J’ai eu le réel bonheur d’assister tout récemment à une répétition du Lac des cygnes donnée par le corps de ballet de Perm, dans une salle de spectacle du Grand Toulouse.
Pour moi qui ne connais pas grand-chose à la danse classique, à la chorégraphie, à la culture russe, ce fut une fin d’après-midi rare.
La ville de Perm (qui fut appelée Molotov de 1940 à 1957, en l’honneur de ce diplomate très proche de Staline qui signa de sa main des milliers de condamnations à mort) est située au pied des monts Oural. Ce centre industriel compte un million d’habitants. Son corps de ballet est, semble-t-il, un des meilleurs au monde. Perm est la patrie du célèbre Diaghilev, grand organisateur d’événements chorégraphiques au début du XXè siècle (les fameux Ballets russes).
Avant la répétition proprement dite, nous eûmes droit à quelques prises de parole fort enrichissantes. Le directeur de la salle présenta l’événement ; une ancienne danseuse étoile française nous parla du Lac des cygnes, le directeur administratif de l’École chorégraphique de Perm évoqua la place de la culture dans sa ville. Quant au directeur artistique du corps de ballet, il évoqua longuement la place de la danse dans la société russe contemporaine.
Ces brèves allocutions furent l’objet de deux incises très intéressantes, parfaitement dans l’air du temps. Alors que le directeur artistique russe évoquait « le ballet du Kirov de Leningrad », le responsable français crut bon de lui couper la parole en corrigeant par un « Kirov de Saint-Pétersbourg ». Ce à quoi le Russe rétorqua : « Non, à l’époque, il s’agissait de Leningrad ! »
Puis ce même responsable russe expliqua que, sous Brejnev, le Lac des cygnes devait se terminer de manière positive, par une sorte de happy ending en accord avec le réalisme socialiste, alors que, on le sait bien, cette oeuvre romantique connaît une fin douloureuse.
Je n’ai personnellement aucun moyen de vérifier cette assertion, mais supposons qu’elle soit avérée. Cela signifie naturellement que, dans ce domaine comme dans bien d’autres, ce régime mentait, le mensonge étant une des causes ayant mené à sa perte. Mais, à mes yeux, l’important est ailleurs. Un jeune cadre russe se produisant à l’étranger (j’allais dire : de l’autre côté du Rideau de fer) se croit tenu, par ce type de remarques qui enfonce des portes ouvertes, de faire allégeance au monde capitaliste qui, lui, c’est bien connu, ne ment jamais, n’est jamais dans la propagande.
Quant à l’administrateur français, il pratique l’oubli sélectif, comme si l’URSS n’avait jamais existé. Mais c’est justement parce qu’elle fut, avec ses qualités, qu’un journaliste du Nouvel Observateur pouvait écrire récemment, à propos de la venue des danseurs de Perm en France : « Alors qu’il est de plus en plus difficile pour le public français de pouvoir admirer les grands ballets du répertoire classique, hors de Paris, une superbe compagnie de danseurs russes, venue des confins de l’Europe, poursuit avec succès une tournée en France. »