Bradley Manning, le soldat américain responsable d’avoir transmis des centaines de milliers de câbles diplomatiques et des documents de l’armée US à WikiLeaks, a pris la parole à son procès mercredi lors de la phase de détermination de la peine pour présenter ses excuses à la juge militaire présidant le tribunal militaire, la colonelle Denise Lind. Sa déclaration sous serment a duré trois minutes avant que la défense ne dépose ses conclusions.
En juillet dernier, Manning a été reconnu coupable de 20 infractions. Il fait face actuellement à une peine de prison maximale de 90 ans. Manning a déclaré mercredi :
« Je suis désolé que mes actions aient blessé des gens. Je suis désolé qu’elles aient blessé les Etats-Unis »
Parce qu’une grande partie des 19 mois du procès a été menée sans information publique des documents judiciaires jusqu’au 1103ème jour de la procédure, beaucoup pourraient être surpris d’apprendre que la déclaration de Manning de mercredi est conforme à d’autres qu’il a faites devant la cour martiale.
De nombreux lecteurs connaissent les extraits d’une déclaration de 20 pages que Manning a lue lors d’une audience en février, où il a plaidé à neuf « infractions mineures incluses » ("lesser included offenses") de l’Espionage Act et pour un refus d’obéir à un règlement légal pour avoir stocké à tort des documents classifiés. Dans cette déclaration, Manning a expliqué ses motivations pour avoir libéré des informations explosives, comprenant une vidéo de juillet 2007 d’une attaque aérienne à Bagdad en Irak qui a tué deux journalistes de Reuters, au moins douze civils et blessé deux enfants.
Dans sa déclaration, Manning a décrit l’attitude des pilotes de l’hélicoptère Apache comme déshumanisante et « similaire à un enfant qui torture des fourmis avec une loupe ». L’enregistrement audio de cette déclaration a été libéré plus tard et publié par la Freedom of the Press Foundation.
Cependant, en plus des 20 pages de la déclaration de la Providence Inquiry de février, il y avait de longs échanges entre lui et la juge sur la nature admise de son comportement.
Il est important de noter que la déclaration sous serment de Manning mercredi ne disait pas qu’il « avait nui » [« harmed »] aux Etats-Unis. Alors qu’une grande partie de l’audience de la détermination de la peine a été conduite à huis clos hors de l’attention du public. En séances publiques, les témoins de l’accusation ont témoigné qu’aucun dommage réel n’a eu lieu et que les fuites de Manning n’ont causé aucune mort. Pendant la phase de détermination de la peine, les procureurs ont présenté les preuves des efforts d’atténuation du gouvernement et le témoignage d’opinion d’ « expert » par des employés et des contractuels fédéraux et que les fuites ont impacté les rapports diplomatiques et les relations avec des gouvernements étrangers et pourraient être utilisés à l’avenir par al-Qaïda pour sa propagande.
Expliquant sa culpabilité à neuf infractions en février pour avoir discrédité le service, Manning a déclaré :
Le public voit que ces documents ont été divulgués et que ça altère leur perception et leur impression quant à savoir si les forces armées dans leur ensemble peuvent sauvegarder des informations.
Mercredi, Manning a également déclaré :
« Je n’ai pas non plus apprécié les effets étendus de mes actions. Ces effets sont plus clairs maintenant pour moi tant par ma réflexion personnelle pendant ma détention dans ses formes variées et par les mérites et les témoignages de la sentence que j’ai vus ici. Je repense à mes décisions et me demande « Comment diable je pouvais, en tant que jeune analyste, croire possible que je pouvais changer le monde pour le meilleur au sujet des décisions de ceux qui détiennent l’autorité compétente ? »
Expliquant sa plaidoirie en février à neuf infractions de préjudices au bon commandement et à la discipline, Manning a affirmé :
« A l’armée, nous avons des règles et des règlementations et des structures conçues pour sauvegarder des informations sensibles, qu’elles soient classifiées ou non classifiées ; j’ai contourné celles-là… Je ne suis pas au bon échelon de paie pour prendre ces décisions ou quoi que ce soit. »
Et maintenant, mercredi Manning a dit aussi :
« Rétrospectivement, j’aurais dû travailler plus énergiquement au sein du système comme nous en avons discuté lors de la Déclaration de Providence (Providence Statement) et j’avais des options et j’aurais dû utiliser ces options »
En février, Manning a refusé d’utiliser l’une ou l’autre défense : une défense de justification (devoir légal) ou une défense de nécessité (menace imminente) qui aurait pu lui être refusé. Il a également redit à la juge que :
« Je n’ai même pas regardé les voies possibles de… d’avoir ces informations relayées correctement, donc. Ce n’est pas comme ça que nous fonctionnons »
Les excuses de Manning ne sont pas un jeu à somme nulle. Pour comprendre Manning, on doit voir ses actes à la lumière de sa morale, non comme une action politique. La défense a soutenu au procès que Manning est un humaniste. Manning ne voulait blesser personne ; en fait, il voulait informer le public américain.
Mercredi, un psychiatre légiste, témoin de la défense, a témoigné sur les motivations de Manning :
« Eh bien, le soldat Manning avait l’impression que les informations qu’il a libérées allaient vraiment changer la vision du monde sur les guerres en Afghanistan et en Irak, et les futures guerres, réellement. C’était une tentative d’apporter des sources multiples à une analyse de la guerre et c’était son opinion que, si en fournissant une multitude de sources (crowdsourcing), une analyse suffisante serait faite de ces documents, dont il a senti la très grande importance, que cela mènerait à un plus grand bien… que la société en général arriverait à la conclusion que la guerre ne valait pas le coup… que réellement aucune guerre ne vaut le coup. »
L’insuffisante couverture de la presse et le manque d’accès public, jusqu’à récemment, à certaines des 35 000 pages de documents judiciaires de ce procès n’ont fait qu’aggraver la situation juridique de Manning. L’histoire de Manning avec les questions d’identité de genre, l’absence de documents des audiences publiques et les déclarations préjudiciables et réactionnelles du gouvernement US depuis trois ans ont laissé Manning en proie à une frénésie de couvertures médiatiques salaces et hyperboliques et à une absence abyssale d’une considération sérieuse des médias.
Manning a dirigé son avocat à s’engager uniquement avec la presse en utilisant les médias de la presse écrite (text-based media) et d’être aussi « précis que possible et d’essayer d’obtenir un réel sujet et d’essayer d’être aussi factuel que possible et d’essayer d’être aussi neutre que possible ». Alors que sa ferveur incroyable est évidente pour beaucoup dans le tribunal militaire, il est difficile de communiquer cela à ceux qui ne l’ont pas vécu. Lors de l’audience relative à sa détention provisoire illégale à Quantico, en novembre 2012, les expressions d’admiration de Manning et le respect pour son commandement actuel, et son charme amical effacé ont même désarmé le procureur militaire principal, le major Ashden Fein, qui souriait à Manning à la fin de son contre-interrogatoire.
Un aspect remarquable de ce procès historique est de voir comment l’attitude de Manning, sa candeur au tribunal et sa relation réservée avec la presse ont fait ressortir dans de sombres reliefs combien l’approche du gouvernement américain a été ampoulée et préjudiciable à son procès.
Manning devrait être condamné la semaine prochaine. On apprendra peut-être enfin, une fois son procès achevé, la vérité sur ce procès.
Alexa O’Brien à Fort Meade, 16 août 2013.
Traduction : Romane