« Les Etats-unis et l’Etat israélien ne sont pas dans le système international, ils sont au-dessus. Surplombant les nations, ils sont prêts à être les porteurs de la Loi. » (1)
Résister
Puisque certains mots ne peuvent plus voler d’olivier en olivier sans être pourchassés...épiés.
Puisque ils ne peuvent plus se promener sans être interrogés...Déshabillés.
Puisque, de peur d’être mal compris, ils chuchotent...
Je parle des mots qui, en file indienne et avec sagesse, suivent le couple (peuple palestinien ; Etat d’Israël).
Bien sûr, en évoquant ce couple, la raison s’impose. Aussi, les mots ne peuvent pas en parler sans faire un voyage dans le passé. C’est ainsi que sur le chemin du retour, ils rencontrent : déclaration, Balfour, accords, Sykes-Picot, colonialisme, partage, territoires, foyer national, sionisme, terre, peuple, mythe, guerre, existence...Dieu. (2)
Pour faire court, on ne peut pas disserter sur ce couple avec justesse sans ce retour dans le passé. Car un corollaire juste ne peut naître d’un faux théorème.
Toujours est-il, à peine peuple, palestinien, Etat, Israël prononcés que les mots qui suivent sont pesés, soupesés...Et soupçonnés. Et si par hasard le verbe dénoncer accompagne les mots Etat et Israël alors on fera dire à tous les mots qui accompagnent ce verbe, ce qu’ils ne veulent pas dire mais ce qu’on désire qu’ils disent afin que le mal fait au peuple palestinien devienne, somme toute, nécessaire au regard de l’abominable génocide de la population juive d’Europe...Afin qu’une prison à ciel ouvert transformée en un cimetière, devienne un paradis, comparée à l’enfer des camps de concentration. C’est pour cette raison que face au mot Résistance se dressent les mots antisémitisme, terrorisme.
Mais ces mots utilisés pour étouffer la vérité ne peuvent assécher le sang des enfants qui arrosent la terre palestinienne.
Et face à ces mots utilisés par les Puissants de ce monde pour empêcher la Palestine de vivre, certains mots résistent dans la poésie pour chanter et pleurer la souffrance du peuple palestinien. Comme dans le poème, « Passants parmi des paroles passagères » (3), de Mahmoud Darwich :
« ...Vous qui passez parmi les paroles passagères
Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang
Vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair
Vous fournissez la bombe lacrymogène, nous fournissons la pluie
Mais le ciel et l’air sont les mêmes pour vous et pour nous
Alors prenez votre lot de notre sang, et partez... »
Ou dans les contes, comme celui de Ghassam Kanafani :
« ...Mais les larmes D’Om Saad étaient différentes. Elles me donnaient l’impression de jaillir d’une source desséchée. Je restai, debout, immobile, devant cet œil brillant qui résistait. Non je n’avais jamais vu personne pleurer comme Om Saad... » (4)
D’autres mots se réfugient dans le silence, la colère ou alors, résistent clandestinement dans les labyrinthes. Ils résistent face aux mots civilisés qui, même vides de sens, sont acclamés comme porteurs de vérité et de sagesse.
Ou dans l’histoire suivante :
Arraché, le rameau d’olivier meurt, la paix aussi
Il était une fois dans leur propre maison occupée par un puissant étranger, un homme blessé, à terre, sa femme à genoux, les enfants sans nourriture et sans jouet pour tromper la faim.
L’étranger, accompagné d’un soldat, a décidé de démolir la maison.
Certains proches voisins ont tourné le dos pour ne pas voir la scène. Complices, sans aucun doute !
Tandis que de puissants amis de l’occupant, se considérant maîtres de la terre et du ciel, incarnant le bien, comme ils disent, s’imposèrent en tant que juges.
S’appuyant sur le postulat que la maison fut « promise par Dieu à l’occupant », ils affirmèrent que la famille de l’homme blessé n’est que simple locatrice. Elle doit quitter la maison !
Un postulat qui a perturbé même l’arrière-grand-père de l’occupant qui s’interrogea en ces termes : « Certes Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’ici , c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ? » (5)
Foin de culpabilité, un postulat est un postulat ! Aux juges de trouver une solution.
Sans hésitation, ces derniers répondirent :
– On veut bien trouver un refuge à la famille mais il faut tout d’abord que le chef de famille se soumette au verdict qu’on va prononcer en tant que juges.
Le père de famille protesta en affirmant, à juste titre :
– Ma terre que je cultivais, appartient à celui qui m’emprisonne. Les oliviers déracinés sont témoins que ceux sont mes ancêtres qui prenaient soin d’eux. Je n’ai plus que ce rameau d’olivier desséché, accroché au-dessus de la cheminée. Témoin de ce que j’affirme.
– Le passé est le passé. Il faut regarder vers l’avenir. Répondirent les juges.
Comme preuve qu’un supplément d’âme les habitent, ils ajoutèrent :
– Nous allons mettre en place une feuille de route qui définira les conditions de la présence de ta famille en attendant de vous donner le statut de réfugiés dans une autre contrée. Nous allons demander au Garant du droit sur terre d’envoyer un médecin pour soigner ta blessure. De la nourriture pour calmer la faim des enfants.
Le père de famille, tout en modérant la colère de ses enfants, accepta le ’’deal’’, comme on dit.
On l’aide à se relever. On dresse une table. On l’assoit face au miroir où apparaît l’image de l’occupant, debout, derrière le soldat. Tous les badauds attendent l’heureux événement : la signature pour effacer de la mémoire, l’injustice.
Mais avant la signature, les juges écoutèrent les conditions de l’occupant.
Ce dernier les exprima, sans état d’âme en des termes sans équivoque :
Il n’est pas question que l’aîné expulsé - réfugié dans un autre village - revienne vivre ici.
Le ruisseau ainsi que le champ m’appartiennent.
Enfin, le lieu de prière, situé à l’est de la maison, sera placé sous mon autorité.
En entendant ces conditions, la mère tenta de se relever, griffa le soldat, fusil aux poings. La colère a envahi les enfants ; ils ne verront plus leur grand frère et n’iront plus jouer, se promener, se baigner dans le ruisseau. Ils comprirent qu’ils vont vivre dans une prison à ciel ouvert.
Devant la révolte de la mère et des enfants, le père finit par refuser de signer.
Ainsi l’occupant avec son marteau piqueur commença à fissurer le toit, à creuser des trous dans le mur pour rendre la vie impossible dans la maison.
Devant les protestations de la famille, l’occupant et les juges accusèrent le père de famille d’être sans autorité ; la mère et les enfants de terroriser le soldat.
Quant aux badauds qui regardaient la scène, leurs propos réconfortèrent l’occupant puisque, tous en chœur, ils affirmèrent :
– Tout modéré qu’il est, le père n’a pas d’autorité. Il n’a pas saisi l’occasion que lui a offerte celui qui ne fait que se défendre. Quant aux enfants, ils sont manipulés par leur mère. Une mère qui terrorise.
Plus loin, cinq voisins observent avec méfiance la mise en scène de l’absurde que l’occupant, les juges et les voisins complices sont en train de mettre en place. Le premier en tant que scénariste, les seconds en tant que producteurs et enfin les voisins complices, en tant que financiers et recruteurs de techniciens des basses besognes.
Les cinq voisins subissent déjà les méfaits de la mise en scène. Mais ils sont conscients du danger qui menace toute la région, ils font tout pour empêcher que l’absurde mis en scène ne devienne le réel de demain. Ils résistent afin que le mot souverain ne devienne pas synonyme de soumission.
Mohamed El Bachir
(1) Richard Barnet : The Roots of War, cité par Edward Saïd dans Culture et impérialisme. Éditions Fayard, Monde Diplomatique : 2000
(2) Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé. Edition fayard, 2008.
(3) Mahmoud Darwich : Palestine mon pays. L’affaire du poème. Les Editions de minuit, 1988.
(4) Ghassam Kanafani : Contes de Palestine. Stock, 1979
(5) Nahum Goldman : Où va Israël ?, Edition Calmann-Lévy, 1975. p. 104 .
Les propos ont été tenus par Ben Gourion, Premier ministre de l’Etat d’Israël : 1955-1963)
26/09/2024