de Virville indique clairement que l’objectif est une précarisation supplémentaire de l’emploi. La seconde idée est d’instituer une « taxe sur les licenciements » (Cahuc-Kramarz) : en échange d’une contribution modeste - sinon où est l’intérêt ? - les patrons seraient débarrassés de toutes les « rigidités » en matière de licenciements.

En ventriloque du patronat, la nouvelle ministre au commerce extérieur, Corinne Lagarde, a parfaitement résumé cette orientation en proclamant que le droit du travail était un « frein à l’embauche ». Toutes les références convenues aux fameux modèles ne sont que des prétextes qui visent à légitimer une nouvelle vague de régression sociale. Derrière les argumentaires bricolés et le discours sur le « déclin », on voit pointer la véritable frénésie anti-sociale d’un gouvernement aux abois, qui n’a pas d’autre « plan B » que la fuite en avant. Après les cent jours, Waterloo ?

Michel Husson

 Source : http://hussonet.free.fr


Union européenne : les lobbyistes politiques contre toute transparence, par Jean Shaoul.



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