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« La révolution ne sera pas un dîner de gala » (quelques leçons en provenance de Bolivie)

De bien graves événements se produisent en Amérique latine depuis quelque temps. Une contre-révolution féroce est à l’œuvre et celle-ci ne fait pas de quartier. Cependant, celle-ci est heureusement contre balancée par une résistance intense de la part des forces sociales de tous ces pays. De l’Équateur, au Chili, en passant par Haïti, bien des peuples ont su démonter qu’ils ont soif de justice, malgré qu’ils soient bien conscients que les gouvernements du Nord ne leur feront pas de cadeaux. Malheureusement, seuls les « opposants » de droite et d’extrême droite ont ce privilège !

Le plus souvent, l’information qui nous parvient est savamment filtrée et interprétée de manière tordue afin d’atténuer une réalité qui pourtant crève les yeux, c’est-à-dire une guerre de classes ! Tout est généralement fait pour associer les gouvernements progressistes à des « dictatures », alors que ceux-ci sont simplement la cible de déstabilisation et d’actions violentes qui les contraignent à utiliser la force. Même si ceux-ci savent parfaitement qu’elle est contre-productive, puisque l’opposition l’utilisera contre lui.

J’imagine sans peine que les personnes qui me lisent ne seront pas dupes de cette propagande, mais rappelons tout de même cette évidence : le centre de préoccupation de ces opposants n’est pas la démocratie, mais bien le retour de leur domination ! Les slogans bon chic bon genre utilisés par l’opposition servent surtout à berner le public international et faciliter la communication des États qui ne supportent pas que les richesses de leur pays soient socialisées. Le scénario « du peuple qui lutte contre un dictateur » (forcément de gauche) est devenu tellement cliché depuis la fin de la Guerre froide que ça en devient vraiment ridicule. Surtout quand on sait que ce fameux « peuple » est guidé par l’ancienne oligarchie et l’extrême droite du pays.

Malgré tout, ce scénario semble encore fonctionner. Du moins tant que nos médias mutilent le contexte et brouillent les cartes, en relayant systématiquement la communication de l’opposition de droite et ne donnant JAMAIS le micro aux masses qui soutiennent l’action gouvernementale. De toute façon, les pauvres se trouvent généralement loin des beaux quartiers, secteurs où se situent les bureaux des chaines télévisées et l’action des « rebelles » !

Ce qui s’est passé en Bolivie le mois dernier ne fait évidemment pas exception. Si ce n’est que cette fois la propagande s’est fait quelque peu berner par la facilité déconcertante avec laquelle elle a pu renverser le gouvernement d’Evo Morales. Le plan prévu était pourtant la copie conforme de celui qui a échoué au Venezuela en début d’année, mais le personnel du MAS (mouvement vers le socialisme) ne s’est pratiquement pas défendu. Celui-ci a joué à fond la carte de la légitimité démocratique et a voulu éviter à tout prix toute effusion de sang. Ce qui n’a pas empêché l’opposition de maintenir son scénario fantaisiste de « dictature communiste ».

Pourtant, les menaces de coup d’État étaient évidentes. La presse internationale s’en était même fait l’écho. La nationalisation des matières premières très demandée, comme le lithium, n’est sans doute pas étrangère à tout ça. Il aurait été parfaitement légitime de riposter à ce coup d’État, puisque c’en était bien un, mais le président est resté figé par l’évolution rapide du conflit et par l’étendue de la traitrise des hauts fonctionnaires sur lesquels il s’appuyait. De plus, le peuple autochtone, dont est issu Evo Morales, est massivement situé dans les campagnes et sa police n’était pas du tout fiable. La sympathie entre ces derniers et les manifestants était évidente. Ajoutons à cela une armée encore moins fiable (celle qui, rappelons-le, assassina le Che quelques décennies plus tôt !), une Église catholique de type franquiste et un groupe de Lima cherchant à se venger de leur échec vénézuélien et nous avons une situation particulièrement ardue.

Le plan de départ était clair et bien peu original, comme vous savez. Il ne s’agissait que d’attendre le jour des élections et de les contester avant même que les résultats soient officiellement connus. L’Organisation des États américains ou OEA (qui appartient à 60% aux États-Unis) n’a eu qu’à allumer la mèche en publiant un frauduleux rapport dénonçant des « anomalies électorales » avant même que l’institution électorale officielle n’ait confirmé les résultats !

Selon la constitution bolivienne, le candidat de tête doit recevoir plus de 50% des suffrages ou être au-dessus de 10% de son plus proche rival, s’il obtient moins de 50%. Autrement, un second tour doit être organisé. Comme l’estimation de fin de journée était sous ce barème (45,3 % contre 38,2 %) et que les chiffres finaux n’ont été connus que le lendemain matin, le prétexte était déjà tout trouvé. Les manifestations ont été presque instantanées et ont précédé l’arrivée des chiffres définitifs. C’est-à-dire 47,1% pour Evo Morales contre 36,5% pour Carlos Mesa (nos propres gouvernants rêveraient d’une victoire aussi éclatante !). Mais qu’importe ces chiffres, puisqu’ils seront remis en cause par la presse internationale, via la propagande de l’opposition. Evo Morales pourra bien faire volte-face et accepter de nouvelles élections, mais rien n’arrêtera les événements en cour, car, ne l’oublions pas, l’objectif de la bourgeoisie bolivienne n’est pas la démocratie, mais la prise du pouvoir !

Dès lors que l’armée cessa son soutien au gouvernement, le président et les hauts membres de son parti ont tous été contraints de démissionner. Parfois même par la force ! Par exemple, la mairesse de Vinto a fait les frais d’un enlèvement et d’une humiliation publique, en plus d’avoir été forcée à la démission ! Toutes les personnalités du MAS ayant le mandat de remplacer le président en cas de démission ont donc été priées de quitter le pouvoir, afin de laisser la place à la seule personne de l’opposition assez haute dans les institutions pour maintenir un semblant de constitutionnalité. Cette personne ne fut nul autre que Jeanine Áñez, deuxième vice-présidente du Sénat et bigote raciste notoire.

À la suite de ces démissions forcées et la prise en charge de l’État par la bourgeoisie évangéliste, une violence intense se déchaîna à l’encontre les membres importants du MAS dans les secteurs-clés de l’État. Un mandat d’arrêt fut même délivré contre l’ancien président, ce qui l’obligea à demander l’asile au Mexique. La maison d’Evo Morales a bien sûr été pillée, mais c’est surtout l’agression massive des partisans du MAS et des communautés autochtones qui porta le coup de grâce à toute forme de légitimité démocratique. Même les médias internationaux ont été obligés de reconnaître la violence du nouveau gouvernement. Des élections seront probablement organisées dans un futur proche, mais soyons sûrs que tout sera fait pour que le MAS reste décapité suffisamment longtemps pour qu’il ne puisse être en état de participer. Les élections sont acceptables pour cette caste de nantis, mais seulement s’ils sont certains de les gagner !

Comme vous le voyez, l’avenir de la Bolivie n’est pas très enviable et bien que le gouvernement soit soutenu par la majorité de la population, la seule démocratie n’a pas suffi. Le mouvement de Morales manquait visiblement de force et ses partisans étaient beaucoup trop éloignés des centres du pouvoir, pour organiser des contre-offensives efficaces, à l’image de celles organisées par les partisans bolivariens du Venezuela. Malgré tout, je me garderai bien de donner des leçons au Mouvement vers le socialisme, car les mouvements de gauche de nos pays sont loin d’être mieux outillés. Disons même que nous avons encore énormément à apprendre de nos camarades du Sud.

Comme je l’ai évoqué plus haut, il ne s’agit pas seulement d’élections, quand l’ordre social est en jeux, mais d’une véritable guerre ! Le mot n’est pas trop fort, car la légalité et la légitimité des moyens n’ont jamais pu garantir une révolution politique et sociale, soit-elle parfaitement légale et pacifique. La bourgeoisie locale et leurs alliés à l’étranger savent parfaitement s’asseoir sur celles-ci lorsque nécessaire. La plupart du temps, la diabolisation des leaders et les magouilles électorales et juridiques suffisent à les maintenir loin du pouvoir. Mais dès lors que les mouvements progressistes réussissent à gagner les élections et qu’il n’est pas possible de corrompre le mouvement de l’intérieur, le coup d’État devient une option parfaitement envisageable, même encore aujourd’hui. Parfois il arrive dès le premier mandat, comme celui de 2002 au Venezuela, parfois au 4e, comme en Bolivie, mais il sera inévitablement tenté.

C’est triste à dire, mais pour qu’une révolution puisse aller jusqu’au bout, il est nécessaire d’assumer une bonne dose de violence, puisque la guerre avec la classe dominante est inévitable. Cette dernière n’acceptera jamais la perte de ses privilèges et utilisera toutes les armes à sa disposition pour le reprendre et disposera d’une solidarité sans faille des États et des bourgeoisies voisines.

Pour y faire face, il faut se battre à armes égales ou du moins, ne pas se priver des nécessités qu’impose le changement social. La première d’entre elles est la solidarité avec ces États en guerre, au même titre que les mouvements de masse qui luttent contre le néolibéralisme, même s’ils ne sont pas parfaits. Il faut savoir défendre les expériences progressistes dans le monde et contrebalancer la diabolisation et la désinformation médiatique. Personne à gauche n’aime la violence et les mesures autoritaires, mais il faut savoir résister à l’intimidation de la bien-pensance qui croit que l’élection d’un gouvernement socialiste (voire seulement social-démocrate) puisse être tolérée par les puissants de ce monde.

Ce qui se passe au Venezuela et en Bolivie n’est pas le fruit d’une dictature qui s’installe (les deux gouvernements sont parfaitement légitimes), mais de manœuvres de déstabilisation parfaitement antidémocratiques, fomenter de l’intérieur et soutenu par des États hostiles. Les partis politiques réellement progressistes de nos pays, s’ils devaient arriver au pouvoir, seraient soumis aux mêmes difficultés. Gageons qu’un parti comme Québec solidaire, s’il devait maintenir leur programme comme il l’est présentement, subirait les foudres d’une réaction particulièrement déchaînées et de réactions très sévères de la part de l’État fédéral, comme de notre voisin du Sud. Et pour reprendre la célèbre citation de Mao Zedong :

« La révolution n’est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme. La révolution, c’est un soulèvement, un acte de violence par lesquels une classe en renverse une autre. »

La politique est sale par définition et les moyens pour arriver aux changements structurels le sont encore plus. C’est pour cette raison qu’il faut éviter de se faire des illusions sur les institutions politiques, car elles ont été mises spécialement en place pour que rien ne change !

Benedikt Arden (novembre 2019)

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