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La nécessité de la socialisation des moyens de production (1) : la démocratie en entreprise

Nous ouvrons ici une série d’articles visant à expliquer certains aspects qui rendent nécessaire la socialisation des moyens de production.

Mais qu’est-ce au juste que la socialisation des moyens de production ? Un bref rappel s’impose.

En régime capitaliste, les moyens de production (terres, machines, bâtiments d’usines, bureaux, etc) sont la propriété quasi-exclusive (disons monopolistique) d’une infime minorité d’individus, la classe capitaliste. C’est sur le droit à cette propriété lucrative que se construit l’ossature de la société capitaliste. La socialisation des moyens de production n’est pas la nationalisation, au sens où l’on peut, au sein d’un régime capitaliste, nationaliser certaines entreprises, c’est-à-dire les faire devenir propriété de l’état, comme ce fut un temps le cas pour la quasi totalité des compagnies ferroviaires d’Europe. La nationalisation en régime capitaliste ne remet pas en cause le caractère capitaliste du mode de production dominant, même si elle fait passer dans le domaine public des activités productives parfois très importantes. La socialisation des moyens de production, telle que nous l’envisageons dans le cadre d’un passage au mode de production socialiste, est l’appropriation par l’ensemble de la société de la totalité de tous les grands moyens de production et d’échange. Cela signifie qu’en l’espace de très peu de temps, des pans entiers de l’industrie, des transports, des communications... secteurs autrefois dans le giron des capitalistes, sont “nationalisés”, tous ces moyens de production deviennent la propriété collective de l’état socialiste.

Notre exposé se bornera à expliquer pourquoi la socialisation des moyens de production - qui ne se comprend ici qu’au sens strict de la révolution socialiste-communiste - permettrait de résoudre des problèmes importants dans notre société, problèmes d’ordre démocratique et écologique, même si des questions de bien d’autres ordres pourraient être soulevées.

La démocratie salariale

Qu’est-ce que la démocratie en entreprise ?

On appelle “démocratie en entreprise” un grand nombre de réalités très diverses, dont notre ambition n’est pas ici de faire un tableau complet. Nous commencerons au contraire par une réflexion plus abstraite, en partant des concepts ou notions employés ici.

Qu’appelle-t-on démocratie ? Si nous voulions traiter cette question dans le détail il nous faudrait sans doute des heures de travail, de recherche historique et philosophique pour y parvenir. Fort heureusement notre ambition n’est pas ici de détailler ce qu’est la démocratie dans ses différentes formes historiques, mais simplement de rappeler brièvement qu’elle est par étymologie le pouvoir (kratein) du peuple (demos), le pouvoir exercé non pas par un représentant du peuple ou par un tyran de quelque sorte que ce soit, mais par ce qui est dans d’autres régimes ce sur quoi s’exerce le pouvoir, donc le peuple.

L’entreprise quant à elle se définit ici comme le lieu où se fait la production de valeur économique. Ainsi la démocratie en entreprise consisterait à appliquer les préceptes de la démocratie valant pour l’ensemble de la société - égalité politique, liberté de participation et d’association, entre autres - à cette partie de la société dédiée à une production particulière qu’est l’entreprise.

En théorie, il est tout à fait alléchant de vouloir étendre les principes démocratiques au lieu où le salarié “normal” passe 35 heures de sa semaine. En pratique la société capitaliste entre violemment en contradiction avec la volonté de démocratiser l’entreprise, ce que nous allons voir ici.

Pour notre démonstration nous considérons d’abord le cas d’une hypothétique grande entreprise capitaliste comportant plusieurs centaines, voire milliers de salariés. Si dans la France d’aujourd’hui le gros du salariat n’est pas forcément employé dans de pareilles entreprises, l’ensemble de la société est en revanche dépendant d’elles car elles fournissent aux plus petites entreprises le gros de leurs commandes, elles alimentent le marché de leur production, bref elles sont l’ossature de la forme capitaliste moderne qu’est le capitalisme-impérialisme monopoliste.

Dans l’entreprise capitaliste l’outil de production (la machine-outil, l’usine...) est la propriété d’une infime minorité d’actionnaires et cette propriété fonde le droit de ces capitalistes à dicter la manière dont s’organise la production, chose vraie a fortiori depuis que le capitalisme est devenu actionnarial, c’est-à-dire depuis que les conseils d’administration des grandes entreprises sont de plus en plus soumis aux décisions des actionnaires.

Considérons le cas de la famille Arnault : vers fin décembre 2017, le groupe Arnault possédait 46,84% du capital du groupe de luxe LVMH, et 63,13% des droits de vote au conseil d’administration. C’est la réalité des grandes entreprises qui contrôlent le monde économique et par extension le monde politique. On voit bien que dans ces entreprises la gestion capitaliste réserve à ceux qui sont propriétaires des moyens de production l’apanage exclusif des grandes décisions stratégiques relatives à l’investissement, à la recherche et développement, en bref à tout ce qui concerne la production des biens et services qui font marcher la société. Au sein de ces entreprises le salarié de base, l’ouvrier, le technicien, jusqu’aux cadres de certains niveaux n’ont aucun réel pouvoir de décision. Quelques instances leur permettent d’exprimer des revendications, comme les instances syndicales. Mais ces instances, acquises de haute lutte par le prolétariat sont tout juste tolérées par le grand patronat qui n’hésite pas à recourir au fascisme quand il s’agit de briser des grèves et de casser les salaires.

On voit ici que dans le capitalisme, l’entreprise de grande taille qui domine l’économie - car la taille fait la force dans la concurrence sauvage de l’économie capitaliste - est par nature incompatible avec la démocratie. Le peuple des salariés n’a en principe et de fait aucun droit à participer effectivement à la gestion des grandes questions économiques et techniques qui se posent au collectif. Son droit limité de se battre pour maintenir ou élever son niveau de salaire et améliorer ou sauvegarder ses conditions de travail n’est en rien un droit à posséder l’entreprise ou à la gérer. Il faut comprendre ici cette chose cruciale que c’est la propriété des moyens de production qui confère le pouvoir sur la production elle-même, donc sur celles et ceux qui vendent leur force de travail au sein du processus de production.

Il existe cependant au sein de la société capitaliste quelques tentatives démocratiques en entreprise. Beaucoup ne sont que la poudre aux yeux et servent dans les faits à légitimer par un aspect “citoyen” des pratiques à peu près aussi autocratiques que par le passé, comme le “management participatif”. Pourtant il existe, sous le nom d’autogestion, des formes de réelle démocratisation de l’entreprise. Précisons que notre sujet n’est pas la forme que peut prendre le caractère démocratique de la vie en entreprise, mais simplement la contradiction entre capitalisme et démocratie. Un cas récent est celui d’Ecopla, une société Iséroise leader en Europe de la fabrication de barquettes alimentaires en aluminium. Cette société menacée de rachat par son principal concurrent était passée de mains en mains pendant plusieurs années : la banque Barclay’s, puis un capitaliste sino-australien... Face à la menace de rachat s’était monté un projet de SCOP (Société COopérative et Participative, un type de société anonyme où les salariés sont actionnaires majoritaires et détiennent au moins 65% du droit de vote). Mais la SCOP s’est heurtée à la décision du tribunal de commerce de Grenoble qui a bradé l’entreprise à l’Italien Cüxi pour 1,5 millions d’euros, une peccadille.

Voilà un cas qui illustre à quoi sont tendanciellement condamnées les initiatives autogestionnaires au sein de la société capitaliste : la domination du grand capital rend quasiment impossible la démocratisation interne de l’entreprise. Bien sûr il existe des SCOP qui fonctionnent, mais celles-ci n’échappent ni à la logique marchande du mode de production capitaliste ni à un éventuel rachat par quelque grand groupe monopoliste, car elles sont structurellement trop faibles pour faire face.

Face à cela, quelles perspectives envisager pour la gestion démocratique dans un mode de production socialiste ?

Sous le socialisme le mode de propriété dominant des moyens de production est la propriété étatique. Est-ce à dire qu’un Etat omnipotent impose nécessairement une gestion technocratique de l’entreprise ? Le mode de production socialiste est-il condamné lui aussi à empêcher la réalisation d’une démocratie en entreprise ?

La réponse est non et tient à la nature du mode de production socialiste.

Sous le socialisme les grandes questions économiques sont du ressort de la puissance publique, donc soumises autant que les institutions étatiques le permettent au questionnement du débat démocratique de l’ensemble de la société. Cela signifie que si la volonté générale formulée par le débat réellement démocratique décide des grandes orientations macroéconomiques de la production (par exemple : faut-il privilégier le train ou la voiture ? faut-il produire plus de blé ou plus de maïs ?), elle peut également décider de la manière dont doit s’organiser le procès de production interne à chaque entreprise. Alors est rendue possible, par la rencontre entre la volonté générale et la gestion démocratique une réelle démocratie en entreprise. Il est en effet tout à fait possible, et même à notre sens souhaitable, que la volonté générale décide que la démocratie en entreprise est un bien à rechercher en soi. Ainsi, si les décisions macroéconomiques restent du ressort de l’Etat, la manière dont elles sont mises en oeuvre au sein des entreprises peut être contrôlée pour répondre à des critères de gestion démocratique contrôlés collectivement, au niveau de l’entreprise et de l’ensemble de la société.

L’articulation de la gestion démocratique et de la propriété collective des moyens de production est une question vaste, qu’un article comme celui-ci ne peut prétendre explorer à fond. Nous gageons néanmoins que ce texte a pu montrer d’une part l’incompatibilité entre capitalisme et démocratie en entreprise, d’autre part la possibilité par le passage au socialisme d’une démocratie salariale.

Dans un prochain article, nous verrons en quoi la socialisation des moyens de production permet de penser la démocratie non pas simplement à l’échelle de l’entreprise, mais à l’échelle de la société toute entière.

»» http://jrcf.over-blog.org/2019/03/l...
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