Exil de la jeunesse et chômage de masse
Un autre problème que rencontrent les Antilles françaises, c’est celui de l’exil de la jeunesse vers la métropole. En 2012, l’Insee recensait 49 603 personnes âgées de 15 à 29 originaires de Guadeloupe venues s’installer en France métropolitaine [1]. En 2017 3315 personnes inscrites à Pôle emploi ont bénéficié d’une formation en mobilité par l’intermédiaire de l’agence gouvernemental LADOM, chargée de mettre en place ce genre de parcours. Toutefois, ce genre de formations ne permettent que de préparer des diplômes CAP ou Bac +2 et n’offrent donc l’accès à aucun poste hautement qualifié. C’est sans compter les jeunes qui partent sans cet accompagnement. Pourquoi cet exil massif ?
Selon le Bureau International du Travail, la population active de Martinique est estimée à 153 000 personnes âgées de 15 ans ou plus, dont 27 000 de ces actifs sont au chômage. La population inactive représente 250 000 personnes dont 23 000 élèves, étudiants ou stagiaires en formation [2]. En Guadeloupe, le nombre d’actifs de 15 ans ou plus (chiffres de 2017) s’élève à 158 000 avec 35 000 personnes au chômage [3]. Leur nombre d’inactifs s’élève à 155 000 personnes. En 2018, le chômage se stabilisait en Martinique, mais restait plus élevé qu’en France pour la même période[4]. Les premiers touchés par le chômage sont les jeunes de 15 à 29 ans (41%) : on constate une augmentation de 3% par rapport à 2017. En Guadeloupe, le chômage des jeunes apparaît en des termes similaires.
Les raisons qu’invoquent l’INSEE pour justifier ce chômage sont :
la sortie abrupte du système scolaire que connaissent certains jeunes sans diplômes ;
le faible niveau de qualification des étudiants, ce qui les rend inadéquats à certains postes ;
l’étroitesse du marché du travail.
Si on considère seulement les actifs ayant un emploi, 87% des actifs sont salariés en Martinique [5] et 83% en Guadeloupe. Le tertiaire reste le principal employeur des Antilles françaises, notamment dans l’administration car le statut de la fonction publique peut permettre une certaine élévation sociale bouchée par ailleurs (mais de plus en plus restreintes comme en France), et les femmes y sont majoritairement représentées : 91% en Martinique et 93% en Guadeloupe. Malgré cette surreprésentation dans l’emploi tertiaire, il reste un écart entre les hommes et les femmes au niveau du salaire [6].
En plus de ces catégories, nous devons prendre en compte le sous-emploi d’une partie de la population. C’est une catégorie des travailleurs à temps partiel, souhaitant travailler davantage et étant disponible pour le faire, qu’elles recherchent ou non un emploi, en plus de ceux ayant travaillé pour des raisons économiques exceptionnelles (saisonniers). Il s’agit aussi du recours fréquent à plusieurs activités afin de toucher un salaire plus juste. En Martinique, cela représente 11% des actifs ; en Guadeloupe, 12% des actifs. Les principaux touchés sont les femmes, les jeunes, les ouvriers et les employés non qualifiés ; auxquels il faudrait encore ajouter les personnes se situant en dehors de la définition du chômage telle que définie par le Bureau International du Travail [7].
Ce problème du chômage s’aggrave encore avec le départ en masse de la jeunesse pour la métropole, car cela permet au patronat – comme le dénonce le syndicaliste guadeloupéen Élie Domota – de justifier l’absence d’embauche et l’import d’une main d’œuvre immigrée. Il s’agit là d’une belle arnaque qui permet, dans les cas de grands travaux, de toujours payer à moindre prix les salaires bon marchés tout en assurant un maximum de profit. L’idée consiste à maintenir la population dans un état de dépendance par le chômage et par le sous-emploi. On le constate singulièrement avec le chantier du CHU de Guadeloupe, où sont investies des sommes considérables, et qui devrait normalement créer de nombreux d’emploi. L’UGTG, le syndicat majoritaire de Guadeloupe (dont fait partie Élie Domota), s’est inquiété, dans une lettre au préfet, de l’apport en emplois : « Le manque d’anticipation sur les questions liées à la formation et au développement de compétences conduit inexorablement à une disqualification des travailleurs demandeurs d’emploi en Guadeloupe, singulièrement sur les postes d’encadrement. »
Le chômage d’une partie de la population est donc loin d’être l’effet du seul manque de formation des Antillais, que l’État pourrait résoudre en accordant les moyens nécessaires à la politique éducative, notamment dans les lycées professionnel. Il s’agit en fait d’une véritable stratégie menée par les capitalistes locaux et métropolitains afin de conserver leur domination économique sur les îles.
En conclusion, il existe bien une persistance du système coloniale aux Antilles, aussi bien par l’effet de la monopolisation des moyens de productions par une caste dominante et par la métropole (comprendre les capitalistes de la métropole), allant de paire avec un mépris pour les populations locales pour leur santé, leur sécurité et leur droit au travail. Les communistes dénoncent cette exploitation et la combattrons nécessairement avec les organisations combatives des Antilles françaises.
[1] « Pourquoi l’Outre-mer ne parvient pas à retenir ses jeunes », 12/10/2018, Slate.
[2] « Stabilité du chômage en Martinique : Enquête emploi en continu », rapport de l’INSEE du 11/04/2019.
[3] « Enquête emploi en continu en Guadeloupe – le chômage diminue en 2017 », rapport de l’INSEE du 10/04/2018.
[4] 9%.
[5] Dans ces 87%, 82% sont en CDI ou sont fonctionnaires titulaires. Remarquons que les femmes sont davantage salariées à 91% (contre 81% pour les hommes), mais souvent dans des postes moins qualifiés.
[6] A titre d’exemple, le rapport de l’INSEE sur la Guadeloupe :
« L’écart hommes-femmes étant de cinq points dans la construction, six dans l’industrie et quinze dans l’agriculture. »
« Sur dix personnes en emploi, deux sont artisans, commerçants, chefs d’entreprise ou cadres, deux occupent une profession intermédiaire, quatre sont employés et deux ouvriers. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes parmi les professions intermédiaires et occupent plus souvent des postes d’employés, mais elles sont minoritaires chez les ouvriers, ainsi que chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprise. »
[7] C’est-à-dire les personnes en-dehors de la définition du chômeur selon le BIT : personne en âge de travailler qui répond à trois conditions : 1) être sans emploi et ne pas avoir travaillé une heure durant une semaine de référence ; 2) être disponible pour un emploi dans les 15 jours ; 3) avoir cherché activement un emploi dans les mois précédents ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.
Cela signifie que toute personne sans-emploi mais n’entrant pas strictement dans cette catégorie n’est pas au chômage.