Quatre ans...
il manifesto, vendredi 17 mars 2006, Editorial.
Pour les maîtres du monde le temps s’écoule en vain.
Ils n’ont rien retenu des quatre, très dures, années qui ont passé depuis 2002, quand la Maison Blanche a formulé sa doctrine stratégique de la guerre préventive. En vain sont morts plus de 30 000 civils irakiens et 2300 soldats Usa. Des villes ont été rasées au sol pour rien. D’antiques alliances ont été rompues, de récents équilibres fracassés.
Mais pour la Maison Blanche, la planète de l’an 2006 se domine avec les mêmes oeillères et la même agressivité préventive qu’il y a quatre ans. C’est ce qu’on apprend de la lecture des 48 pages denses qui composent le nouveau document sur la National Security Strategy (un rapport qui devrait être publié légalement chaque année, mais celui-ci est le premier depuis 2002, avec trois ans de retard). Du déjà vu (en français dans le texte, ndt) décourageant : les leçons de l’histoire, mais quand donc ?
Dans le paragraphe sur l’Irak, les stratèges admettent qu’il n’y avait pas d’armes de destruction de masse. Mais, disent-ils, presque textuellement : rien à foutre ; et insistent : dans une situation similaire, sur la base d’informations aussi incertaines, nous attaquerions de nouveau, pour leur apprendre. Quelles illusions nous avons-nous eues, de penser qu’avec l’arrivée de Condoleezza Rice au Département d’Etat, le courant réaliste de la politique extérieure Us aurait repris le dessus, après l’ère de l’ "idéalisme neocon" ! Que, grâce à son influence et son amitié avec le président, la nouvelle secrétaire d’état aurait réussi là où avait échoué Colin Powell, qu’on ignorait, et aurait ainsi atténué l’unilatéralisme arrogant qui avait caractérisé le premier mandat de George W. Bush. Erreur. Nous avions oublié que la Condoleezza nationale, en plus d’être un superpétrolier d’Exxon (qui de fait porte son nom) était aussi la femme qui, après la rupture à l’Onu, sur l’Irak, prononça la menace lapidaire, césarienne : « La Russie sera pardonnée, l’Allemagne ignorée, la France punie ». Du coup la nouvelle doctrine stratégique est, si c’est possible, encore plus unilatéraliste et belliqueuse que celle de cette époque-là . Le « plus grand danger pour les Usa » est certes l’Iran, qui se trouve menacé d’ « affrontement » si « on ne trouve pas une solution diplomatique » : déjà vu là aussi, au printemps 2003, cette fois. On n’utilise pas l’expression « canailles » mais les objectifs énumérés sont Corée du Nord, Syrie, Biélorussie, Birmanie, Cuba et Zimbabwe.
La nouveauté la plus préoccupante du document se trouve cependant ailleurs, c’est-à -dire dans la nouvelle dureté manifestée à l’égard de la Russie et de la Chine à qui le rapport dispense des conseils assez menaçants, voire de véritables menaces. Ce n’est pas encore la guerre froide, mais il vaut mieux ressortir les manteaux. Même la prose fait frissonner, parce qu’elle est moins idéologique que celle de 2002 : elle n’annonce pas de nombreuses futures guerres préventives ; elle emploie plutôt le ton froid (« utopique dans ses objectifs, réaliste dans ses moyens ») d’une guerre mondiale déjà en cours. Ce n’est pas un hasard si le jour même où cette nouvelle doctrine stratégique est rendue publique, l’Us Air Force lance, en Irak, l’offensive aérienne la plus massive depuis trois ans, sur le triangle sunnite : pour construire la démocratie dans le monde et installer la Pax Americana -disent les bombardiers étasuniens - il faut d’abord, littéralement, faire tabula rasa.
Marco d’Eramo
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Marco d’Eramo, diplômé en physique (Rome) puis sociologie à l’EHESS (Paris), ancien élève de R. Barthes, M. Foucault et P. Bourdieu, est journaliste à il manifesto et auteur de plusieurs ouvrages sur la société étasunienne parmi lesquels : Il maiale e il grattacielo -Feltrinelli-(Le cochon et le gratte-ciel). Lo sciamano e l’elicottero,(Le chaman et l’hélicoptère) Via dal vento (Autant en emporte le vent. Voyage dans le sud profond des Etas-Unis) Ed. Manifestolibri...
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