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Goodyear. La mort en bout de chaîne

La mort en bout de chaîne ou la queue à Pôle Emploi ? Ni l’une ni l’autre !

Le 31 janvier dernier, l’Union locale CGT d’Aulnay organisait à la bourse du travail d’Aulnay-Sous-Bois une soirée projection - débat de solidarité avec les travailleur-se-s en lutte, autour du documentaire « Goodyear. La mort en bout de chaîne », en présence de son réalisateur Mourad Laffitte, de Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail (PS) et de syndicalistes de PSA Aulnay. Si l’on n’a pu compter sur la présence de Mickaël Wamen, délégué CGT du site Goodyear d’Amiens Nord, c’est que la lutte des classes a bousculé son calendrier ces derniers jours. En effet, le matin même, la direction de Goodyear annonçait à l’issue d’un comité central d’entreprise son projet de fermeture du site d’Amiens Nord, provoquant la colère de ses salariés en lutte depuis plus de 6 ans contre les licenciements. Au même moment, les salariés de PSA Aulnay en étaient à leur dixième jour de grève. La projection tombait donc à pic, et le débat entre la cinquantaine de personnes présentes dans la salle témoignait de la nécessité d’initiatives permettant de faire converger les luttes entre toutes les boîtes victimes de licenciements.

Dans son documentaire projeté pour la première fois au festival du film d’Amiens de novembre 2011, Mourad Laffitte revient sur les conditions de travail chez Goodyear. C’est à l’occasion du tournage entre 2006 et 2009 de « Chronique d’une délocalisation programmée », documentaire sur la lutte des 1300 salariés de l’usine Goodyear d’Amiens Nord, qu’il découvre un rapport accablant, établi en 2007 à la demande du CHSCT suite à une enquête de la revue Que Choisir révélant que les pneus Goodyear présentent un taux de produits toxiques anormalement élevé. Ainsi, « La mort en bout de chaîne » nous révèle qu’en plus des menaces de délocalisation et de licenciements qui planent sur les travailleurs de Goodyear depuis des années, ceux-ci sont exposés quotidiennement, à leur insu, à des substances chimiques extrêmement nocives, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) du carbone utilisé dans la fabrication de la gomme. Les HAP font partie avec l’amiante de l’heureuse famille des produits dits « CMR », un sigle qui peine à dissimuler sa dangerosité : cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques ou tout à la fois, ces composés peuvent provoquer des cancers, des mutations génétiques et/ou la stérilité. Les HAP sont notamment responsables de cancers de la vessie, de la prostate et des testicules. Or l’étude réalisée en 2007 révèle que les pneus Goodyear présentent une teneur en HAP huit fois plus élevée que ceux des marques concurrentes.

Qui plus est, l’usine que l’on sait vouée à la fermeture est maintenue dans un état de déliquescence qui expose plus encore ses salariés aux émanations toxiques : les machines sont vétustes, les locaux insalubres et les conditions de travail abominables, provoquant des accidents quotidiens, dont la fréquence a augmenté ces dernières années avec l’accélération des cadences de travail et sous la pression constante infligée aux salariés. En 1985, Goodyear était parvenue à imposer à ses salariés une réorganisation du travail en 4x8, comme si les 3x8 n’étaient pas déjà suffisamment éreintantes : tous les deux jours, il fallait changer de rythme, en travaillant successivement le matin, l’après-midi et la nuit, en plus des heures supplémentaires, avant d’avoir droit à deux jours de repos. « On faisait 48+8, soit 56 heures. Je ne sais pas comment Goodyear arrivait à avoir des permissions de l’inspection du travail pour pouvoir travailler tant d’heures », raconte Jean-Claude, aujourd’hui retraité et difficilement remis d’un cancer du larynx. Comme lui, nombreux sont les travailleurs qui dénoncent les répercutions que le travail à l’usine a sur leur vie privée : « quand on rentrait, on était épuisés, on ne parlait même pas à notre femme ». Mais rien de cela ne suffisait à arrêter la direction de Goodyear, dont le mépris pour ses travailleurs ne connait aucune limite, allant jusqu’à leur refuser les protections individuelles à la hauteur du risque encouru : « fin 2000 on a eu des masques… UN masque ! Et dans la journée il ne fallait pas en demander un deuxième. Tu montais dans le dépoussiéreur avec un masque, tu redescendais il était noir, et il fallait le garder de côté alors que dedans il était déjà tout gris… », poursuit Jean-Claude avec amertume.

On ne s’étonnera donc pas que de nombreux anciens salariés manquent à l’appel lorsque la CGT décide de créer, en 2011, une association de salariés et d’ex-salariés de Goodyear : bon nombre sont décédés de cancers, certains ayant été foudroyés avant même d’atteindre l’âge de la retraite. Dans le cas de Jean-Claude, après 30 ans à respirer des émanations toxiques et trois ans d’arrêt maladie pour son cancer du larynx, celui-ci s’est fait violemment licencier pour « inaptitude définitive à tous postes de l’entreprise », et sans possibilité de reclassement. Le même sort a touché Bernard, atteint d’un cancer de la gorge et d’insuffisance respiratoire. Dans les deux cas, Goodyear s’est obstiné à nier l’évidence : le caractère professionnel de la maladie. Lucie, dont le mari est décédé en quelques mois d’un cancer de la prostate l’année même où il avait pris sa retraite, a décidé de se battre : « J’irai jusqu’au bout, je ne lâcherai pas, il faut qu’ils nous donnent des réponses pour ne pas aller faire autre chose ailleurs ».

En 2011, la CGT parvient, au terme d’une lutte judiciaire acharnée, à arracher quelques miettes à la direction de Goodyear : 50 000 € à verser aux syndicats, plus 1000€ pour chacun des deux directeurs, une amende qui pousse leur avocatà l’ironie :« ce n’est pas l’euro symbolique mais ce sont les 1000€ symboliques ». Et pour cause, le seul chef d’accusation retenu contre Goodyear a été le défaut d’information des salariés sur les risques encourus. Une mauvaise plaisanterie de la part du tribunal, alors que les salariés portaient plainte pour « non-assistance à personnes en danger, homicides involontaires et non-respect de la législation sur les HAP ». Mais comment pouvait-on espérer de la justice bourgeoise qu’elle reconnaisse le caractère professionnel des pathologies des salariés, alors qu’il est tellement plus facile de traiter les victimes et leurs familles comme des ouvriers ignares et paranoïaques, à l’image de l’avocat de la multinationale : « on se fait traiter de criminels, c’est quand même assez étonnant (…). On a fait un gros effort pour mettre au point les fiches, donc il ne faut pas faire de cette affaire une affaire de maladies professionnelles (…). Si un salarié est en situation d’établir qu’il est tombé malade à causes des conditions dans lesquelles il travaillait au sein de l’entreprise, sa maladie sera reconnue professionnellement. Ca arrive hélas parce qu’on ne sait pas travailler, sans parfois s’exposer, ça arrive dans bien des secteurs d’activités, dans bien des entreprises  ». Nous voilà rassurés.

A la lueur de ces témoignages, la CGT de Goodyear s’interroge légitimement sur le lien entre les cancers des salariés et la fermeture du site : est-il anodin qu’en 2008, l’année suivant la publication du rapport sanitaire, Goodyear ait annoncé son premier PSE avec 400 licenciements à la clé ? L’annonce de la fermeture du site ne serait-elle pas aussi un moyen d’étouffer un scandale sanitaire qui pourrait leur coûter gros ?

Quoi qu’il en soit, le drame vécu par les dizaines de familles de victimes doit nous renforcer dans notre conviction que nous n’avons rien à attendre de la direction de Goodyear : les salariés doivent aujourd’hui plus que jamais continuer à se battre contre les licenciements en refusant de croire aux mensonges du patronat, qui voudrait faire accepter aux travailleurs de revenir aux 4x8 sous couvert de garder leur emploi, alors que l’on sait pertinemment que le site finira tôt ou tard par fermer. Car l’expérience de nos camarades de Continental, qui avaient accepté de travailler plus et ont fini à Pôle Emploi, nous a démontré que nous n’avons rien à négocier avec les capitalistes. Face au démantèlement du code du travail, aux plans de licenciements, à la liquidation de la médecine du travail et à la criminalisation des militants syndicaux, nous ne pouvons compter que sur nos propres forces pour lutter contre ceux qui nous exploitent. Les cancers des Goodyear sont une démonstration supplémentaire du caractère inhumain du capitalisme, qui n’hésite pas à tuer ses ouvriers au travail pour un peu que cela rapporte aux actionnaires. Nous devons mettre à bas ce système, qui enrichit un petit nombre au prix de la souffrance au travail du plus grand nombre. Seul le contrôle des ouvriers sur la production permettrait d’améliorer réellement les conditions de travail, en répartissant le travail entre toutes et tous pour travailler moins et en toute dignité. Refusons les cadences infernales imposées par le patronat, refusons la mort en bout de chaîne, organisons la convergence des luttes entre toutes les boîtes victimes de licenciements !

Ce mardi 12 février 2013 se tiendra le prochain Comité Central d’Entreprise de Goodyear. A cette occasion, la CGT Goodyear appelle à un rassemblement devant le siège du groupe à Rueil-Malmaison. Soyons nombreux à apporter notre solidarité avec les salarié-e-s de Goodyear en lutte contre la fermeture du site d’Amiens Nord, ce mardi 12 février à 8h30 à Rueil-Malmaison !

Flora Carpentier

Source : http://www.ccr4.org/La-mort-en-bout-de-chaine-ou-la-queue-a-Pole-Emploi-Ni-l-une-ni-l-autre-camarades

10/02/13

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