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La Réplique des Dominants, en Sept Étapes : Édition Spéciale Corbyn/Sanders (The Intercept)

Peu à peu, l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti Travailliste de Grande-Bretagne a fait perdre aux élites politiques et médiatiques de ce pays ce qu’elles partagent d’esprit, et leur période de déconfiture, d’implosion, semble devoir se prolonger. Bernie Sanders se situe nettement moins à gauche que Corbyn ; en fait, leurs univers n’ont rien en commun. Cependant, sur les questions économiques en particulier, Sanders est un critique plus fondamental, plus systémique, que les centres du pouvoir oligarchique ne sauraient tolérer ; et son rejet de la prédominance du monde des affaires sur le politique, ainsi que du financement de sa campagne par les grandes entreprises, fait de lui une menace notoire. C’est ainsi qu’on en est venu à le considérer comme la version américaine du gauchiste, dont les pouvoirs établis ont tout à craindre.

Pour ceux d’entre nous qui ont assisté aux réactions britanniques à la victoire de Corbyn, il y a quelque chose de fascinant à observer leur exacte reproduction par les élites Démocrates de Washington, comme si ces dernières suivaient les injonctions du même scénario. Je suis de ceux pour lesquels la nomination de Clinton ne fait guère de doute, mais on ne peut feindre d’ignorer les preuves de l’amplification du mouvement en faveur de Sanders. De toute évidence, en raison de l’éventail des tendances qui l’impulsent, ce mouvement déstabilise l’élite du Parti Démocrate – comme il se doit de le faire.

La semaine dernière, un sondage révélait l’avance confortable dont Sanders bénéficiait chez les électeurs du millénaire, y compris chez les jeunes femmes ; selon les termes de Rolling Stone, « une large majorité de jeunes électrices soutiennent Sanders ». Hier, le New York Times faisait ses gros titres sur « le bond que l’avance de Sanders a fait dans le New Hampshire, pour atteindre les 27%, un chiffre stupéfiant, si l’on se réfère aux habitudes de vote de cet état ». Le même jour, le Wall Street Journal affirmait, dans un éditorial intitulé « Prendre Sanders au Sérieux », que « la désignation du socialiste septuagénaire appartient désormais au domaine du possible ».

Tout comme dans le cas de Corbyn, il existe une corrélation directe entre le gain de force de Sanders, et l’intensité des attaques déloyales, violentes, que les élites - médiatiques et politiques - de Washington, ont multipliées contre lui. Grosso modo, la révolte des ces « élites » contre Corbyn passa par sept étapes, selon un scénario que la réaction étasunienne à la campagne de Sanders, suit à la lettre :

PREMIÈRE ÉTAPE : Condescendance polie, envers ce dont on ne perçoit que l’innocuité (« il nous semble merveilleux que vos idées puissent bénéficier d’une telle période de diffusion »).

DEUXIÈME ÉTAPE : Moquerie légère, désinvolte, à mesure que les sympathisants prennent confiance (« chers amis, non, un gauchiste ne remportera pas la victoire, mais comme votre enthousiasme est rafraîchissant »).

TROISIÈME ÉTAPE : Apitoiement sur soi-même, sermons courroucés de rappel des convenances à l’attention de sympathisants, dont le refus d’accomplir leur devoir de soumission sans résistance est désormais évident, le tout parfumé de doses élevées d’inquiétudes relatives à leur comportement sur internet (« personne, vraiment personne, n’atteint le niveau de gaucherie, de grossièreté, envers les journalistes, de ces militants ; malheureusement pour eux, c’est à la cause de leur candidat qu’ils font du tort »).

QUATRIÈME ÉTAPE : Calomnier le candidat, et ses sympathisants, à coups d’insinuations de sexisme, de racisme , sous la forme d’affirmations mensongères, relatives à l’exclusivité d’un soutien blanc, masculin (« votre préférence pour ce candidat n’a aucun fondement, idéologique, ni politique, elle n’a rien à voir non plus avec votre dédain pour les prises de position des élites du Parti en faveur de la guerre ou des grandes entreprises ; vous le soutenez parce que, comme vous, c’est un homme blanc »).

CINQUIÈME ÉTAPE : À mesure que les enquêtes présentent le candidat comme une menace crédible : recours éhonté à des attaques inspirées par l’extrême-droite, afin de le marginaliser, le diaboliser (« c’est un faible en matière de terrorisme, il capitulera devant Daech , il a des fréquentations peu recommandables, c’est un clone de Mao et Staline).

SIXIÈME ÉTAPE : Publications de mises en garde à la fois hystériques, et empreintes de solennité, annonçant l’apocalypse en cas de rejet du candidat des élites, dès l’instant où la possibilité d’une défaite devient imminente (des décennies - voire des générations - d’impuissance vous attendent, si vous passez outre nos décrets en matière de sélection du candidat).

SEPTIÈME ÉTAPE : Effondrement généralisé, sans retenue ; c’est la période de panique, de coups distribués à tout-va, de menaces, de récriminations, de trépignements plein de suffisance, de l’union « décomplexée » avec la Droite, bref période de furie totale (« en toute conscience, je ne peux plus soutenir ce parti d’inadaptés, de sympathisants des terroristes, de communistes, de barbares »).

La septième étape est bien entamée en Grande-Bretagne, qui pourrait même la porter à un niveau inconnu jusqu’alors (des fonctionnaires anonymes de l’armée britannique ont brandi ouvertement la menace d’une « mutinerie », dans le cas où une élection démocratique porterait Corbyn au poste de Premier Ministre). Cela fait des semaines que les élites, politiques et médiatiques, du Parti Démocrate, se trouvaient en pleine cinquième étape, ils entament en ce moment la sixième. Le passage à la septième est une certitude, si Sanders s’avisait de gagner en Iowa.

En période d’élection, il n’est guère surprenant, il est même légitime, que les équipes en campagne échangent des critiques acerbes. Ce n’est pas un problème ; tous, autant que nous sommes, devrions appeler de nos vœux les contrastes marqués, et le fait que cela se produise dans l’agressivité, l’acrimonie, ne devrait pas nous étonner. Pour accéder au pouvoir, les humains ne reculent devant rien : c’est dans leur nature.

Mais cela ne signifie pas qu’on ne puisse interpréter la spécificité des attaques choisies, ni que celles-ci puissent échapper à toute critique (l’exploitation grossière, cynique, du problème de l’inégalité des sexes par l’équipe Clinton, visant à suggérer que sexisme constitue le terreau du soutien à Sanders, fut particulièrement répugnante, malhonnête, ne serait-ce qu’en raison des mois passés par les mêmes mouvements de gauche, qui soutiennent aujourd’hui Sanders, à tenter de convaincre Elizabeth Warren d’affronter Clinton ; sans parler du nombre élevé de militantes dont ces attaques nient l’existence même).

Dans les deux partis, et d’un bout à l’autre du spectre politique, la classe dominante de Washington provoque la nausée. La raison pour laquelle un grand nombre d’adultes étasuniens veulent pouvoir choisir une alternative à une candidate comme Clinton n’a rien de mystérieux : sa carrière politique, comme sa vie personnelle, baignent dans l’argent de Wall Street, elle éprouve les pires difficultés à condamner une guerre, et son unique conviction politique semble se résumer par « tout ce qui se dit, tout ce qui se fait, pour me porter au pouvoir, se justifie » - tout comme il n’y a rien de mystérieux, derrière la volonté farouche des adultes du Royaume-Uni de trouver une alternative à la lâcheté, au bellicisme, à la haine de la gauche, de Blairistes dont les mains portent les traces indélébiles des quantités de sang qu’ils ont versées.

Mais il est dans la nature des « élites » de s’accrocher au pouvoir avec l’énergie du désespoir, comme d’agresser avec une violence effrénée, quiconque s’avise de remettre en cause, de braver ce pouvoir. C’est ce à quoi nous avons assisté au Royaume-Uni lors de l’émergence de Corbyn ; c’est ce que nous observons en ce moment aux États-Unis, où Sanders représente désormais une menace. Dans les deux cas, les attaques sont identiques, ce qui n’a rien de surprenant – la même dynamique de prérogative des élites est à l’œuvre – mais l’utilisation d’un scénario identique, dans les deux cas, a quelque chose de saisissant.

Glenn Greenwald

https://theintercept.com/2016/01/21/the-seven-stages-of-establishment-backlash-corbynsanders-edition/

1 En France, d’antisémitisme (N. d. T.)
2 En France, rajouter Poutine/Assad/Castro ... (N. d. T.)

»» http://echoes.over-blog.com/2016/02...
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