Aujourd’hui, 70 ans après, la mémoire a vieilli mais elle ne tremble pas. Les longs silences ont fait mûrir une multitude d’histoires où rien n’est oublié, même si parfois, la forme vient avec élégance hypothéquer le fond.
Cependant, anniversaires, plaques commémoratives... ne suffiront sans doute jamais à cicatriser les plaies de cette terrible guerre qui embrasa l’Espagne pour ensuite entraîner toute l’Europe dans un chaos annoncé. L’implacable dictature qui s’installa pour 40 longues années fut la prime accordée au genéralissimo pour avoir écrasé l’enthousiasme des travailleurs qui en 1936, de Madrid à Paris étaient bien disposés à changer le cours de l’Histoire. Le putsch militaire de Franco était appuyé par les secteurs économiques et la puissante oligarchie agraire qui voyaient leur suprématie menacée. Si les élections ont précipité l’agression, on peut aussi dire qu’elle était en gestation depuis longtemps.
La seconde Guerre Mondiale commença le 17 juillet 1936
Le franquisme, ce greffon du nazisme, survivra à la bête immonde. Malgré ses liens avérés avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, il sera volontairement épargné. La dictature qui semblait pourtant incompatible avec le nouvel ordre défendu par les vainqueurs représentait cependant une garantie d’un autre ordre ; un bastion contre le communisme. El caudillo put alors en toute quiétude continuer son oeuvre de mort.
L’Espagne franquiste intégra le bloc occidental au début des années 50 grâce à une aide financière colossale des Etats Unis (généreux parrains et mécènes de bien d’autres dictatures)
Ce choix politique entérinait en amont, le soutien à Franco dès son « Golpé » contre la République le 17 juillet 1936. Quand la victoire du Frente Popular aux élections législatives instaura les conditions d’une République populaire et sociale
La mémoire des sans grades
Cette mémoire longtemps contenue à la marge des discours officiels parce que longtemps elle « n’intéressait » personne. Peut-être parce qu’elle était trop immédiate, trop réelle. Il a fallu attendre que se construise la légende pour que l’on se penche enfin sur les récits des sans-grades pour que l’histoire s’ouvre enfin pour accueillir les nombreux témoignages jugés longtemps minoritaires.
Quand Jacques Gonzalez, ouvrier à Turboméca, publie en 2002 son livre « La tour de Lagestère », je pense qu’il est conscient d’avoir réalisé là une sacrée performance, une victoire sur un défi lancé à lui même, un combat pour que survive l’histoire téméraire et combien singulière de sa famille. C’est dans le Paris Poulbot de 1938, populaire et prolétaire, qu’il décrit avec précision les 400 coups d’une bande qui opère entre Clignancourt et les Puces, lui le benjamin de cette coterie n’additionne que 8 ans, sa soeur aînée Ginette, 12 ans cooptée pour son réalisme et son pragmatisme. A aucun moment Jacques ne s’est pris pour un écrivain, pourtant la singularité des protagonistes de ce récit en font un ouvrage sociologique qui traduit bien une époque, une épopée familiale sans pastiche, de personnages entiers faits de chair et de sang. « La tour de Lagestère », édité par les éditions Atlantica, a été diffusée, essentiellement par l’auteur dans son réseau de connaissances, et le bouche-à -oreille. Je serai curieux de connaître des statistiques sérieuses sur le nombre de livres publiés et vendus par des auteurs ouvriers dans une année. Mais force est de constater que le livre de Jacques n’a suscité aucun retour de « curiosité » par les historiens. Pourtant les évènements qu’il décrit sont « plébiscités » par des témoins proches où rencontrés au cours du long travail d’investigation qu’il a menée afin de mettre à l’épreuve sa mémoire directe ainsi que l’histoire familiale / politique que lui a transmis son père. Les documents officiels qu’il produit ne peuvent pas laisser indifférent les chercheurs. Jacques s’étonne avec un peu d’amertume de ne jamais être sollicité pour témoigner dans des colloques, pour évoquer ce que les historiens semblent ignorer de l’activité de la guérilla espagnole dans la région d’Ambax. Ceci dénote une hiérarchisation abusive de la mémoire qui en dit long sur les mandarins de l’Histoire officielle.
Une famille antifasciste immergée dans la guerre
L’agression fasciste et l’abandon par la non-intervention de la jeune République espagnole soulève dans le monde une grande réprobation et suscite une solidarité sans précédant dans l’Histoire. 40 000 volontaires arrivent des 4 coins des 4 continents, représentés par 52 nationalités qui se portent au secours de la République pour affronter l’armée fasciste de Franco soutenue par les armées d’Hitler, de Mussolini De nombreux espagnols établis en France depuis plusieurs années partent aussi en « abandonnant » famille et travail comme l’irréductible famille aragonaise et asturienne de Jacques Gonzalez, le grand père Casimir, le père Santiago, les oncles Marcel et Jacques (frères jumeaux), Aurelio défendront avec acharnement cette terre d’Espagne où ils sont nés, et qu’ils n’ont jamais oubliée Santiago, le père de Jacques, jouera un rôle important, faits d’armes et courage en font un commandant de brigade, Chef de la base d’instruction du 18^e Corps d’Armée de l’Est à Gérone. C’est là , fin décembre 1938, un mois avant la Retirada que le commandant Gonzalez réceptionne sa femme. Illuminada et ses 3 enfants venant de Paris, remontant l’Histoire à contre courant pour partager l’exil dans les terribles camps français avec les 500 000 réfugiés républicains.
L’Etat major des guérilleros et la Résistance
1942, c’est à Ambax ,près de l’Ile en Dodon, un petit village situé au sud de Toulouse, que la famille Gonzalez se regroupa. Santiago, le père avait gardé des contacts avec des officiels de la République espagnole en exil, comme le général Riquelme ou le lieutenant colonel José del Barrio. C’est dans cette région que commencera la clandestinité pour le commandant Gonzalez. Il va cacher et héberger d’anciens officiers ; républicains évadés des compagnies de travail et des camps d’internement français. Dès 1942, il organise un noyau de résistance, la métairie de Martres sera un point de chute et un lieu de passage pour des armes, des explosifs, et l’essence. Elle abritera fin juillet début août 1944 l’état major des guérilleros espagnols, c’est là qu’ils se cacheront et non à l’Isle en Dodon comme l’ont écrit des historiens après la libération de Toulouse. C’est à l’hôtel des Arcades que s’installera l’état major à la libération de Toulouse, et le commandant Santiago Gonzalez aura la charge du Quartier Général 1944, les guérilleros du Gers, de Haute-Garonne, d’Ariège, des Hautes et Basses Pyrénées partout en France où ils sont présent se battront contre l’occupant la tête tourné vers l’Espagne Sur le versant Sud des Pyrénées, les guérilleros contre Franco regardaient, eux, en direction de la France avec un indescriptible espoir : la fin du fascisme et de la tyrannie dans toute l’Europe.
Octobre 1944 l’échec de la Réconciliation et les couacs de la mémoire.
La tentative de reconquête par guérilleros partis de France par le Val d’Aran et par l’Aragon/Navarre, échoua, le soulèvement populaire avec espéré de l’autre coté des Pyrénées n’eut pas lieu .Un millier de guérilleros furent capturés, 400 tués au combat. Plus tard, envoyé à Pau par l’Etat-major, il sera responsable du cantonnement des guérilleros au domaine de Sers, et de la formation pour des opérations de guérillas en Espagne 1945, la libération la France est encore sous le choc de l’Occupation, et l’humiliation de la défaite de 1939. C’est un temps différent qui commence, tout s’accélère, la capacité à oublier prend le dessus, sur les camps de la honte, la collaboration active ou passive..., les ouvriers remettent les bleus, les bourgeois, costume cravate, chacun à sa place la société de classe reprend ses droits.
A Idron le Commandant Gonzalez démobilisé, reprendra la truelle puis la clandestinité .
L’hommage aux combattants étrangers c’est déjà le passé, la France libérée ne se retourne pas sur ces combattants de l’ombre qui on tant donné .Le guérillero est devenu indésirable. Tandis que Franco lui serait tolérable ? Dorénavant le gouvernement français se méfie des militants espagnols qui continuent à soutenir la guérilla intérieure de l’autre coté des Pyrénées. C’est à cette occasion que Julian Grimau dans les années 50 fit quelques haltes à Idron chez son ami Santiago .Lors de sa dernière visite, il déchira en deux une enveloppe ,lui en remit une moitié gardant l’autre et lui dit « dès aujourd’hui le parti te demande de te faire oublier et le jour quand nous aurons besoin de toi un émissaire viendra te contacter, porteur de la moitié d’enveloppe qui viendra s’ajuster à la tienne... »
Juan Grimau fut arrêté en 1963 au cours d’une mission en Espagne puis il fut fusillé, malgré une très grande réprobation internationale. Cette mystérieuse enveloppe ne fut jamais reconstituée.
Rendre la mémoire à l’histoire
Je renvoie le lecteur de cet article au livre « La tour de Lagestère » qui en 270 pages prend temps de raconter l’histoire de ce militant ouvrier qui officier supérieur en Espagne puis en France redevint militant ouvrier .
Parfois il me vient un doute a-t-il existé ? son nom n’est cité par aucun historien, à Pau plusieurs guérilleros se souviennent de lui, son fils jacques a des archives même si les exigences de la clandestinité ont effacé quelques traces trop secrètes.
Ouf ! parfois l’histoire me fait douter de la réalité .
Le nazisme vaincu, jugé à Nuremberg mais plus rapide fut l’injustice qui permit la fuite pour des milliers de nazis et le salut vers des retraites dorées, sanctuaires pour mercenaires au service des contre révolutions en Amérique latine, en Espagne, aux USA.
L’avertissement émanera des camps de la mort, ce sont les rescapés qui nous le transmettrons dans une véritable leçon de l’Histoire. Primo Lévi écrit « Les monstres existent., mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ceux qui sont les plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires , prêts à croire et à obéir sans discuter comme Eichman, comme Höss, le commandant d’Auschwitz, comme Stangl, le commandant de Treblinka, comme, 20 ans après les militaires français qui tuaient en Algérie, et comme 30 ans après les militaires américains qui tuèrent au Vietnam. Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voies que la raison /[...] » Primo Lévi, « Si c’est un homme » edition (juilliard Poket)
luis lera