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L’ Uruguay à gauche le 31 octobre ?


Vérité et justice, les clés d’un nouvel Uruguay ?


Le Courrier de Genève, samedi 2 octobre 2004.


Lille Caruso de Balbi place de grands espoirs dans les élections nationales du 31 octobre prochain. Selon la coordinatrice de la Commission des familles d’assassinés de la dictature, l’Uruguay du Frente Amplio ne peut admettre que se perpétue l’impunité des ex-tortionnaires.

Nous sommes sur le point d’arriver au pouvoir ! » Le regard brillant de Lille Caruso de Balbi trahit l’émotion de toute une génération. A mesure que s’approchent les scrutins présidentiel et législatif du 31 octobre, comme des milliers de victimes de la dictature, la veuve du syndicaliste Alvaro Balbi vit l’espoir chevillé au corps. Si l’on en croit les sondages, les trois millions d’Uruguayens semblent déterminés à élire un président et un Parlement progressistes (lire ci-dessous). Une première pour ce petit pays coincé entre l’Argentine et le Brésil, à l’histoire pourtant jalonnée de luttes sociales emblématiques. Comme celles des anarchistes et des communistes des années d’or, quand l’Uruguay attirait par milliers les exilés de la misère et du fascisme européens. Celles aussi des guérilleros tupamaros et des mouvements des années 1960-70, écrasés par le pouvoir militaire. Celles, enfin, du retour à la démocratie, dès 1985, marqué par la défense des biens publics.
Pour beaucoup d’Uruguayens, une victoire de la coalition Frente Amplio/Encuentro Progressista (FA-EP) remettrait simplement l’histoire sur ses rails. Une voie qu’elle n’aurait pas quittée, sans le coup d’Etat de Juan Marà­a Bordaberry, le 27 juin 1973.
De cet ancrage historique, les défenseurs des droits humains puisent une conviction. Vingt ans après la chute de la junte, il est impensable que les responsables de la disparition de près de cinq cents activistes et de l’emprisonnement de 9000 autres continuent de bénéficier de l’impunité, affirme Lille Caruso de Balbi. Pour la représentante des familles d’assassinés politiques [1] , de passage à Genève auprès de ses amis de « Donde Están ? » [2] , un autre Uruguay ne saurait être bâti sur d’autres bases que « la vérité et la justice ».


Le Courrier : Que représentent pour vous, militante des droits humains, ces élections ?

Lille Caruso de Balbi : Toutes les organisations de défense des droits humains vivent dans l’expectative. Il y a un énorme espoir, nous sentons que nous sommes sur le point d’arriver au pouvoir ! Le Frente Amplio regroupe les forces de gauche qui furent réprimées par la dictature ; nous avons donc grand espoir que le futur gouvernement s’attaquera à rembourser cette dette de l’Etat avec la société uruguayenne. Peut-être ne savez-vous pas que pas un seul responsable des crimes commis durant la dictature n’a été jugé en Uruguay ? L’Argentine de Nestor Kirchner a fait quelques pas vers la justice. Pas l’Uruguay : tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 1985 ont refusé de faire la lumière sur ces crimes.

Avez-vous reçu des assurances des leaders du FA-EP ? On sait que le président socialiste du Chili, Ricardo Lagos, a déçu.

- Le gouvernement de Lagos n’est pas de gauche ni même progressiste ; celui du FA-EP sera au moins progressiste, avec une participation des forces de gauche.

Qu’en attendez-vousconcrètement ?

- La vérité et la justice. Tout est là , dans ces deux petits mots. Nous voulons que la justice puisse enquêter et que les coupables soient condamnés. Que l’on sache où sont nos disparus, qui a tué et pourquoi. Une commission du FA-EP sera mise en place dès après le scrutin pour préparer les premières mesures.

Faudra-t-il toucher à la loi d’amnistie, dite « ley decaducidad » ? [3]

- Deux tendances s’opposent au sein du FA-EP. Certains, comme nous, pensent qu’il faut l’annuler et poursuivre rétroactivement tous les criminels. D’autres pensent qu’il faut utiliser la marge de manoeuvre légale existante.

Mais pensez-vous que les Uruguayens veulent vraiment faire resurgir ce passé ?

- (Un silence.) Je pense que les gens veulent un gouvernement du FA-EP. Les enquêtes le prouvent. A nous d’expliquer que la vérité et la justice ne passent pas que par là . Les droits humains ne se divisent pas. Les défendre, c’est empêcher que, comme aujourd’hui, des enfants meurent de faim. C’est aussi traiter les détenus avec humanité ou lutter contre l’exploitation. L’exigence de vérité et de justice est indissociable de l’avancée des droits humains.

Comment expliquer que l’Uruguay puisse pour la première fois basculer à gauche ? Est-ce l’exemple argentin, celui du Brésil, la crise économique ?

- Le projet du Frente Amplio est ancien. Lors des élections de 1971, il représentait déjà une vrai espérance populaire. La dictature a détruit cet espoir comme elle a détruit les gens qui le portaient. Mais outre la dictature, c’est la misère qui anéantit les gens. L’Uruguay compte 3 millions d’habitants pour 500 000 exilés économiques et politiques ! Il n’y a pas une famille en Uruguay qui ne compte un ancien détenu politique et un immigré... Les gens veulent un changement. Et pour cela, ils font confiance à ce projet du Frente Amplio longuement mûri. Cela compte bien plus que les exemples du Brésil et de l’Argentine. »L’Uruguay a une longue tradition contre les privatisations. Nous avons par exemple contré la tentative de privatisation de la nappe phréatique de Guarani, l’une des trois plus grandes du monde1. Avec notre système de plébiscites (initiatives, ndlr), nous sommes parvenus à maintenir la plupart des entreprises publiques loin des capitaux privés, comme les téléphones, l’électricité, bientôt l’eau. Le peuple uruguayen est très sensible à cette question.

Qu’apporterait un gouvernement du FA-EP ? Va-t-il lancer un processus de refonte constitutionnelle commeau Venezuela ?

- Non. Peut-être faudra-t-il changer certaines dispositions constitutionnelles, mais globalement, on peut très bien travailler dans le cadre actuel. La priorité des priorités consistera à réactiver l’économie et à lutter contre un chômage dont le taux frise les 20%.

Propos recueillis par Benito Perez


Des brèches dans l’impunité


La loi massue dite de « caducidad » n’a pas découragé les familles des victimes de mener la fronde. Car si cette législation d’exception absout les crimes commis par des policiers et des militaires durant les années de la dictature (73-85), elle n’exempte pas les civils. Ainsi, l’ex-président Juan Marà­a Bordaberry, auteur du coup d’Etat institutionnel de 1973, fut l’une des premières cibles de la Commission des familles d’assassinés politiques menée par Lille Caruso de Balbi. Bordaberry est aujourd’hui sous le coup d’un procès pour « atteinte à la Constitution » et d’une enquête pour son rôle dans l’assassinat de huit communistes en 1972. Car la seconde faille de la loi de « caducidad » est là : des procédures peuvent être ouvertes si les crimes politiques ont été perpétrés avant le putsch. Autre brèche inlassablement creusée par les proches des victimes : les exactions commises dans des pays moins frileux que l’Uruguay, au temps des collaborations entre juntes du Cône Sud, le fameux Plan Condor. Des enquêtes en Argentine ont ainsi permis de connaître le sort de certains disparus uruguayens. Les condamnations sont, elles, plus difficiles, l’Uruguay refusant obstinément d’extrader ses militaires. Dernier exemple en date, le 21 septembre, sous la pression du gouvernement, la Cour suprême de justice a refusé l’extradition de quatre militaires présumés responsables de la disparition d’une centaine d’Uruguayens en Argentine... Parmi eux, le sinistre colonel Jorge Silveira, reconnu à de nombreuses reprises comme l’un des principaux tortionnaires du régime.


TRIPLÉ HISTORIQUE, LE 31 OCTOBRE ?

Le vent des sondages souffle toujours dans les voiles de la coalition de centre-gauche. Les dernières enquêtes, publiées il y a une semaine, ont confirmé la confortable avance du médecin socialiste Tabaré Vázquez (64 ans) dans sa troisième course à la présidence de l’Uruguay. Crédité de 52% à 55% des intentions de vote, le candidat du Frente Amplio/Encuentro Progressita (FA-EP) espère s’éviter l’épreuve du second tour qui lui fut fatale en 1999 face à un inhabituel front commun de la droite. De plus, une victoire dès le 31 octobre signifierait également pour le FA-EP la garantie d’une majorité absolue aux deux Chambres renouvelées ce même jour. Ancien intendant de la capitale Montevideo - qui héberge la moitié de la population du pays - M. Vázquez se présente comme un émule du président brésilien Lula et parie sur une « transition responsable ». Sa formation, le Frente Amplio (Front ample), est une coalition de communistes, de sociaux-démocrates et de chrétiens sociaux. Fondée en 1971, elle collabore depuis dix ans avec Encuentro Progressista (Rencontre progressiste), un mouvement de centristes en rupture avec les partis traditionnels.

A en croire les sondages, le principal adversaire de Tabaré Vázquez devrait être Jorge Larrañaga, du Partido nacional (centre-droit), qui disposerait actuellement d’un tiers des intentions de vote. Plus loin arrive l’ex-ministre de l’Intérieur Guillermo Stirling, en provenance de l’autre parti traditionnel, le Partido Colorado (droite). Celui-ci ne devrait pas recueillir plus de 15%, tant est grand le discrédit pesant sur son collègue de parti, l’actuel chef de l’Etat et ami intime de George Bush Sr, Jorge Battle.

Le 31 octobre, les plus de deux millions de citoyens uruguayens seront aussi appelés à se prononcer sur un plébiscite (initiative) émanant d’organisations syndicales et citoyennes, visant à faire de l’eau un bien commun garanti par la Constitution. Le texte soumis au vote donne un caractère public, écologique et social à son exploitation. Là aussi, le « oui » semble tenir la corde à un mois du scrutin.

Benito Perez

 Source : Le Courrier de Genève


 Lire aussi : La gauche au pouvoir après 170 ans de droite ?

 Voir le dossier Uruguay sur RISAL : http://risal.collectifs.net/rubrique.php3?id_rubrique=67



[1Comisión Familiares de Asesinados Politicos.

[2« Où sont-ils ? » cp 329, 1219 Châtelaine.

[3La « Loi d’expiration de la prétention punitive de l’Etat » exonère les militaires et les policiers qui, pour des motifs politiques, ont commis des crimes contre l’humanité entre le 27 juin 1973 et le 1er mars 1985, soit durant la dictature. Adoptée au retour de la démocratie, elle a reçu la caution du peuple il y a onze ans en votation.


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Les Cinq Cubains (éditions Pathfinder)
Une sélection d’articles de l’hebdomadaire The Militant depuis 13 ans sur le combat pour libérer Gerardo Hernández, Ramón Labañino, Antonio Guerrero, Fernando González et René González. Les Cinq Cubains, connus sous ce nom à travers le monde, ont été condamnés par le gouvernement U.S. sur des chefs d’accusation de « complot » fabriqués de toutes pièces et ont reçu des sentences draconiennes. Ils sont emprisonnés depuis leur arrestation après les rafles du FBI en 1998. Leur « crime » ? (…)
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« Si le Président se présente devant le Peuple drapé dans la bannière étoilée, il gagnera... surtout si l’opposition donne l’impression de brandir le drapeau blanc de la défaite. Le peuple américain ne savait même pas où se trouvait l’île de la Grenade - ce n’avait aucune importance. La raison que nous avons avancée pour l’invasion - protéger les citoyens américains se trouvant sur l’île - était complètement bidon. Mais la réaction du peuple Américain a été comme prévue. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, mais ils ont suivi aveuglement le Président et le Drapeau. Ils le font toujours ! ».

Irving Kristol, conseiller présidentiel, en 1986 devant l’American Enterprise Institute

Le 25 octobre 1983, alors que les États-Unis sont encore sous le choc de l’attentat de Beyrouth, Ronald Reagan ordonne l’invasion de la Grenade dans les Caraïbes où le gouvernement de Maurice Bishop a noué des liens avec Cuba. Les États-Unis, qui sont parvenus à faire croire à la communauté internationale que l’île est devenue une base soviétique abritant plus de 200 avions de combat, débarquent sans rencontrer de résistance militaire et installent un protectorat. La manoeuvre permet de redorer le blason de la Maison-Blanche.

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