Deux ans après l’élection de François Hollande, une majorité de Français approuve la réduction du nombre de fonctionnaires ou le gel des prestations sociales. Un changement d’état d’esprit qui prospère sur les décombres de l’Etat providence.
Qui l’eût cru il y a deux ans, lorsque François Hollande s’apprêtait à se faire élire président de la République en promettant de recréer 60.000 postes de fonctionnaires dans l’Education nationale et en prenant pour « adversaire » le monde de la finance ?
Aujourd’hui, une nette majorité de Français approuve un plan d’économies présenté - un peu rapidement d’ailleurs - comme un plan de rigueur, un plan en tout estampillé plus libéral que social avec son programme de baisse de 50 milliards d’euros des dépenses publiques en trois ans, un gel sans précédent des prestations sociales, une nouvelle forte baisse des charges patronales pesant sur le travail. Un plan qui, au fond, prend aux ménages pour donner aux entreprises, interrompt la montée en charge des emplois aidés pour lutter contre le chômage et préfère miser, pour cela, sur la restauration des marges des entreprises.
Trois Français sur quatre (73 %) approuvent la réduction du nombre de fonctionnaires, six sur dix (59 %) la baisse des dépenses maladie et plus de la moitié (51 %) le gel des prestations sociales, selon un récent sondage BVA pour i-Télé, « CQFD », et Le Parisien- Aujourd’hui en France.
En deux ans, avec l’échec de la voie alternative tentée par François Hollande, mélange hybride de politique de la demande sous perfusion de dépense publique et de politique de l’offre sous forme de crédit d’impôt aux entreprises, le glissement libéral de la société française s’est accéléré.
La droite n’a pas, à proprement parler, « gagné la bataille des idées », comme a voulu le croire l’ancienne ministre du Budget, Valérie Pécresse, au lendemain des voeux du chef de l’Etat, qui annonçaient le tournant social-libéral du quinquennat confirmé lors de sa conférence de presse du 14 janvier. D’abord parce que le tournant libéral reste, dans la réalité, d’une grande timidité. La même Valérie Pécresse pointait, la semaine dernière, dans L’Opinion, l’absence de ces réformes structurelles qui caractériseraient une ligne plus franchement libérale : sortie des 35 heures, véritable choc de simplification... Rien de comparable à la flexibilisation du marché de l’emploi qu’engage Matteo Renzi, en Italie.
S’il serait erroné de penser que la droite a remporté la bataille des idées, c’est ensuite parce qu’il serait plus juste de parler de glissement que de conversion au libéralisme. Directeur général délégué d’Ipsos, le politologue Brice Teinturier préfère évoquer une « résignation libérale » à l’oeuvre dans la société française. Cette réaction libérale prend corps sur les décombres de l’Etat providence. « Le noeud de tout cela, poursuit Brice Teinturier, c’est l’échec de la lutte contre le chômage et le niveau de la pression fiscale. »
D’une certaine manière, d’ailleurs, la période n’est pas sans rappeler celle du milieu des années 1980, l’échec économique de la première partie du septennat de François Mitterrand ayant conduit à l’expérience libérale de 1986-1988. Tout se passe comme si le centre de gravité du débat public s’était déplacé vers la droite. Il est symptomatique qu’un Laurent Fabius puisse se prononcer sans ambages pour l’extension du travail dominical ou qu’un Pascal Lamy puisse évoquer des petits boulots pour les jeunes payés au-dessous du SMIC sans plus susciter à gauche autre chose que des hoquets. Il est symptomatique aussi de ce glissement intellectuel que des personnalités ou think tanks étiquetés voilà encore trois-quatre ans « ultralibéraux » soient désormais admis au centre du cercle de la raison et que leurs idées (coupes massives dans la fonction publique, baisse de la fiscalité, compétitivité des entreprises...) trouvent dans les médias un droit de cité qu’ils n’avaient pas voilà peu. C’est un signe parmi d’autres du mouvement de l’opinion : directrice générale de l’ifrap, institut de recherche libéral, Agnès Verdier-Molinié a vu le nombre de ses interventions dans les médias croître de manière exponentielle : 215 en 2011, 246 en 2012, 341 en 2013 et déjà 217 depuis le début de l’année 2014. Elle tient une chronique hebdomadaire sur Radio Classique et Europe 1. Autrefois infréquentable, l’ifrap est devenu fréquentable. Même les économistes Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen le citent à plusieurs reprises dans leur ouvrage « Changer de modèle ». Pour Agnès Verdier-Molinié, « l’opinion se retourne, devient forcément plus libérale en réaction au poids de la fiscalité, de la dépense, de la dette. Nous assistons aux derniers soubresauts d’un système gavé de dépenses publiques ».
« Oui, la France devient en partie libérale », appuie le politologue Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol. Et elle suit, en cela, un mouvement général à l’Europe, lié à l’épuisement de l’Etat providence mais aussi au vieillissement de sa population. Pour paraphraser Dominique Reynié, l’histoire ferme à la gauche les portes du pouvoir idéologique. Certes, écrivait-il en 2012 en préface de l’ouvrage Les Droites en Europe, « la gauche peut encore gagner [des élections] mais ses idées ne peuvent plus gouverner ».
C’est particulièrement vrai en France, où le débat d’idées est structuré depuis plus de deux cents ans autour de deux grandes valeurs, l’Egalité et la Liberté, que le peuple français se plaît à rééquilibrer quand il sent la balance pencher trop en faveur de l’une. Et le glissement douloureux du Parti socialiste vers une forme de libéralisme économique, s’il réussit, n’est pas un mince défi pour une droite elle-même en quête de ligne économique.
Jean-Francis Pécresse
Editorialiste aux Echos
Original de l’article dans Les Echos.