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L’UMP rangée derrière Ernest Renan (1823-1892)... Voilà qui promet !

Il paraît que dans l'ouvrage "Les 12 Travaux de l'opposition", dont la rédaction a été coordonnée par Benoist Apparu, et que publie Flammarion ces jours-ci, les 12 responsables de l'UMP concernés aient fait une certaine place à Ernest Renan, et plus particulièrement à la conférence qu'il a prononcée en Sorbonne le 11 mars 1882 sous l'intitulé "Qu'est-ce qu'une nation ?" Question qui nous renvoie, Françoise Petitdemange et moi-même, à l'ouvrage que nous avons publié en 1986 (il y a donc vingt-huit ans) : "Le Feu sous la cendre - Enquête sur les silences obtenus par l'enseignement et la psychiatrie"...

"Qu’est-ce qu’une nation ?"... C’est effectivement l’une des questions auxquelles Le feu sous la cendre s’affronte.

Allons tout de suite à l’essentiel : par nation, en France, il faut entendre l’ensemble de la population native du pays et rassemblée sous la classe bourgeoise. Tout ce qui est dit "national" s’entendra donc ici comme ce qui n’existe que sous la domination des propriétaires des moyens de production et d’échange.

Ainsi, au coeur même de la notion de "nation", il y a ce qu’a très bien perçu Saint-Marc Girardin lorsqu’il écrit, le 8 décembre 1831, dans le Journal des Débats, à l’occasion de la première révolte des canuts de Lyon :

"Il ne faut rien se dissimuler ; car à quoi bon les feintes et les réticences ? La sédition de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas." (Le feu sous la cendre, page 9)

Il ne s’agit évidemment ni de posséder sa chemise ou pas. Ni de posséder les fruits de son labeur, ou pas. Il s’agit d’appartenir à la classe qui accapare les outils de production et d’échange, et qui vit de cet accaparement parce qu’il existe, en face d’elle, une classe qui, sans ressource autre que de proposer sa force de travail, doit travailler pour vivre, c’est-à-dire offrir l’usage de ses capacités physiques, psychiques et intellectuelles pendant un certain temps quotidien, et contre un salaire qui a, pour caractéristique essentielle, de jouxter le minimum vital. Voilà ce qui fait la fondation d’un pays vivant sous l’emprise du mode capitaliste de production. Voilà ce que doit couvrir l’idéologie de la "nation".

Or, Saint-Marc Girardin, lui, ne s’y trompe pas :

"Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont ses ouvriers." (Le feu sous la cendre, page 9)

Sans quoi, elle serait un véritable paradis... C’est ce qu’à compter de 1983, les heureux du socialisme mitterrandien ont fini par croire plus fortement que jamais : le parti communiste était rompu.

Or, il faut le souligner aussitôt : dans toute société de classes, la frontière qui sépare les deux classes principales est marquée de sang. Les années, les décennies, puis, parfois, les siècles passant, il se peut que ces traces de sang n’apparaissent plus qu’aux yeux des personnes, des familles, ou des clans "informés". C’est toute la question de la lisibilité du présent.

La révolte des canuts de 1831 à Lyon a été, pour Saint-Marc Girardin, l’occasion d’établir un parallèle avec le temps des grandes invasions. C’est dire la violence des processus qui étaient à l’oeuvre sous ses yeux, et dans notre pays :

"Les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ; et ces Barbares, il ne faut point les injurier ; ils sont, hélas ! plus à plaindre qu’à blâmer : ils souffrent ; la misère les écrase." (Le feu sous la cendre, page 9)

Nous avons, aujourd’hui, nos banlieues... Mais l’époque n’est plus du tout la même.

Alors, qu’en était-il des Barbares établis sur les pentes de la Croix-Rousse en 1831 ? Continuons à suivre le propos de Saint-Marc Girardin :

"Comment ne seraient-ils pas tentés d’envahir la bourgeoisie ? Ils sont les plus forts, les plus nombreux ; vous leur donnez vous-mêmes des armes, et, enfin, ils souffrent horriblement de la misère. Quel courage, quelle vertu il faudrait pour ne pas céder à la tentation ! Et ces hommes à qui il faudrait tant de vertu, tant de réserve, ce sont des hommes que la société a laissés pendant longtemps sans instruction. Elle ne leur a pas donné la lecture qui pouvait les éclairer, les instruire, les civiliser, et elle leur donne des armes !" (Le feu sous la cendre, page 9)

Nous le voyons, selon Saint-Marc Girardin, pour qu’ils restent bien à leur place, à la place que leur assigne le mode capitaliste de production, les Barbares lyonnais de 1831 auraient eu besoin de "vertu" et de "réserve", ce qu’il est possible de leur fournir - selon lui - en leur apprenant à lire, de sorte qu’ensuite, ils puissent s’éclairer, s’instruire et se civiliser...

Ce qu’en bonnes Françaises et bons Français, travailleuses et travailleurs salariés, nous sommes parvenus à faire, tandis que peu à peu les générations qui nous ont précédé(e)s se faisaient dépouiller de leurs instruments de production : petits paysans, artisans villageois, etc... Une nation, quoi.

C’est donc ici qu’il faut placer deux extraits de la conférence "Qu’est-ce qu’une nation ?" d’Ernest Renan (1882), onze ans après la Commune de Paris :

"[...] l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses." (Le feu sous la cendre, page 320)
"L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger." (Le feu sous la cendre, pages 320-321)

Après quoi, il ne restait au même ouvrage qu’à faire surgir quelques-unes des zones de l’Histoire de France soumises à censure, et d’évaluer l’impact inconsciemment subi par tout un peuple sous la fabrication d’autant de légendes compensatoires...

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Philippe Bordas. Forcenés. Paris, Fayard 2008.
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