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"Le capitalisme à l’agonie"... et après ?

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, analyse dans son nouvel ouvrage "Le capitalisme à l’agonie" comment notre système économique court à sa perte. Et propose ses solutions. Interview.

Le capitalisme est-il vraiment à l’agonie ? Les capitalistes en tout cas se portent bien...

Paul Jorion : Au début des années 1930, aussi, la Bourse allait soudain beaucoup mieux. C’est un effet de surface. On a déplacé des sommes énormes des Etats vers les banques. Ce n’est donc pas un miracle si elles vont mieux. Mais rien n’a changé. La concentration de patrimoine est encore pire en 2011 qu’en 2008. Les banques continuent de créer de nouveaux produits dérivés, le high frequency trading se porte mieux que jamais. Le système en arrière plan est aussi fragile que juste avant la crise. On le voit aujourd’hui avec la crise de la dette des Etats en Europe, qui est loin d’être réglée.

Le capitalisme a déjà connu des crises, qu’il a su surmonter...

Oui. Dans les années 1930, c’est Keynes qui a sauvé le capitalisme en mettant la priorité sur le plein emploi, seule antidote à la déflation et à la surproduction. La Chine peut encore miser sur cela. Mais dans les pays développés, l’informatisation et la hausse de la productivité sont telles qu’il n’y a tout simplement pas assez de travail pour tout le monde. On parle aux Etats-Unis du "new normal" en matière de chômage. On n’aura plus jamais des taux de chômage en dessous de 5%. Et pourtant, on a encore besoin de travail pour tirer des revenus pour vivre...

Le capitalisme pourrait donc disparaître, comme le prédisait Marx ?

Marx se distingue effectivement des économistes modernes car il est le seul à envisager la possibilité que le capitalisme puisse disparaître. Là où nos visions diffèrent, c’est sur l’analyse des causes de sa disparition. Marx l’explique par une baisse tendancielle du taux de profit. Or on constate aujourd’hui qu’au contraire les taux de profits augmentent fortement. La fragilité du capitalisme vient à mon avis plutôt de déséquilibres profonds qui ont à voir avec l’absence des ressources là où elles sont nécessaires, absence qui entraîne la croissance du crédit, qui entraîne à son tour la concentration du patrimoine. Car ceux qui ont de l’argent "en trop" le prêtent en échange d’intérêts à ceux qui en ont besoin pour consommer. Ce qui fragilise l’économie. En effet, d’un côté les riches cherchent à placer leur excédent d’argent et se consacrent à la spéculation tandis que les ménages les moins fortunés entrent dans une spirale de surendettement.

Par quoi le capitalisme pourrait-il être remplacé ?

Marx imaginait que le système serait remplacé par une dictature du prolétariat puis un système sans classe. C’était une utopie, dont les tentatives d’application ont - on pouvait le craindre - été catastrophiques. Je ne sais pas ce qui viendra après. Pour le moment rien de précis ne se dégage. Mais nous sommes dans une période d’intense réflexion pré-révolutionnaire, comme en 1788... Je ne considère pas pour autant qu’il soit nécessaire d’en passer par une révolution pour tout remettre à plat : à la veille de sa mort, Saint-Just pensait que la violence révolutionnaire aurait pu être évitée si l’on avait mis en place sans tarder de nouvelles institutions.

Par où peut-on commencer ?

Il faut empêcher la concentration du patrimoine et non pas la permettre pour ensuite tenter de récupérer des miettes par des politiques fiscales. Il faut donc taxer le travail le moins possible tout en taxant fortement les revenus du patrimoine ainsi que le patrimoine lui-même. Mais empêcher la concentration du patrimoine et le recours au crédit qui va avec passe aussi par l’augmentation des salaires.

Jean Claude Trichet disait justement qu’il ne fallait surtout pas augmenter les salaires...
C’est parce qu’aujourd’hui, quand un dirigeant d’entreprise augmente les salaires, il répercute ce coût sur les prix à la consommation. Il y a donc risque d’inflation. Mais il pourrait très bien ne pas toucher au prix et compenser la hausse de salaires en baissant la rémunération des dirigeants et des actionnaires. Seulement ça, c’est complètement tabou.

Le G20 tente quand même d’impulser des réformes pour éviter une nouvelle crise...
Sur certains points, le G20 va dans le bon sens. Sur la réforme du système monétaire international, cela va prendre du temps, mais on semble enfin se diriger vers un système plus équilibré. La volonté de Geithner d’instaurer des limites à l’excédent ou au déficit de la balance courante de chaque pays est bonne. Elle s’inspire du système du Bancor préconisé par Keynes : le pays qui importe trop est obligé de dévaluer sa monnaie et à l’inverse celui qui exporte trop doit l’apprécier.

Constatez vous aussi des progrès en matière de régulation financière ?

Pas du tout. Les économistes et des régulateurs ne cessent de répéter que la transparence résoudra tout. L’idée étant qu’avec une bonne transparence, il n’y a pas besoin de réguler. Ils s’accrochent encore à cette théorie complètement fausse de l’anticipation rationnelle des marchés. De toute façon, que la théorie soit fausse ou pas, cela ne change rien au fait que les financiers n’accepteront jamais qu’il y ait vraiment de la transparence puisque c’est grâce à l’opacité, grâce à l’asymétrie d’information, qu’ils réalisent des profits. Les dark pools ont par exemple été créés expressément pour permettre aux gros investisseurs d’agir dans l’ombre et d’empêcher les courtiers de placer leurs propres ordres avant les leurs et les petits intervenants de se placer dans leur sillage. Et il n’est pas question de supprimer ces dark pools.

Une réforme efficace de la finance commencerait par faire une chose : interdire le foyer-même de la spéculation, ces paris sur les fluctuations de prix qui font circuler du capital en circuit fermé, entre gagnants et perdants d’un pari. Non seulement cet argent n’est pas disponible pour la consommation et la production dans l’économie réelle mais la spéculation génère aussi un risque systémique en créant de longues chaînes de créanciers interdépendants. Enfin, elle pénalise de manière injustifiée les producteurs quand le prix spéculatif est exagérément bas, et les consommateurs quand il est exagérément haut.

http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-capitalisme-a-l-agonie-et-apres_250748.html

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