De hauts responsables russes se déclarent préoccupés par le projet de loi adopté par le Congrès des États-Unis et destiné à renforcer les sanctions contre la Corée du Nord. Moscou affirme que le projet de loi H.R. 1644 viole sa souveraineté et constitue un ’acte de guerre’.
Le 4 mai 2017, la résolution 1644 de la Chambre des Représentants [chambre basse du Congrès US, équivalent de notre Assemblée Nationale - NdT], appelée innocemment « Loi de modernisation sur les interdictions et sanctions contre la Corée », a rapidement été adoptée par la Chambre des Représentants des États-Unis par un vote de 419 pour et 1 contre - et a tout aussi rapidement été qualifié d’« acte de guerre » par un haut fonctionnaire russe.
Pourquoi Konstantin Kosachev, président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat russe, a-t-il été si alarmé par une loi US qui vise ostensiblement la Corée du Nord ? Après tout, il n’y avait eu aucun débat agité avant le vote. Au lieu de cela, le projet de loi a été traité dans le cadre d’une procédure de « suspension des règles » habituellement appliquée à une législation non controversée. Et il a été adopté avec un seul vote contre (celui du Républicain Thomas Massie, du Kentucky).
Que prévoit H.R. 1644 ? Si cette loi était promulguée, elle modifierait la Loi de 2016 sur les sanctions et la politique envers la Corée du Nord afin d’accorder au Président le pouvoir d’imposer des sanctions à quiconque violerait certaines résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies relatives à la Corée du Nord. Plus précisément, cela permettrait d’étendre les sanctions pour punir la Corée du Nord pour ses programmes d’armes nucléaires. Elle ciblerait les personnes à l’étranger qui ont recours au « travail des esclaves » de la Corée du Nord ; Elle exigerait que l’administration détermine si la Corée du Nord est un état terroriste et, plus important, autoriserait une répression contre l’utilisation par la Corée du Nord de ports de transit internationaux.
H.R. 1644 cible les ports et les aéroports étrangers
Ce qui a attiré l’attention des critiques russes fut l’article 104, la partie du projet de loi qui prétend accorder aux États-Unis une « autorité d’inspection » des ports (et principaux aéroports) bien au-delà de la péninsule coréenne - en particulier les ports en Chine, en Russie, en Syrie, et en Iran. Le projet de loi identifie plus de 20 cibles étrangères, dont : deux ports en Chine (Dandong et Dalian et ’tout autre port de la République populaire de Chine que le Président juge approprié’) ; dix ports en Iran (Abadan, Bandar-e-Abbas, Chabahar, Bandar-e-Khomeini, Port de Bushehr, Port d’Asaluyeh, Kish, Île de Kharg, Bandar-e-Lenge, Khorramshahr et l’aéroport international de Téhéran Imam Khomeini) ; quatre installations en Syrie (les ports de Latakia, Banias, Tartous et l’aéroport international de Damas) et trois ports en Russie (Nakhodka, Vanino et Vladivostok). En vertu de la loi proposée, le secrétaire américain à la Sécurité intérieure pourrait utiliser le Système automatisé de ciblage du Centre de ciblage national pour rechercher tout navire, avion ou transport qui ayant « pénétré dans le territoire, les eaux ou l’espace aérien de la Corée du Nord, ou accosté dans l’un des ports ou atterri sur l’un des aéroports de Corée du Nord ». Tout navire, avion ou véhicule jugé en état de violation à la loi US serait assujetti à une « saisie et confiscation ». Cette loi de la Chambre a déclenché des alarmes en Russie
« J’espère que [ce projet de loi] ne sera jamais appliqué », a déclaré Kosachev à Sputnik News, « car sa mise en œuvre prévoit un scénario de pouvoir avec des inspections forcées de tous les navires par des navires de guerre américains. Un tel scénario dépasse l’entendement, car cela équivaut à une déclaration de guerre ».
Les responsables russes ont été naturellement indignés par le mouvement impérieux du Congrès visant à étendre l’autorité de l’armée US à la surveillance des ports souverains de l’extrême-orient russe. La Chambre Haute de Russie a noté avec virulence que de telles actions constituent une violation du droit international, ce qui équivaut à une déclaration de guerre.
« Aucun pays au monde et aucune organisation internationale n’a autorisé les États-Unis à surveiller la mise en œuvre de toute résolution du Conseil de sécurité de l’ONU », a déclaré Kosachev. Il a accusé Washington de tenter d’affirmer la suprématie de sa propre législation sur le droit international, un exemple de « l’exceptionnalisme » américain qu’il a qualifié de « problème principal dans les relations internationales actuelles ».
Un collègue de Kosachev à la Chambre haute, Alexey Pushkov, a souligné cette préoccupation. « Il n’est absolument pas clair comment le projet de loi sera mis en œuvre », a déclaré Pushkov. « Pour contrôler les ports russes, les États-Unis devront introduire un blocus et inspecter tous les navires, ce qui équivaut à un acte de guerre ». Pushkov a soutenu que le vote écrasant de 419 contre 1 « révèle la nature de la culture juridique et politique du Congrès des États-Unis. »
La Russie défie l’ « exceptionnalisme » des États-Unis
La Russie craint à présent que le Sénat des États-Unis soit dans le même état d’esprit. Selon Sputnik News, l’amendement « devra être approuvé par le Sénat puis signé par le président Donald Trump ».
Andrey Krasov, premier chef adjoint de la Commission de Défense de la Chambre basse de Russie, a réagit à l’initiative US avec un mélange d’incrédulité et d’indignation :
« Pourquoi diable les Etats-Unis ont-ils assumé de telles responsabilités ? Qui leur a accordé de tels pouvoirs pour contrôler les ports maritimes de notre pays ? Ni la Russie ni les organisations internationales n’ont demandé à Washington de le faire. On ne peut que répondre que toute initiative hostile de l’administration US contre la Russie et nos alliés se verra contrer par une mesure symétrique adéquate. En tout cas, aucun navire US n’entrera dans nos eaux. Nos forces armées et notre flotte ont tous les moyens de punir sévèrement ceux qui oseront entrer dans nos eaux territoriales ».
Krasov a suggéré que le « battement de tambours » de Washington était un signe supplémentaire que les États-Unis n’ont aucune intention de respecter les autres membres de la communauté mondiale - en particulier des rivaux comme la Chine et la Russie. « Ce sont des poids lourds qui, en principe, ne correspondent pas au concept global des États-Unis sur la gouvernance et leur gouvernance du monde entier ».
Vladimir Baranov, un opérateur de ligne de ferry russe dont les navires traversent les eaux entre Vladivostok et la ville portuaire nord-coréenne de Rajin, a déclaré à Sputnik News que « les États-Unis ne peuvent pas contrôler les ports russes – il faut se rendre auprès de l’autorité portuaire, demander des documents, ce genre de choses... C’est surtout un coup de bluff de la part des États-Unis, une tentative de montrer qu’ils contrôlent le monde ».
Alexander Latkin, professeur d’économie à l’Université d’Etat de Vladivostok, est également sceptique : « Comment les États-Unis pourraient-ils contrôler nos opérations portuaires ? Cela aurait pu être possible si les États-Unis possédaient une part des capitaux du port, mais, pour autant que je sache, tous les actionnaires sont russes. C’est essentiellement une manœuvre politique de la part des États-Unis. Les États-uniens n’ont aucune base juridique ou économique pour contrôler nos ports. »
Maxim Grigoryev, qui dirige la Fondation Russe pour l’Etude de la Démocratie, a déclaré à Sputnik Radio qu’il avait trouvé le projet de loi « plutôt drôle », étant donné qu’il ne fournit aucun détail sur ce qu’une inspection US pourrait entraîner et ne fournit aucune directive au Pentagone pour des navires battant pavillon international et les installations portuaires étrangères.
« Ce qui s’est passé, c’est que le pouvoir législatif des États-Unis a habilité son homologue exécutif à présenter un rapport sur cette question, qui consiste à dire si les sanctions contre la Corée du Nord sont violées par les ports russes, coréens et syriens », a déclaré M. Grigoryev. « Exiger que d’autres pays respectent leur législation ne les dérange pas. A l’évidence, il s’agit de préparer une sorte de déclaration qui sera faite contre la Russie, la Syrie ou la Chine. Il est peu probable que la mesure soit liée à la politique réelle - parce que les États-Unis n’ont aucune juridiction sur d’autres pays - mais c’est une base évidente pour une campagne de propagande ».
Ajoutant à l’incertitude croissante sur la montée des tensions entre les États-Unis et la Russie, de hauts militaires russes exprimé leurs préoccupation que le Pentagone se prépare à une attaque nucléaire préventive contre la Russie.
Préoccupations croissantes d’une attaque nucléaire
Le 28 mars 2017, le lieutenant-général Victor Poznihir, chef adjoint de la direction des opérations principales des forces armées russes, a averti que le placement de missiles anti-balistiques US près des frontières de la Russie « crée un fort potentiel pour livrer une attaque nucléaire surprise contre la Russie ». Il a de nouveau exprimé cette préoccupation le 26 avril, lorsqu’il a alerté la Conférence internationale de sécurité de Moscou que le Commandement des opérations de l’état-major russe est convaincu que Washington se prépare à mettre en œuvre cette « option nucléaire ».
Ces nouvelles terrifiantes ont été pratiquement ignorées par les médias US. Le 11 mai, le chroniqueur Paul Craig Roberts (ancien secrétaire adjoint du Trésor pour la politique économique sous Ronald Reagan et ancien rédacteur du The Wall Street Journal) a cité les commentaires de Poznihir dans une publication à l’évidence agitée.
Selon Roberts, une recherche Google a révélé que cette « annonce la plus alarmante de toutes les annonces » n’avait été signalée que dans une seule publication US - The Times-Gazette of Ashland, Ohio. Il n’y avait, a déclaré Roberts, « aucun rapport sur la télévision US, et aucun dans les médias canadiens, australiens, européens ou autres que RT [une agence de presse russe] et des sites Internet ».
Roberts a également été alarmé de constater qu’aucun « sénateur ou représentant des États-Unis, ni aucun politicien européen, canadien ou australien n’a soulevé d’inquiétudes que l’Occident se préparait maintenant à une première frappe contre la Russie » ni « demandé à Poutine comment cette situation grave pourrait être désamorcée ».
(Roberts avait écrit précédemment que les dirigeants de Pékin craignent aussi que les États-Unis aient planifié des plans pour une attaque nucléaire contre la Chine. En réponse, la Chine a rappelé aux États-Unis que sa flotte de sous-marins est prête à détruire la côte ouest des États-Unis tandis que ses missiles balistiques détruiraient le reste du pays.)
« Jamais de toute ma vie je n’ai vécu une situation où deux puissances nucléaires étaient convaincues que la troisième les surprendrait avec une attaque nucléaire », écrit Roberts. Malgré cette menace existentielle, Roberts note qu’il n’y a eu « aucune prise de conscience ni aucune discussion » sur les risques croissants.
« Poutine publie des mises en garde depuis des années », écrit Roberts. « Poutine l’a répété maintes fois, "je lance des avertissements et personne n’écoute. Comment me faire entendre ?" »
Le Sénat US a maintenant un rôle essentiel à jouer. Le projet de loi est actuellement devant la Commission des affaires étrangères du Sénat. La commission a l’occasion de reconnaître les graves risques existentiels créés par H.R. 1644 et de veiller à ce qu’aucun projet de loi complémentaire n’aboutisse au Sénat. Si cette législation mal conçue aboutit, notre survie - et celle de centaines de millions d’autres personnes dans le monde – serait en danger.
Gar Smith
Gar Smith est un vétéran du Free Speech Movement, un militant pacifste , un journaliste du projet Censored Award, éditeur émérite de Earth Island Journal, cofondateur de Environmentalists Against War, membre du conseil d’administration de World Beyond War, Auteur de Nuclear Roulette et éditeur du prochain livre, The War and Environment Reader.
Traduction « oui, bon, d’accord, mais quid de la poignée de main entre Macron et Trump ? » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.
NOTE DU TRADUCTEUR : Il convient de rappeler que les Etats-Unis ont déjà adopté dans le passé (au moins) une loi à caractère prétendument « extra-territorial », la loi anti-cubaine Helms-Burton de 1996 (officiellement Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) Act of 1996)