Un homme, une cause et un destin
« Donnez-nous vos avions et nous vous donnerons nos bombes » (Larbi Ben M’hidi).
« Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège.. et écoute aujourd’hui jeunesse de France ce qui fut pour nous le chant du malheur, c’est la marche funèbre des cendres que voici..(...) ». (André Malraux Discours pour le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon).
Gare au terrorisme à bas coût ! C’est par ces mots que Boualem Sansal qualifie le terrorisme islamique à qui il trouve une analogie avec la Révolution algérienne. Réduire une glorieuse révolution, fruit d’une condition sociale abominable imposée par la France, à un acte abject d’un pschychopathe qui a fauché la vie de dizaines de personnes à Nice le 14 juillet. Il écrit : « Chaque terroriste a besoin d’inventer son mode opératoire à lui, qui sera sa signature et produira l’effet le plus important pour le coût le plus bas. Ce fut l’attentat à la bombe dans des cafés phares de la capitale, très courus par la bourgeoise algéroise (le Cafétéria, le Milk-Bar, L’Otomatic, le Coq Hardi), commis par de jeunes Algériennes se faisant passer pour des Européennes délurées ».(...) On a envie de crier je suis la France’’, je suis Nice’’ pour dire sa peine et sa solidarité. » Les mots de Sansal ne sont pas gratuits, ils sont là pour apitoyer et dire en creux sa proximité. Je n’ai toujours pas compris à quoi cela correspondait les Je suis... surtout quand on sait que derrière chaque attentat il y a une manipulation, bref une opération sous faux drapeau. Personne ne disait : « Je suis Alger quand l’Algérie saignait... »
L’éloge sincère de la révolution
Pourtant, il fut une époque où vous témoigniez du respect non feint pour le pays qui vous a vu naître. Dans un de vos ouvrages, lucide vous écriviez avec sincérité à propos de l’Algérie et de sa révolution. Vous sembliez fier de l’Algérie de cette époque, avant que l’intégrisme ne la rattrape : « (...) Socialiste, révolutionnaire, tiers-mondiste, matérialiste jusqu’au bout des ongles, que partout dans le monde progressiste on appelait avec admiration ’la Mecque des révolutionnaires’’, qui recevait quotidiennement et avec quelle ferveur les héros de ce temps, les Cubains Che Guevara et Fidel Castro, affectueusement surnommés ’los barbudos’’, le légendaire général Giap, le vainqueur de la déjà mythique bataille de Diên Biên Phu, Gamal Abdel Nasser, le champion du panarabisme triomphant, Mehdi Ben Barka, le Marocain panafricaniste activement engagé dans la révolution tricontinentale, Mandela, qui un jour abattrait l’apartheid et serait le premier président noir de l’Afrique du Sud, les Black Panthers, dont le célèbre Eldridge Cleaver, et les Black Muslims, et des personnages sulfureux et excitants comme Ilitch Ramírez Sánchez, dit « Carlos », ami inconditionnel de nos frères les Palestiniens de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) que l’Algérie soutenait avec une passion intensément anti-impérialiste, anticolonialiste et antisioniste. Il y avait tous ceux qui avaient courageusement soutenu les révolutionnaires algériens pendant la guerre d’Algérie, et parmi eux ceux qu’on appelait les « porteurs de valise », qui acheminaient en Suisse l’argent collecté en France par le FLN auprès des travailleurs émigrés. Tous ces gens venaient à Alger chercher refuge, solliciter des subsides, s’initier auprès du FLN à l’art de la lutte révolutionnaire, ou simplement respirer l’air romantique d’Alger la Blanche et faire la fête entre militants de la cause des peuples opprimés, les guerriers doivent aussi se reposer. (...) l’armée algérienne était dirigée par des hommes qui avaient fait une guerre révolutionnaire contre la France et ne manquaient ni de technique ni de détermination. C’était en janvier 1991. Le pays entrait dans une guerre civile qui allait durer une douzaine d’années. Le monde entier a suivi cette barbarie qui au fil des mois prenait des allures de génocide, mais jamais personne n’est intervenu, ni le Conseil de sécurité, ni un quelconque État. »
Les faux-fuyants de Boualem Sansal
Boualem Sansal est allé chercher un exemple dans la tactique de guérilla urbaine qu’était la bataille d’Alger pour suggérer au gouvernement français la méthode dure utilisée par les généraux tortionnaires contre les vaillants combattants pour la Libération nationale. Il reprend insidieusement une sémantique que même les militaires français ont fini par abandonner depuis fort longtemps : comparer les compagnons de Larbi Ben M’hidi aux faux dévots et autres ayatollahs de la mort est une démarche aussi hasardeuse que malheureuse. (...) Sollicité par El Watan pour s’exprimer après les critiques suscitées par sa tribune, Boualem Sansal ne répond pas sur le fond. Il adopte une attitude victimaire, criant à la persécution. Il en fait sa ligne de défense. (...) L’écrivain qui, souvent, dans ses interventions médiatiques, exprime du mépris pour l’Algérien, le maintenant dans l’« indigénat » intellectuel - comme en témoigne son interview accordée au Monde, en juin dernier. » (1)
Maâmar Farah avec des mots simples tente de convaincre Boualem Sansal qu’il ne faut pas toucher aux icônes, aux invariants : « Notre fond commun, le point de départ et la source restaient la Révolution armée, toujours sacralisée. Nos héros étaient solidement assis sur de fermes convictions, que nous pensions inébranlables. Nous nous risquions même à travestir légèrement la réalité, à faire pousser un peu la démagogie, à montrer les nôtres sous le meilleur jour, parce que nous avions la certitude d’agir pour le bien de ce pays, pour que les générations montantes ne soient pas démoralisées (..) qu’il ne fallait donc pas les descendre de leur piédestal. Maâmar a eu raison de rappeler la loi Gayssot qui inflige une amende à tous ceux qui osent faire bouger un cil s’agissant de la shoah. « Nous sommes, écrit-il, contre les censures et les anathèmes, mais nous devons fraternellement lui rappeler que, même là où il vit, la loi républicaine protège le martyre du peuple juif et toute l’histoire héroïque de la résistance contre le nazisme. » Et le comble de tout est que vous l’évoquez en citant la glorieuse ’bataille d’Alger’’ qui fut un grand moment de la lutte héroïque de notre peuple et une référence mondiale dans l’art de la guérilla urbaine. Quand ils se sont retrouvés coincés dans les villes irakiennes, les Etasuniens ont projeté La Bataille d’Alger pour savoir comment agissent les cellules dormantes et celles qui ne dorment jamais ! C’est cette grandeur, ce monumental exercice de la guerre d’indépendance, que vous avez tenté de rabaisser. » (2)
« Assimiler les couffins de Zohra Drif, Djamila Bouhired et Hassiba Ben Bouali, écrit Saïd Rabia, aux terroristes de Nice est un raccourci, le moins que l’on puisse dire, indécent. Larbi Ben M’hidi, un des chefs emblématiques de la Révolution, avait opposé cette cinglante réplique, restée dans les annales, à ce genre de condamnation à un journaliste français qui lui avait posé une question sur le ’terrorisme’’ pratiqué par le FLN lors de la bataille d’Alger : « Donnez-nous vos chars et vos avions, nous vous donnerons nos couffins. » Pour Boualem Sansal, la bataille d’Alger est donc une somme d’actes de terrorisme contre un gentil colonialisme. Qu’est-ce qui lui a pris pour oser un tel parallèle ? Ce n’est assurément pas les outils intellectuels qui manquent à l’écrivain pour faire la différence entre le mouvement de Libération nationale et les terroristes de Daesh. Sa contribution, qui prétend être une explication aux nouvelles méthodes du terrorisme de Daesh, s’aventure aux limites du révisionnisme. Faire le parallèle entre les héros de la bataille d’Alger et les terroristes de Daesh est une contrevérité que rien ne justifie. » (3)
Faut-il déchoir Monsieur Sansal de la nationalité algérienne ?
Nous ne crierons pas avec les loups et faire de monsieur Sansal un persécuté, voire un martyr. De ce fait nous ne sommes pas d’accord sur la déchéance proposée dans un accès de colère compréhensible au vu du préjudice moral à toute une nation. Ainsi : « Des juristes affirment qu’il n’est point exclu de voir l’écrivain Boualem Sansal, déchu de sa nationalité pour deux erreurs jugées très graves. La première étant de s’être rendu en Israël dans une démarche en faveur de la normalisation culturelle avec l’Etat sioniste et ainsi que la comparaison de l’attentat terroriste de Nice en France à la bataille d’Alger. Le juriste ajoute que cela pourrait être jugé comme grande trahison qui est passible d’une condamnation à perpétuité ou condamnation à mort ainsi que d’une déchéance de nationalité. Le président de la Commission des droits de l’homme plaide à ce que Sansal soit déchu de sa nationalité, estimant que les procédures juridiques seront faciles du fait que ce dernier détient une autre nationalité. » (4)
Les bonnes grâces des puissants
Avec une rare lucidité, l’urbaniste Abderrahamane Zakad donne quelques leçons à tout ceux qui font dans le bashing d’Algérien à longeur de journée. Il écrit : « (...) Boualem Sansal a écrit un texte dans L’International Herald Tribune, texte repris par Le Monde du 13 juillet 2013. (...) Tu devrais mieux te contenir à écrire des romans au lieu de te lancer dans des considérations politiques qui te dépassent, en plus invérifiables autant par toi que par nous. A moins que tu pointes aux officines ou chez Enrico Macias, un autre embobineur chez qui certains artistes algériens vont faire une « ziara » sous couvert de « malouf ». Quel Algérien ne sait pas que nous avons des problèmes, que nos institutions boitent, que la justice n’est pas efficace ou sous les ordres et que le doute s’installe ? Pourquoi ce tollé sur la corruption sans cesse rabâchée alors qu’il n’existe aucun tollé pour la combattre ? Aide-nous, ya si Boualem Sansal, à régler nos problèmes au lieu de t’atteler à toujours nous insulter de Paris. (...) C’est le rôle d’un homme de culture d’aider les autres au lieu de leur taper dessus à coups d’hypothèses. Quel Algérien également ne sait pas que notre pays est en danger avec ce qui se passe à nos frontières et elles sont immenses ? (...) C’est de cela qu’il convient de parler, toi qui veut monter sur la scène. (...) Voilà de quoi il faudrait parler. Mais ayant trop tété à la mamelle de la littérature coloniale, ton esprit est embué par les métastases de la colonisation dont parle Frantz Fanon. Si tu veux parler ou écrire viens ici, petit ! Viens vivre avec nous où tu peux dire ce que tu veux, sinon, boucle-la ! » (5)
Enfin, pour Khidr Ali cette provocation du point de vue des Algériens, n’est pas gratuite il y a un message de son auteur, à passer : « Boualem Sansal écrit-il est un écrivain algérien qui aime cultiver le sens de l’iconoclastie, de la provocation, pour exister. (...) A son retour d’Israël, il avait commis un papier dans lequel il décrivait le « bonheur » des Palestiniens vivant en Israël, un pays qu’il présente comme un exemple de démocratie et de vivre ensemble A le suivre dans son faux parallélisme, les Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Ourida Meddad, Djouher Akrour, qui déposaient les bombes dans les quartiers européens, dans le cadre de la quête de l’indépendance du pays, ne seraient pas moins coupables que le désaxé-criminel de Nice. Quel outrage pour la mémoire des héros éternels de la bataille d’Alger ? Du révisionnisme ? (...) Le terroriste tunisien, pris de fanatisme démentiel a écrasé sous les roues d’un camion des dizaines de personnes. Boualem Sansal a fait pire en l’occurrence, il a souillé la mémoire de la Révolution algérienne et la noblesse de sa cause. » (6)
Pas de procès en sorcellerie
Pourquoi le choix de l’Algérie comme exemple pour le terrorisme ? Vous auriez pu aussi dans le même mouvement d’honnêteté intellectuelle prendre comme exemple le terrorisme. Pourquoi ne pas dire que Jean Moulin, dirigeant des Forces françaises libres, un révolutionnaire qui usa de tous les moyens dont il disposait pour contrer la puissance allemande, était un terroriste ? Doit-on leur rappeler d’où vient le mot terreur et comment Victor Hugo a décrit cette période tragique dans son célèbre roman Quatrevingt-treize ? Doit-on leur rappeler les mots de "La Marseillaise" de Rouget de l’Isle « Aux armes citoyens, Formez vos bataillons, Marchons, marchons, Qu’un sang impur Abreuve nos sillons » ? Monsieur Sansal connaissez-vous "Le Chant des partisans" de Joseph Kessel que nous ânonnions tout loupiot au lycée « Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ? Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. Ohé ! Les tueurs à la balle et au couteau, tirez vite ! Ohé ! Saboteur, attention à ton fardeau : dynamite ! » N’utilisaient-ils pas les mêmes méthodes ? L’attentat de la rue de Thèbes fait par des terroristes européens et qui ensanglanta la Casbah ? Ce n’était pas du terrorisme ! Le plasticage de la maison où étaient cachés Ali la Pointe, Petit Omar et Hassiba Ben Bouali n’était-ce pas du terrorisme ? Comment peut-on qualifier l’assassinat de Ben M’hidi ou l’exécution par la guillotine de dizaines d’Algériens ? N’était-ce pas du terrorisme ?
En cautionnant la colonisation israélienne en Palestine, en visitant l’Etat hébreu quelque part complice de la politique inhumaine à l’encontre des Palestiniens. S’il était parti en Israël pour porter la bonne parole pour la juste cause comme ce fut le cas des écrivains israéliens Gédéon Levy, Uri Avnéri et tant d’autres Israéliens qui font de la défense de la dignité humaine à propos du calvaire palestinien. S’il est des domaines où il faut féliciter Israël pour ses prouesses scientifiques s’agissant de l’apartheid en Israël concernant les Palestiniens, il n’y a pas photo.
Souvenez-vous, Monsieur Sansa,l de ce postulat en mathématiques cher au professeur Aoudjehane : « Pour qu’un produit de facteur soit nul, il faut et il suffit qu’un facteur soit nul », en l’occurrence vous avez annulé en une fois tous les facteurs positifs, et pourquoi ne pas le dire, quelque fierté qu’un Algérien maîtrise la langue de Vauvenargues ? Quelle mouche vous as prise de problématiser les rares fondations Arka¨z pour reprendre le bon mot de Lacheraf auxquels les Algériens s’accrochent comme à une bouée, devant cette anomie identitaire les pouvoirs n’ont jamais voulu mettre en oeuvre un récit national fait certaines fois de mythes, pour éviter aux jeunes cette apesanteur identitaire. Monsieur Sansal, en traitant Larbi Ben M’hidi - à qui même son tortionnaire le général Bigeard a tenu à présenter les honneurs- de terroriste banal comme le psychopathe de Nice qui n’a rien à voir avec l’islam, vous avez tort. Je vous reproche peut-être à votre corps défendant d’avoir problématisé le récit historique du pays qui vous a vu naître. S’il vous plaît monsieur Sansal laissez-nous avec nos rêves, notre fond rocheux identitaire avec la glorieuse révolution de Novembre. Je suis sûr que si vous en faites un motif de fierté, vous allez avoir la reconnaissance des Algériens et le vrai respect de ceux qui ont combattu les Algériens. Par votre comparaison maladroite, c’est une seconde mort pour nos icônes, mais rassurez-vous, ils sont immortels : dans mille ans on racontera encore leur épopée dans les chaumières. Ils auront quitté le récit historique pour le mythe.
Chems Eddine CHITOUR