@Danael
Oui, évidemment. Je crois que c’est pour cela que je parle de négligence OU de défaillance. Cette dernière pouvant être externe, comme les conditions sociales qui perturbent le fonctionnement familial, alors que le laxisme est interne et indépendant des conditions sociales. Et puis, j’ai fait cette remarque en ayant en tête des exemples parmi mon entourage qui n’est pas essentiellement prolétaire.
En tant qu’enseignant, je me pose la question du recul de la lecture, élément fondamental de l’accès à la connaissance largement entravé par la démocratisation des écrans et de l’addiction qu’ils causent sans la moindre limite. Ce laisser-faire est partagé par la cellule familiale et par le système qui de facto l’encourage. À qui profite le crime ?
L’argument selon lequel le tout numérique, dont un Lumpenprolétariat « illectronique » (terme que j’emprunte apparemment à Jospin) est encore partiellement exclu, donne accès à l’information globalisée et libre ne fait pas le poids face aux géants des réseaux sociaux et des jeux lorsqu’il s’agit d’émancipation. Il est donc impératif que leur usage (et non pas leur contenu) soit sous le contrôle de l’État dont l’objectif devrait être à la fois d’en garantir l’accès à tous et de l’accompagner chez la jeunesse, comme le fait la Chine par cette politique volontariste que nos médias, propriétés de tycoons qui ont des intérêts importants dans le numérique, s’empressent de qualifier de dictatoriale. C’est vrai que c’est tellement mieux de fabriquer des esprits malléables à la chaîne.
Est-ce que la situation est comparable à celle qui a suivi l’avènement de la télévision devenue objet central du salon des Français ? Il y a indéniablement une proximité, vu les dégâts causés par les médias qui sévissent encore au travers de la lucarne, ces faiseurs d’opinion et créateurs d’angoisses qui pavent la route de la surconsommation. La grande différence est l’individualisation de la pratique : devant les écrans de téléphone, on avale des salades de couleuvres loin du débat que pouvait susciter le regard collectif de la télévision.
@Assim
Comme d’hab’, les informations sur la Chine sont présentées sous un angle angoissant et assombri. Xiong’an est un projet de ville nouvelle verte. Je ne sais pas s’il y avait des terres cultivables, voire un village qui, comme le reportage le prétend, aurait été rasé. Il n’y en a aucune trace sur le Net. Si elle est située à une centaine de kilomètres de Beijing, il y a fort peu de chances qu’il subsiste, et c’est le cas autour des grandes métropoles chinoises, beaucoup de terres cultivées dans un périmètre si proche.
J’ai vécu en Chine au moment où la révolution ferroviaire y a eu lieu et j’ai été impacté de plein fouet par elle dans ma vie quotidienne. La construction de lignes à grande vitesse et de gares ultramodernes, parfois c’est vrai perdues au milieu de nulle part, a été fulgurante.
En 2008, après plusieurs années de vie à Shanghai, j’ai décidé de partir m’installer dans une ville plus petite à sa périphérie. Il faut savoir que les échelles en Chine n’ont plus rien à voir avec les nôtres en France. Une ville de 7 millions d’habitants comme Suzhou y est considérée comme une ville moyenne. Éloigné d’une centaine de kilomètres de Shanghai qui restait mon lieu de travail, j’ai dû entamer une vie pendulaire quotidienne. 2008, c’était les tout débuts du rail express et de nombreux trains étaient encore des trains lents avec lesquels il fallait 3 heures pour faire 100 kilomètres. En moins de deux ans, ils ont disparu presque complètement au profit des TGV locaux qui mettaient 25 minutes pour nous amener à la gare centrale de Shanghai, à 10 minutes de mon boulot. Mais ma vie quotidienne, et celle des milliers de travailleurs pendulaires, s’est grandement améliorée quand les deux gares modernes de Suzhou ont été achevées. Plus besoin de traverser la ville à 5 heures du matin pour prendre le train.
Plusieurs remarques et souvenirs personnels.
Je suis nostalgique de l’époque où les trains lents étaient majoritaires en Chine. C’était un monde en soi et depuis ce temps, je n’ai que très rarement été au contact du petit peuple chinois, celui des travailleurs migrants qui peuplent les gares à longueur d’années. Ce temps où j’étais le seul étranger du wagon dont on se moquait gentiment, à qui on offrait des fruits et des cigarettes que je fumais avec eux entre les wagons.
La fréquentation régulière du monde des gares en Chine a son propre vocabulaire et les amis qu’on s’y faisait, c’était des 铁友 (tiě yǒu), genre de mot-valise qui signifierait « ami du train-express ».
Lorsque je parcourais en train la centaine de kilomètres qui séparent Suzhou de Shanghai, on ne voyait pratiquement plus de campagne subsistante. Au contraire, et la périphérie shanghaienne en est l’illustration, on observait la formation d’une mégalopole agglomérant sur des centaines de milliers de kilomètres carrés les métropoles qui se rejoignent. Et c’est en 2015 que je l’ai vu pour la dernière fois. Quand je pense à la vitesse du changement en Chine...
On ne peut à la fois déplorer la disparition des gares en France et critiquer en quelque manière que ce soit la politique chinoise qui offre à sa population un moyen de déplacement rapide et peu cher au travers d’un pays gigantesque. Les gares chinoises sont propres, faciles d’accès, fonctionnelles. Au début, c’est vrai que certaines ressemblaient à des aéroports vides, mais très vite, elles se sont remplies et elles ont donné aux habitants des villes la possibilité de s’en éloigner facilement, soit temporairement, soit d’aller, comme c’est le cas en France, s’installer dans des espaces, sinon ruraux, beaucoup moins enclavés que les grandes villes. Bref, elles contribuent au bien-être de la population.