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La sexualité patriarcale au service de la gestion de l’opposition politique au Maroc

Une vidéo, d’une violence inouïe, a circulé récemment sur les réseaux sociaux au Maroc. Elle montre un groupe d’adolescents qui maltraitent la passagère d’un autobus, une jeune femme souffrant d’un handicap mental. Ils la bousculent et lui touchent les parties intimes, tout en s’esclaffant. Malgré les demandes d’aide de la victime, le bus, avec son chauffeur et ses passagers, a continué de rouler. Quelques mois plus tard, une autre vidéo, tout aussi violente, a circulé sur Facebook. Elle montre une adolescente jetée à terre pendant qu’un jeune homme lui arrache le pantalon de force et lui touche les organes génitaux. La scène a lieu en plein jour, au vu et au su de tous. Mais personne n’intervient pour aider la victime en dépit de ses cris de détresse.

Parler ici de culture du viol serait un euphémisme. Parce qu’en fait, il s’agit d’un régime fondé sur la force, y compris le recours au viol comme mode de gestion de l’opposition politique.

En effet, lors du procès politique dont il est victime, Nasser Zefzafi, leadeur du Hirak Rif, a dénoncé les agressions sexuelles qu’il a subies. Un agent de la police judiciaire lui a introduit le doigt dans le rectum. Comme il n’a pas réagi à cette humiliation, on lui a inséré un bâton. D’autres détenus, des camarades de Zefzafi, ont rapporté quant à eux que les agents de la police judiciaire les ont menacés de violer leurs filles et épouse. Enfin, des manifestants, toujours dans le cadre de ce mouvement, ont témoigné que des agents des forces de l’ordre les ont traités de « Oulad Sbnyoul (fils des Espagnols) ».

Ces violences sexuelles sont commises à l’ère de #MoiAussi et de #BalanceTonPorc, initiatives qui ont fait émerger plus que jamais la nécessité de concevoir une sexualité saine, basée sur la rencontre dans le consentement mutuel. Autrement dit, contrairement à l’évolution du savoir dans ce domaine, l’État du Maroc continue à privilégier un construit patriarcal de la sexualité, soit une sexualité imbue de rapports de pouvoir et de domination. Or comme le fait remarquer le sociologue Pierre Bourdieu, selon le paradigme sexuel patriarcal, le corps féminin pénétré est construit comme un corps soumis et infériorisé, pendant que le corps masculin est conçu comme étant apte à exercer le pouvoir et la domination. Dans ce contexte, le viol perpétré à l’encontre de Zefzafi apparaît comme une tentative politique visant à le féminiser, c’est-à-dire à lui ôter sa masculinité. Dit plus explicitement, dans un régime où le pouvoir se conjugue exclusivement au masculin, cette agression vise à le priver de la qualité première d’un leadeur : être un homme. Parce qu’en réalité, il est un leader.

De façon analogue, selon le paradigme de la sexualité patriarcale, l’honneur des hommes est tributaire des activités sexuelles des membres féminins de leur famille. Aussi l’une des pires humiliations à infliger à un autre homme est de s’approprier sexuellement sa mère, son épouse, ses filles ou ses sœurs. En d’autres termes, les luttes pour le pouvoir se jouent entre hommes, pendant que les violences perpétrées contre les femmes deviennent des armes de guerre parmi tant d’autres.

Enfin, toujours selon l’imaginaire sexuel patriarcal, traiter les manifestants, et par extension, les habitants du Rif, de « fils des Espagnols » revient à les traiter de soi-disant bâtards issus des viols perpétrés par les membres de l’armée espagnole contre les femmes de cette région, durant les luttes anticoloniales, au début du siècle dernier. Il n’y a rien à y redire. Les régimes autoritaires sont des régimes patriarcaux qui ont un égal mépris pour le peuple et pour les femmes.

Désormais, dans ce régime fondé sur la force, y compris le recours au viol comme mode de gestion de l’opposition politique, certains jeunes, sans éducation ni mentor, ont compris la leçon. Toute forme de pouvoir permet l’appropriation sexuelle du corps féminin. De façon similaire, les passants et les passagers de l’autobus ont intériorisé les règles du jeu. Dès lors, ils se réduisent à une masse docile : oreilles bouchées, yeux fermés, bouche cousue et échine courbée. Parce que l’action et la parole ont un prix. Ça s’appelle être fauché dans la fleur de l’âge, écrasé délibérément par une fourgonnette de police, comme ce fut le cas pour un enfant de 14 ans à Jerrada, tabassé à mort par une meute enragée des forces de la répression, comme ce fut le cas pour Kamal Omari en 2011, ou encore pourrir dans une cellule, comme c’est le cas pour les manifestants arrêtés à Al-Hoceima, Jerrada et Zagora. Nous pourrions citer de nombreux autres cas. Fin de l’acte, les rideaux se ferment sur une jeune femme handicapée mentale se faisant violer dans un autobus qui roule, devant une masse de spectateurs passifs.

Le régime de force veut envoyer un message sans équivoque aux citoyens : TINA (There Is No Alternative), pour reprendre une expression utilisée et décriée par Noam Chomsky. Il n’y aurait pas d’autre choix face à ce régime de force, pas d’autre choix face à la monopolisation du pouvoir par l’élite dirigeante, pas d’autre choix face à l’accaparement de l’appareil de l’État, y compris l’économie et les ressources de la nation, par une poignée d’individus. Pourtant, malgré les bastonnades et les passages à tabac, la censure et la torture, la répression et la marginalisation économique, les rues du royaume, de Nador à Sidi Ifni, en passant par al-Hoceima, envoient un autre message au makhzen : la seule option viable est l’option démocratique.

Osire Glacier, PhD
Auteure et conférencière

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