La conséquence la plus tragique du coup d’État (de 2016, qui a écarté Dilma Rousseff de la présidence NdT) est la destruction du Brésil en tant que nation et la décomposition morale de ses institutions. Si l’impeachment représentait lui-même une attaque contre les fondements démocratiques et républicains de la Constitution, le travail du gouvernement illégitime (de Michel Temer NdT) vise la destruction implacable et impitoyable du sens social que le pays a construit depuis la Constitution de 1988. Les mesures gouvernementales parlent d’elles-mêmes et sont synthétisées dans la PEC des dépenses (projet d’amendement de la Constitution gelant les dépenses publiques durant 20 ans NdT), dans les propositions de réforme des pensions et du travail et dans la lente destruction des programmes sociaux tels que Prouni (bourse d’accès à l’enseignement supérieur), Minha Casa Minha Vida (accès à la propriété), Bolsa Família (allocation famille), financement des étudiants, etc.
Le gouvernement fédéral et les gouvernements des États, en particulier à Rio de Janeiro, São Paulo et Rio Grande do Sul, ont détruit la recherche scientifique et la culture, coupant le financement, fermant les institutions et les instituts de recherche, mettant fin aux programmes, supprimant des orchestres symphoniques, sapant les universités publiques.
Il existe un complot anti-social délibéré, contre la science, la recherche, la culture, l’éducation et la santé publique. Il faudra des décennies de reconstruction, avec des pertes incalculables en termes de progrès, de ressources et de capacités. Ce qui est en cours est une catastrophe sociale majeure, avec un massacre des droits d’une ampleur rarement vue dans notre histoire.
D’un point de vue économique, à Brasilia, le pays est à vendre. Les groupes d’assaut entourent le gouvernement prêt à les satisfaire, leur fournissant pétrole et gaz, services et infrastructures, bien-être et droits sociaux, pardonnant les dettes de l’agro-industrie, dans un jeu dévastateur de piraterie économique. Le résultat est une économie paralysée avec près de treize millions de chômeurs, avec des entreprises fermant leurs portes et la production au ralenti (Ford vient de mettre en vacances forcées ses ouvriers NdT). Le miracle de la récupération rapide s’est avéré être un grand mensonge. [1]
Le plus grave est le travail délibéré de la décomposition morale des institutions. Le gouvernement a perdu toute modestie, tout sens de la limite, du raisonnable, du respect. C’est un gouvernement de gangs qui promeut des criminels à des postes gouvernementaux tous les jours, prouvant que le PMDB (parti du président illégitime Temer NdT), appuyé par le PSDB (parti du candidat vaincu aux élections présidentielles de 2014, Aécio Neves NdT) et les partis du centrão (partis du centre, sans qui le coup d’État n’aurait pas été possible NdT), a promu le coup d’État pour chercher protection par le forum privilégié (quasi immunité ministérielle, puisque les ministres ne peuvent être jugés que par la Cour Suprême, et quand on sait ce qu’est devenue la Cour Suprême... NdT).
La perte de modestie s’est transformée en cynisme et en mépris, sans scrupules et décence. C’est la conséquence logique de la grande farce rassemblée autour de l’impeachment. Si la société s’est mobilisée (dans des manifestations « anti-corruption » contre le gouvernement Dilma et qui ont disparu comme par magie NdT) pour livrer le gouvernement aux mains de la bande de corrompus la plus grande et la mieux organisée que le Brésil ait jamais connue, ce gang se sent parfaitement à l’aise dans la promotion de son autoprotection, sans tenir compte des exigences de la morale publique.
Au Congrès, les corrompus se sont organisés pour prendre d’assaut les principales commissions de la Chambre et du Sénat, notamment les comités sur la Constitution et la Justice. Être dénoncé dans l’opération Lava-Jato (énorme opération judiciaire contre la corruption, dont les résultats les plus flagrants sont de paralyser l’économie, d’attaquer les politiciens liés au Parti des Travailleurs, et de tenter d’empêcher l’ex-président Lula de se présenter aux présidentielles de 2018 – mais la Lava-Jato déborde et les politiciens de tout bord sont dénoncés – Michel Temer est cité 43 fois etc... NdT), et être dénoncé pour corruption est devenu une condition pour accéder aux postes de commandement, et aux commissions qui décident. Dans ce pays, il est devenu normal que le président de la République, le président de la Chambre des Députés et le président du Sénat aient de lourdes dénonciations sur leurs épaules. Cela n’a aucune espèce d’importance. Ils ont éliminé les fondements moraux de l’État brésilien.
Les gangs du gouvernement et du Congrès se sont articulés pour indiquer pour le poste de juge à la Cour Suprême une personne qui est accusée de plaider pour le PCC (gang de trafiquants tout puissant à São Paulo NdT), de recevoir des pots de vin et d’avoir plagié des livres de juristes espagnols (Alexandre de Morães, ex-secrétaire à la Sécurité de São Paulo, actuel ministre de la Justice NdT ). Si une telle personne devient ministre de la plus haute cour du pays, chargée de sauvegarder la Constitution et le sens moral de l’État, quelle force un enseignant aura-t-il dans sa salle de classe pour demander aux étudiants de ne pas plagier son travail à partir d’Internet ? Ce que l’on observe, c’est la destruction des valeurs morales qui font les liens de la société, car une partie de cette société, anesthésiée dans son hypocrisie, croit que tout cela est normal et que cela fait partie du jeu politique.
Autorités sans morale et discréditées
Rien d’autre ne compte. Peu importe que le futur ministre (Juge de la Cour Suprême NdT) renonce à l’indécence (il y a quelques jours, Morães a passé une soirée avec une dizaine de sénateurs – que le Sénat doive l’auditionner dans quelques jours en vue de sa nomination n’a pas l’air d’avoir la moindre importance – sur un love boat bien connu, un motel flottant dont la destination principale n’est pas exactement la réunion d’honorables sénateurs de la République avec un ministre de la Justice candidat à la Cour Suprême NdT). Et cela ne compte pas pour la majorité des ministres (juges) actuels de la Cour suprême, qui, sans honte, sans vertu, sans prudence et sans décence, se sont montrés favorables à l’entrée d’Alexandre de Moraes dans ce collège suprême des autruches en capes noires.
Quel est le sens moral donné au pays avec la nomination d’un ministre de la Cour suprême avec l’intention claire de protéger les personnes corrompues ? Que peut-on attendre de la moralité sociale quand les juges sont proches de ceux qu’ils doivent juger, comme c’est le cas de Gilmar Mendes (Juge de la Cour Suprême et soutien actif du PSDB NdT) avec Temer et des tucanos de haute volée ? (le toucan est l’emblème du PSDB NdT) Le fait est que nos plus hautes autorités ont perdu toute mesure, tout critère, tous bon sens, toute prudence, toute honte. Sans limite morale, sans sens social, sans sens de la justice, sans les valeurs de la dignité et des droits de l’homme, le Brésil du post-coup d’État se décompose quotidiennement, visiblement, en exsudant la putréfaction par tous ses pores.
Les États, comme Rio de Janeiro et Espírito Santo, sont en pleine convulsion. Le gouverneur Pezão (à Rio, déchu de son mandat par la Justice il y a quelques jours pour corruption, mais qui reste en place tant que son recours durera – c’est-à-dire probablement jusqu’à la fin de son mandat en 2018, voire plus NdT) qualifie les manifestants de « vandales ». Mais les vandales sont les politiciens du PMDB de Rio, qui ont saccagé les coffres de l’état (l’ex-gouverneur Sergio Cabral est en prison, et le montant des détournements de fonds, pots de vin etc. dont il fut le promoteur font tourner la tête NdT). Le gouverneur Hartung (de Espirito Santos NdT) dit que « la société est devenue un otage de la police ». Mais la vérité est que la police et la société sont les otages de gouverneurs incompétents qui, en période de tragique normalité, jettent la police contre la société et, en période de bain de sang provoquée par la mutinerie d’une corporation armée, jettent la société contre la police. La société et la police sont victimes d’un jeu de violence atroce, manipulé par les intérêts politiques des dirigeants. Et après sept jours de bain de sang, Temer se manifeste en mettant des chars dans les rues dans un spectacle de force stupide et impuissante (l’État d’Espirito Santo est resté 10 jours sans force policière, laissant l’État et surtout sa capitale Vitoria dans le chaos, avec une vague de règlements de comptes et d’assassinats, les magasins dévalisés, les écoles et les établissements publics fermés. Notons qu’à Rio de Janeiro, il y a déjà une soixantaine de casernes de la police militaire, responsable du maintien de l’ordre, qui sont bloquées par les familles des policiers – puisque les policiers n’ont pas le droit de faire grève... et le Carnaval qui arrive NdT).
Les gangs dans les prisons, la violence et le désordre dans les rues, les affrontements croissants entre manifestants et policiers, l’augmentation du chômage et de la pauvreté et la destruction des institutions étatiques sont l’héritage croissant d’un gouvernement séditieux qui récompense le crime par des postes haut placés. Ce faisant, sans scrupule et sans morale, le gouvernement autorise la barbarie sociale, l’excès, le désordre. Il faut réagir avant que les dégâts ne deviennent trop effrayants. L’opposition et les mouvements sociaux doivent sortir de leur léthargie et de leurs propres crises. Ils doivent être reconstruits dans les luttes, dans les rues, sur les places publiques, car ce sont les meilleurs remèdes pour rétablir les vertus civiques. Les batailles pour la citoyenneté, pour les droits, pour la justice et la liberté sont les meilleurs moyens de notre autocritique. L’assomption de la défaite est toujours l’avantage de l’ennemi.
Le Brésil ne peut pas continuer dans les mains de ceux qui le détruisent. Les jeunes ont besoin d’espoir, les travailleurs veulent des emplois, et les personnes âgées sont impuissantes, craignant une vieillesse sans retraite. Il est nécessaire de ramener le Brésil au stade de la démocratie, du sens social, dans la recherche des droits, de la justice et de l’égalité. Le Brésil a besoin, de toute urgence, d’un gouvernement décent et capable de diriger moralement et politiquement la société. Le gouvernement actuel, par l’immoralité manifeste qu’il représente, mérite la damnation et un éternel oubli.
Aldo FORZIERI
traduit par Lucien, candidat au Label Certifié, Appellation Contrôlée « Mal Pensant » du DECODEX du Monde.
Note du traducteur :
[1] Rien que dans le secteur du commerce, en 2016, la récession de Temer a provoqué la fermeture de 1087 magasins et éliminé 182.000 postes.
https://www.brasil247.com/pt/247/economia/280003/Recess%C3%A3o-de-Temer-fechou-1087-mil-lojas-e-cortou-182-mil-vagas-em-2016.htm
Une étude de la Banque Mondiale montre que le gouvernement Temer provoquera le rejet vers l’extrême pauvreté de 3,6 million de personnes.
https://www.brasil247.com/pt/247/economia/280000/Com-Temer-Brasil-ganhar%C3%A1-at%C3%A9-36-milh%C3%B5es-de-’novos-pobres’.htm